Le journal d'une femme de chambre

2015

Thème : Adaptation

D'après le roman Octave Mirbeau. Avec : Léa Seydoux (Célestine), Vincent Lindon (Joseph), Clotilde Mollet (Madame Lanlaire), Hervé Pierre (Monsieur Lanlaire), Mélodie Valemberg (Marianne), Patrick d'Assumçao (Le capitaine), Vincent Lacoste (Georges), Joséphine Derenne (La grand-mère de Georges), Dominique Reymond (La placeuse), Rosette (Rose), Adriana Asti (La maquerelle). 1h35.

Célestine gravit les marches d’un escalier pour se rendre à un entretien au sein d’un bureau parisien de placement de domestiques. La responsable du bureau lui propose une bonne place bien que ce soit en province. "Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises places, il n'y a que de mauvais maîtres" répond Célestine déçue. "Non, il n’y a que des mauvais domestiques" répond la placière qui lui dit qu'avoir de la conduite lui permettra de faire carrière. Ce à quoi Célestine répond que c'est plutôt de l'inconduite qu'il faut avoir pour cela. La placière ne la trouve pas fiable en dépit de sa beauté, de son éducation et de sa tenue. Elle lui demande de réfléchir et de revenir le lendemain.

Célestine est dans le train qui la conduit au Prieuré, près du Mesnil-Roy en Normandie. C'est Joseph, le cocher et majordome, qui l'accueille et qui dans un train d'enfer la conduit au Prieuré. La luxueuse toilette de célestine déplait à Mme Lanlaire. Elle lui montre "la besogne", les lampes et ustensiles fragiles. Quant au mari, il ne trouve à dire que "C'est très bien, c'est très bien" et tente de la toucher alors qu'elle lui enlève ses bottes. Lors du repas du soir avec Joseph et Marianne la cuisinière, Célestine l'interroge sur les goûts de monsieur en termes de femme de chambre et sur un éventuel amant de madame Lanlaire. Elle s'attire les reproches de Marianne : "Il faut être parisien pour demander ça".

Et effectivement dans un flash-back, Célestine se souvient d'un voyage en train où sa patronne fut contrainte de sortir un godemichet devant les douaniers et les autres voyageurs. L'un d'eux était un domestique au comportement ouvertement sexuel. Et le train repartit.

Le lendemain, c'est jour de messe. Célestine, à l'église avec les autres bonnes de la ville, remarque Joseph. En sortant, Rose, la bonne du capitaine Mauger, leur voisin, l'invite à discuter avec ses amies. Elle la prévient que M. Lanlaire a déjà engrossé toutes les bonnes avant elle. En rentrant Célestine est réprimandée par Mme Lanlaire qui l'accuse d'être en retard puis lente dans son travail. Elle  l'oblige à ranger sa chambre, nettoyer son pot puis à monter descendre et remonter les escaliers pour une aiguille, du fil et des ciseaux. Célestine ressasse sa colère.

Un autre matin où Célestine s'en va étendre du linge, alors que Joseph bêche dans le jardin, c'est monsieur Lanlaire qui vient l'entreprendre. Célestine s'en défend en riant. Alors que monsieur Lanlaire revient dans la cuisine des communs demander à manger à Célestine, il en est chassé par sa femme. L'après-midi, alors que madame Lanlaire lit et est dérangée par les chiens, elle envoie Célestine leur chercher la viande "Les chiens des riches ne sont pas des pauvres" affirme-t-elle à Joseph. Le soir, Célestine sert à table et se voit reprocher son parfum par madame Lanlaire qui l'accuse aussi à juste titre d'avoir "volé" deux pruneaux. "Faut-il que nous ayons la servitude dans le sang" se plaint Célestine.

Un autre jour, Célestine rend visite à Rose et au capitaine Mauger qui n'hésite pas à tuer son furet, Kleber, pour lui prouver qu'il est prêt à tout. Le soir, elle déjeune avec Marianne et Joseph qui exprime sa violente haine antisémite.

Un jour, une lettre apprend à Célestine que sa mère est morte. En larmes, elle ne trouve d'autre réconfort auprès de madame Lanlaire qu'elle n'y peut rien et que le service ne doit pas s'en ressentir.

Célestine se souvient comment elle fut placée chez une grand-mère extrêmement gentille qui voulait qu'elle l'aide à soigner son petit-fils dans leur maison de vacances à Houlgate. Monsieur Georges était phtisique, ils tombèrent amoureux et lorsqu'ils firent enfin l'amour cela entraina sa mort. En dépit de la demande de la grand-mère, Célestine refusa de rester et rencontra divers maitres plus ou moins fortunés et agréables avec qui, parfois, elle fit l'amour.

Cette fois c'est monsieur Lanlaire qui nie être attiré par Célestine devant sa femme. Le soir, Marianne et Célestine échangent des confidences sur la vie de l'une à Caen comment elle due avorter. Célestine voit de la lumière chez Joseph et celui-ci lui propose de tenir un café à Cherbourg. Il y voit déjà très bien Célestine. Et celle-ci n'a guère d'autre choix. Dans un flash-back lui revient son refus d'une place auprès d'une bourgeoise pimbêche qui attendait qu'elle couvre ses frasques adultères.

Quand Célestine rejoint les bonnes, celles-ci parlent de l'assassinat de la petite Claire. Rose accuse monsieur Lanlaire. En rentrant, Célestine surprend Marianne éplorée : elle se croit enceinte de monsieur Lanlaire. Célestine la rassure. Dans la nuit, Célestine a un flash mental de Joseph fuyant le lieu du crime. Le lendemain, elle demande à Joseph ce qu'il faisait dans la forêt le jour où le corps de la petite Claire a été retrouvé.

Marianne et Célestine assistent de loin à l'enterrement de Rose. Célestine se rend chez Le capitaine Mauger. Il lui affirme avoir berné Rose en rédigeant un second testament où il ne lui laissait plus rien. Il lui propose de prendre sa place. "Il ne manque pas d'air le bravache", sourit Célestine.

Le soir, Joseph et Célestine préparent les patates germées. Joseph est sur la réserve depuis qu'il se sait soupçonné du meurtre de Claire par Célestine. Celle-ci voudrait pourtant qu'ils se mettent ensemble immédiatement. Joseph a un autre plan : il va partir dans six mois au plus tard mais a besoin d'un séjour de six jours pour savoir quand. Célestine le voit partir en calèche.

Quand il revient, il l'entraine au vol de l'argenterie des Lanlaire. Bientôt, il demande son congé. Célestine se promet d'être la bonne parfaite et conquiert ainsi les bonnes grâces de madame Lanlaire qui est sincèrement triste de son départ. Elle rejoint Joseph dans la nuit, prête à aller jusqu'au crime avec lui.

Après Paulette Godard chez Renoir (1946) et Jeanne Moreau chez Bunuel (1964), c'est Léa Seydoux qui incarne Célestine, la femme de chambre du roman d'Octave Mirbeau. Renoir avait totalement trahi Mirbeau pour faire une œuvre, joyeuse et optimiste de libération où le personnage trouvait sa voie en essayant divers costumes et diverses séductions. Bunuel épura son style pour se mettre au ras du quotidien et jubila de prendre au piège la petite bourgeoisie provinciale qui ne méritait pas les audaces baroques que L'ange exterminateur appliquait à la saisie de la haute bourgeoisie. Jacquot, plus noir, choisit une voie plus mentale et cruelle. Célestine a une image d'elle-même bien différente de celle que les autres ont d'elle. Elle traverse, solitaire et hautaine, la petite bourgeoise parisienne et de province sans trouver quelqu'un qui l'aime. Lorsqu'enfin, elle trouve un homme solide pour la sortir d'une condition qui n'a jamais été la sienne, elle accepte de le suivre en dépit d'idées qu'elle ne partage pas, en dépit d'un crime qu'il a peut-être commis. Ce cheminement mental, c'est tout à la fois la structure narrative et la mise en scène qui vont la répéter

Trois séries de flashes-back structurant le récit

Chez Mirbeau, c'est bien chez les Lanlaire que Célestine écrit son journal qui retracera son parcours depuis l'enfance en Bretagne jusqu'aux places successives qu'elle occupa pour en arriver là. Renoir commençait et terminait par un plan de ce journal alors que Bunel ne l'évoquait pas. L'un et l'autre films étaient sans flashes-back. L'un et l'autre introduisaient néanmoins un personnage important du passé chez les Lanlaire. M. Georges devenait le fils Lanlaire chez Renoir. Rabour, le fétichiste des bottines, devenait le père de madame Lanlaire chez Bunuel. Jacquot ne fait pas allusion à la forme du journal et refuse aussi toute voix off. Il en profite néanmoins pour faire grommeler Célestine comme si elle commentait off les humiliations subies. Et il fait entendre sa pensée fameuse sur la servitude consentie des domestiques lorsqu'elle prépare les pruneaux. Jacquot, plus fidèle au roman, accepte les retours en arrière. Ceux-ci structurent le film.

Le premier flash-back vient juste après les reproches de Marianne sur son intérêt "bien parisien" sur les turpitudes de monsieur et madame Lanlaire. Célestine revoit alors l'épisode du godemichet de sa patronne caché dans l'étui rouge. Cet épisode est teinté de fantastique, d'une part avec l'objet dans son écrin rouge mais aussi avec la lumière violente et blafarde des passagers sortant du train la nuit et surtout de la présence d'un valet de chambre lubrique qui est manifestement venu d'un autre souvenir de Célestine et qu'elle condense avec celui de sa patronne au godemiché.

Le second flash-back vient après la mort du furet Kleber et la mort annoncée par lettre de la mère de Célestine. Il raconte l'histoire de monsieur Georges qui se termine par la mort de celui-ci. Suit, là-aussi, un second souvenir celui d'un maitre avec qui elle fit l'amour dans l'oubli de soi. Le troisième flash-back vient après le flash-forward pris en charge par Joseph qui la voit déjà dans le petit café de Cherbourg. Célestine n'a plus d'autre solution. Elle se souvient de la proposition de la bourgeoise adultère et de la maquerelle qui avait voulu l'embaucher dans son bordel. Elle a par ailleurs constaté la rouerie des maitres : Mauger a fait un faux testament pour asservir Rose.

Le salut dans le mouvement

A ces trois flashes-back, ouverts par des fondus au blanc avec souvenir principal et secondaire, s'ajoutent le flash-forward et le court flash mental du cauchemar de Célestine voyant Joseph fuir le lieu du crime. Se joue ainsi dans l'esprit de Célestine un combat qui devient vital pour échapper à la mort réelle ou sociale. Ce combat de tous les instants, elle le mène aussi au quotidien chez Les Lanlaire.

Le combat de Célestine est amorcé dès la séquence initiale où elle s'oppose dans un dialogue au couteau avec la placière. Jacquot alterne de courts plans d'ensemble sur des gros plans de plus en plus serrés, parfois travaillés au zoom. Célestine en est comme sonnée dans le train. Sentiment cruel d'un personnage qui a échappée au vice et qui ne cherche que douceur, beauté et compréhension. L'arrivée chez les Lanlaire la fait repartir au combat. Travelings, zoom-avant qui passent du plan moyen aux gros plans, travelling arrière lorsqu'elle regagne sa chambre, raccord d'un plan en zoom sur Célestine sur un autre plan en zoom sur la grand-mère; Jacquot multiplie les plans qui se télescopent et s'affrontent. Il épuise le spectateur comme Célestine s'épuise dans l'escalier. Espace moins réel que scène d'affrontement, Célestine est condamnée à suivre le seul être décidé qu'elle rencontre pour la sortir du triste milieu qu'elle traverse, solitaire et farouche. Le premier très gros plan sur son visage se fait au travers (contrechamp) des yeux de Joseph puis lorsqu'elle regarde la fenêtre, guettant son retour. C'est la nuit qui va happer les amants, voleur de l'argenterie et assumant jusqu'au crime pour fuir la bourgeoise de province qui ne leur laisse aucune chance. Mirbeau, cynique et désabusé, les faisaient oppresseurs à leur tour de leurs serviteurs au Café "A l'armée française" de Cherbourg. Jacquot leur laisse la grandeur des révoltés.

Jean-Luc Lacuve le 10/04/2015