Glory to the filmmaker !

2008

(Kantoku Banzai!). Avec : Takeshi Kitano, Toru Emori, Kayoko Kishimoto, Anne Suzuki, Masatô Ibu (narrateur). 1h44.

Un mannequin en plastique est l'objet d'examens médicaux sophistiqués. Il est vêtu d'un pull bleu sur est griffé en blanc le sigle K. A la fin de l'examen... et du générique, le médecin demande au mannequin de faire en sorte que ce soit Kitano en personne qui vienne la prochaine fois.

Dans les rues de Tokyo, Takeshi Kitano porte désabusé le mannequin, son double, pendant qu'une voix off nous informe des déboires du cinéaste à réaliser son treizième film.

Ayant dit partout qu'il ne voulait plus tourner de film de gangsters, il est bien en peine de continuer le film dans lequel il enfonçait un crayon dans le ventre du gangster qui refusait de signer un contrat de protection avant d'abattre les gardes du corps de l'ex caïd qu'il condamne à fuir (1).

Kitano a alors envisagé de réaliser un film d'amour où une jeune femme tombe amoureuse d'un homme qui lui fait visiter un musée (2) ou alors une jeune femme essayant de faire retrouver le goût de la peinture à son ancien maître devenu aveugle (3). Kitano décida ensuite de faire plus original avec cette fois un homme tout dévoué à une femme : il sera alors le chauffeur d'une jeune bourgeoise un peu gênée de voir celui-ci toujours l'attendant à côté de sa voiture (4) ou alors il sera un escroc amoureux d'une élégante jeune femme propriétaire d'un magasin de mode (5). Mais là il risquait de nouveau de tomber dans le film de gangsters.

Kitano était de nouveau désespéré à jeter son mannequin à l'eau avec une pierre autour du cou. Il songea alors à revisiter l'histoire du cinéma japonais. A refaire un film d'Ozu en noir et blanc. Le film s'appelle La retraite (6). Un homme tarde à rentrer chez lui le dernier jour de sa vie active et attend avec sa femme l'arrivée de leur fille qui éclate en larme devant eux."Qui veut voir des films pesants où des gens boivent du thé ou de l'alcool pendant une demi-heure ?", s'interroge la voix du narrateur.

Non, ce qui marche bien au Japon, ce sont les films de sabre. Ce fut d'ailleurs le seul vrai succès public de Kitano dans son pays. Dans Le corbeau bleu (7), il reprend ainsi son personnage de Zaïtochi pour venir à bout d'une bande de samouraï. Il est ensuite fait prisonnier dans un filet embroché de nombreux coups de sabre et jeté au fond d'un puit. Mais ne s'avouant pas vaincu, il réalise des escaliers dans le puits pour bondir au-dessus de ses adversaires lorsque ceux-ci viennent vérifier s'il est bien mort. Devant de telles invraisemblances, Kitano renonce à nouveau.

Il entreprend alors un film d'horreur (8) dans avec un monstre sanguinaire caché derrière un masque Nô. Mais le maquillage laisse à désirer et seul le bêtisier du film, où le monstre rate l'ouverture des portes, est drôle.

Ce qui marche bien aussi, ce sont des films nostalgiques sur les années 50, période que connaît bien Kitano puisque c'est celle de son enfance. Ce sera Le goudron et les chiffonniers (9). Dans un quartier populaire, le propriétaire d'une voiture se fait extorquer la moitié des billets de son portefeuille pour partir. Un peu plus loin, un jeune homme étudie à la lumière d'un réverbère. Sa mère vient se plaindre à son père (Kitano) qu'il économise l'électricité pour pouvoir dépenser tout l'argent gagné par sa femme en alcool. Le mari frappe alors sa femme sous les yeux de leur jeune fils (projection de Kitano enfant) qui s'enfuit dan sa chambre et se souvient. En sortant de l'école avec ses camarades, un jeune garçon qu'ils avaient rossé les met au défi de le retrouver dans un champ le soir pour un combat. En attendant, ils préparent leur costume de catcheurs en enduisant de goudron noir de vieux pantalons. Après leur match de catch, ils vont relever le défi du jeune garçon qui, affublé d'un vieil imper et d'une guitare, déclare vouloir les tuer avant de se blesser tout seul avec son couteau. Les enfants reconnaissent en lui le fils de misérables chiffonniers qu'ils reconduisent chez lui... pour être rossé par sa mère.

Mas cette histoire a peu de chance de faire un tabac et Kitano se décide finalement pour un film de science-fiction. Ce sera Le jour de la promesse (10). Dans un observatoire astronomique, Kitano aperçoit sur son écran de contrôle un gros point rouge qui s'avère l'image d'un astéroïde qui fonce vers la terre pour la détruire. Si dans un film normal américain des aventuriers auraient été envoyé à bord d'une fusée pou fragmenter l'astéroïde à l'aide dune bombe nucléaire. Il s'avère qu'ici en fractionnant l'astéroïde, on découvre deux effigies de femmes qui donnent à Kitano l'occasion de réaliser un nouveau film.

Dans celui-ci, Kitano est le valet d'un magnat financier à la tête de la fondation Hope (11). Ce magnat finance diverses opérations loufoques. Dans la rue une mère et sa fille, affublées l'une d'une girafe l'autre d'un canard en peluche cherchent à manger gratis dans un restaurant prétextant un cafard tombé dans leur soupe. Elles s'apprêtent à appeler le patron lorsque d'autres clients utilisant le même truc les devancent. Les patrons s'avèrent posséder un look de catcheurs et réduisent en bouillie les clients récalcitrants. La jeune fille et sa mère s'enfuient et essayent de simuler un accident comme elles l'ont vu faire à un vieillard. C'est hélas un minable camion qui renverse, heureusement sans dommage, la jeune fille. Ayant pris le valet du patron de Hope pour le fils de celui-ci elles lui adressent une déclaration enflammée de la jeune fille avec un rendez-vous à l'arc de triomphe. Le patron de Hope, qui veut favoriser les amours de son homme à tout faire est consterné de voir que Kitano s'est rendu à Paris sous l'arc de triomphe et non au café voisin qui porte le même nom où la jeune fille l'a attendu en vain. Il convoque la mère et la fille pour un nouveau rendez-vous et Kitano les emmène loin chez lui dans la campagne. Quand la mère et la fille s'aperçoivent de la pauvreté du valet, elles tentent de fuir non sans avoir fait bouillir le mannequin Kitano dans son bain. Aidé par le professeur loufoque, Kitano part à leur recherche. La jeune fille finit par tomber réellement amoureuse de Kitano et, à la campagne aura un fils (en plastique) de lui. Mais soudain, l'astéroïde du film de science-fiction détruit tout dans des explosions gigantesques qui font surgir de terre un immense bloc de marbre sur lequel est sculpté "Glory to the filmmaker !".

Pourtant, lorsque Kitano en personne revient voir le docteur du début, ce que l'on retrouve dans son cerveau c'est une caméra qui se désagrège.

Glory to the Filmmaker ! (Kantoku Banzai en version originale) devait à l'origine s'appelait "Opus 19/31", tire que l'on voit apparaître furtivement lors du générique. "On m'a dit qu'on ne comprendrait rien à ce titre, explique Takeshi Kitano. Voilà Pourquoi c'est devenu Kantoku Banzai. J'aimais ce titre originel parce qu'il était composé de deux chiffres premiers. Mais c'est vrai que ça faisait partir sur les maths. Et puis, ça rappelait Huit et demi (Fellini, 1963) et on pouvait s'attendre à un film compliqué sinon sophistiqué. Alors que ce film est loin d'être comme çà."

Glory to the filmmaker avec ses onze films dans le film est certes une réflexion sur le cinéma dans la continuité de Takeshi's principalement par ses références aux différents genres abordés mais il est, avant tout, une comédie burlesque. Comme l'indique le titre original prévu par Kitano, il doit sa force et son humour aux rapports qu'entretiennent entre eux le réel et le pastiche, la durée toujours incertaine des épisodes, le retour d'éléments récurrents.

L'épisode La retraite est certes plus amusant lorsque l'on connait le cinéma d'Ozu, lorsque l'on apprécie le pastiche des dialogues autour d'un verre de saké, les plans au ras du tatami, l'ouverture - fermeture des paravents entre les pièces et surtout que l'on attend l'inévitable scène de larmes que le maître plaçait dans chacun de ses films. L'épisode du Corbeau bleu sera pareillement plus drôle si l'on a vu Zatoichi ou Touch of zen.

Mais l'humour du film réside plutôt dans le retour décalé d'une scène sur l'autre des mêmes thèmes (relations parents-enfants) et surtout des mêmes motifs (catch des enfants puis dans le restaurent, fermeture des paravents dans l'épisode Ozu et celui du film d'horreur, retour de la science-fiction dans l'épisode final, le savant fou hilare et ses inventions délirantes) ainsi que sur la transformation de Kitano en mannequin qui le transporte avec lui et dont il constitue un double expiatoire. Il sera d'ailleurs "exécuté" plusieurs fois durant la durée du récit.

On ne croira ainsi pas trop à l'image finale de la caméra détruite dans le cerveau de Kitano, emportés que nous sommes par le courant burlesque du film qui vaut bien les Monthy python ou Mel Brooks.

Jean-Luc Lacuve le 25/08/2008