Low Life

2011

Julie, dans la nuit lyonnaise, récite les vers lapidaires et métaphoriques d'Hamlet-machine (Heiner Müller, 1977). Georges, son ami, la rejoint et ils retrouvent une communauté de jeunes gens qui s'organisent pour s'opposer à la police, venue évacuer un squat d'Africains. Charles ne croit plus à une communauté où tout serait partagé. Il redoute que Carmen, sa petite amie, ne le quitte et, fragile, s'en va seul. Djamel, le frère de Carmen, échoue à le retenir.

Dans le squat, Carmen fait la rencontre de Hussain, jeune poète afghan. Une caméra de vidéosurveillance filme Carmen bousculée et Julie violemment projetée contre un mur par un policer. Un policier est brûlé par un cocktail Molotov et est soigné par un médecin du squat. Pendant ce temps, Charles fait une tentative de suicide dans une fontaine parisienne. Il est rappelé à la vie par le souvenir d'une phrase de Carmen. Les jeunes se retrouvent sur les berges de la Seine. Lors d'un contrôle d'identité, Georges est embarqué dans un fourgon de police pour détenir un arrêt de reconduite à la frontière, probablement glissé dans sa poche par un habitant du squat.

Le policier qui a pris l'arrêté est soudainement renversé par une moto. Il s'en tire sans blessure apparente mais meurt pourtant dans le fourgon de police alors que ses collègues examinent l'arrêté de reconduite, curieusement brûlé et maculé de terre.

Au petit matin, tous les jeunes se retrouvent dans la grande collocation que Carmen partage avec trois autres filles. Julie s'inquiète de l'absence de Georges, qu'elle soupçonne d'être parti avec une fille. Charles explique à Carmen comment elle l'a sauvé par la phrase dont il s'est rappelé et à laquelle elle reconnait avoir pensé au même moment.

Le lendemain dans une fête, Hussain tente de revoir Carmen au grand déplaisir de Charles qui est sensible au coup de foudre entre les deux jeunes gens. Carmen entraine Hussain dans une chambre et ensuite les deux jeunes gens ne se quittent plus. Hussein reçoit bientôt un avis de refus de droit d'asile accompagné d'un arrêté d'expulsion. Charles interroge Hussein sur ses intentions vis à vis de Carmen maintenant qu'il est sans papier. Celui-ci est désespéré. Il soumet son avis d'expulsion au même rite vaudou que celui que porta Georges, ce qui le transforme en lettre de mort. Plein de haine, il la glisse dans le sac d'une riche bourgeoise qui est aussitôt renversée par une voiture.

Alors qu'il se promène avec Carmen, il est bientôt pris dans un contrôle d'identité. Alors qu'un policier contrôle ses papiers, il les lui abandonne pour fuir avec Carmen. Peu de temps après, le policier meurt. Paniquée à l'idée qu'il se fasse arrêter, Carmen lui interdit de sortir et s'enferme avec lui. Les deux amants vivent la low life se terrant dans une chambre, se rasant tous les poils et buvant plus que se nourrissant.

Carmen reçoit l'ordre de se rendre à la préfecture et craint qu'Hussain ne s'échappe de la chambre durant son absence. Charles l'accompagne. La commissaire de police lui montre le mystérieux arrêté de reconduite à la frontière détenu par le policier mort et lui rappelle que c'est un délit que d'héberger un sans papier. Carmen revendique la désobéissance civique. En rentrant chez elle, elle apprend de son frère qu'Hussein s'est enfui par amour.

Film noir, inflexible, poétique, hiératique qui désespère d'une révolte mondialiste pour demain et n'espère plus, comme terre de partage, que la "low life", vie souterraine, recluse où n'existe plus que l'amour mêlé aux quatre éléments que sont l'eau, l'air la terre et le feu.

Le film de Perceval et Klotz revendique un lyrisme qu'il tient de bout en bout. Dès l'amorce du film, où Julie s'en va, pieds nus dans sa robe de soirée, lancer dans la nuit lyonnaise les phrases Hamlet-machine (Heiner Müller, 1977) : "Je suis Ophélie que la rivière n'a pas gardée. La femme à la corde, la femme aux veines vertes, la femme à l'overdose sur les lèvres de la neige, la femme à la tête dans la cuisinière à gaz. Hier, j'ai cessé de me tuer. J'ouvre grand les portes, que le vent puisse pénétrer, et le cri du monde...Je vais dans la rue vêtue de mon sang ". Ce sera ensuite l'affrontement des jeunes contre la police aux cris de "Pétain revient, tu as oublié tes chiens."

L'humanité se ressoude un temps dans le squat où les Africains sortent de leur cache sous terre alors qu'un médecin soigne le policer à la jambe brûlée. De cette fraternité éphémère peut néanmoins sortir le pire, l'un des sans-papier glisse dans la poche de Georges, qu'il a sans doute pris pour un RG, son arrêté mortel auquel le jeune homme n'échappera que par un contrôle de police. La menace vaudou rythme le film avec la scène du fourgon, la longue séquence du rite, l'arrêté mis dans le sac de la riche bourgeoise, le chien mordant son mari, le policier poursuivant le sans-papier. Il oppose sa force obscure à celle de l'œil omniprésent des caméras de vidéosurveillance de la police. La confrontation entre les africains, leurs rites vaudous, leur peinture blanche sur le visage et les jeunes intellectuels urbains solidaires mais radicalement différents retrouve la magie des films de Jean Rouch tels que La pyramide humaine ou Chronique d'un été.

Le casting du film est particulièrement réussi. Il rend la rencontre amoureuse évidente, l'attirance immédiate forte et crédible entre Hussain et Carmen alors que le dandysme désespéré de Julie, Charles, Djamel et Georges les élève au-dessus de toute médiocrité.

Si la voie de la révolution de demain n'est pas tracée, du moins une vie hors des compromis bourgeois est-elle donnée comme un rite de purification avec la description de la "low life", esthétique dans laquelle se cantonne aussi le film en privilégiant la nuit, l'eau des fontaines et de la Seine, le feu des cocktail Molotov et le terre versée sur les papiers officiels.

Jean-Luc Lacuve le 22/04/2012.

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Avec : Camille Rutherford (Carmen), Luc Chessel (Charles), Michael Evans (Djamel), Hélène Fillières (la commissaire), Arash Naimian (Hussain), Maud Wyler (Julie), Mathieu Moreau Domecq (Georges). 2h04.

Genre : Film politique