Métamorphoses

2014

Genre : Film épique

Avec : Amira Akili (Europe), Sébastien Hirel (Jupiter), Mélodie Richard (Junon), Damien Chapelle (Bacchus), George Babluani (Orphée), Matthis Lebrun (Actéon), Samantha Avrillaud (Diane), Coralie Rouet (Io) Nadir Sönmez (Mercure), Vincent Massimino (Argus), Olivier Müller (Pan) Myriam Guizani (Syrinx), Gabrielle Chuiton (Baucis) Jean Courte (Philémon), Rachid O. (Tirésias), Arthur Jacquin (Narcisse), Anna Camplan, Eléonor Vergez, Margot Guitton (les sœurs Mynias), Julien Antonini (Hermaphodite), Marlène Saldana (Salmacis), Yannick Guyomard (Penthée), Jimmy Lenoir (Cadmus), Vimala Pons (Atalante), Erwan Ha-Kyoon Larcher (Hippomène), Keti Bicolli (Vénus). 1h42.

"Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux...."

Un chasseur, court dans la forêt et découvre Diane se lavant nue près de son camping-car avec l'eau tirée d'un bidon en plastique. La déesse offusquée lui jette un sort et bientôt Actéon se trouve transformé en cerf. Il entend les bruits d'une chasse-à-cour, se refugie près d'un grillage et est abattu par un chasseur.

Première partie : Europe et Jupiter

Un grand camion rouge s'approche d'un lycée et en longe de très près le trottoir où s'étaient regroupée une bande de jeunes gens. Ceux-ci rentrent dans l'établissement et seule une fille continue sa route pour retrouver bientôt le grand camion rouge au milieu d'un terrain vague désert. Elle s'approche ; le camion démarre, tourne autour d'elle et ouvre sa porte.

Bientôt le camionneur et la jeune fille font l'amour dans l'herbe. Jupiter demande à la jeune fille, Europe, s'il l'a reconnue. Celle-ci ne répond pas, et alors qu'un vieil homme les croise, Jupiter entreprend de lui raconter son aventure avec Io. Le vieil homme c'est le père de Io qui pleure sa fille dit Jupiter. Io avait dû garer sa voiture au bord d'une route à cause du bouillard. Jupiter s'était précipité sur elle  lorsqu'elle était sortie dans le champ. Ils avaient fait l'amour mais Junon avait surgi. Pour lui éviter la colère de son épouse, Jupiter avait transformé Io en génisse. Junon, pas dupe, avait exigé de garder la génisse et l'avait confiée à la garde d'Argus.

Pour délivrer Io, Jupiter avait demandé à son fils Mercure de tuer Argus aux cent yeux. Pour endormir Argus, Mercure avait longuement répondu à celui-ci qui lui demandait l'origine de sa flûte. C'est Pan qui la confectionna après avoir poursuivi Syrinx qui cherchait à lui échapper lorsqu'elle revenait de faire ses courses de Carrefour. Épuisée, Syrinx s'était transformée en roseaux pour échapper au viol. Pan avait alors confectionné la fameuse flûte. Argus s'étant endormi, Mercure le tua d'un coup de carabine.

Europe, Jupiter et Mercure rencontrent sur leur chemin Baucis, une vieille femme, qui les conduit chez elle. Elle et son mari, Philémon, n'ont pas grand chose à offrir à Jupier et Europe mais ils sont prêts à tuer leur unique oie pour eux. En remerciement de leur générosité, Jupiter leur sert un somptueux repas dont Baucis et Philémon profitent, en dépit de la maladie de Parkinson de ce dernier. Mais un terrible orage gronde et Jupiter conduit le couple au sommet d'une colline afin de leur éviter d'être engloutis par les eaux. Baucis et Philémon veulent surtout mourir ensemble et Jupiter les transforme en tilleul et érable. Après avoir fait l'amour à Europe, Jupiter retrouve sa femme Junon de l'autre côté de la rivière qui s'étonne de le voir nu à nouveau mais se montre tout à fait disposée à faire l'amour avec lui. Elle est toutefois ensuite agacée de le voir trop satisfait de lui-même.

Jupiter et Junon viennent consulter Tirésias pour savoir qui, de l'homme ou de la femme, connait la plus grande jouissance. Junon est fort irritée lorsqu'il répond que la femme jouit huit fois plus que l'homme et ne se satisfait pas qu'il puisse se prétendre expert parce qu'il a été femme avant de devenir homme. Elle l'aveugle avec un acide. En guise de compensation, Jupiter lui accorde le don de divination.

Ainsi, lorsque dans la citée HLM, la mère de Narcisse présente son bébé à Tirésias celui-ci lui promet une vie longue et heureuse s'il ne se connait pas lui-même. Des années plus tard, Narcisse est devenu un beau jeune homme courtisé par les garçons comme les filles. Voyant son reflet se pencher sur lui depuis le ciel, il comprend qu'il n'y a rien en dehors de lui,  rien à chercher en dehors de son apparence. Il se suicide en se jetant du haut d'une tour.  

Deuxième partie : Europe et Bacchus

Europe erre solitaire dans la forêt et rencontre Bacchus qui affirme être le plus doux et le plus redoutable des dieux. Redoutable, il l'est surtout lorsque l'on ne croit pas en lui. Ainsi, dit-il à Europe, ne soit pas comme les sœurs Mynias qui avaient médit sur sa mère et qu'il retrouva un jour dans un cinéma. Il leur proposa de les amener se baigner au lac. Comme elles hésitaient, il  les contraignit sous la menace d'une arme. Au bord du lac, il leur raconta pourquoi celui-ci avait des effets débilitants, des effets qui rendent sans forces ceux qui s'y baignent et ce depuis l'aventure d'Hermaphrodite. Hermaphrodite, beau jeune homme très timide, repousse les avances de Salmacis, nymphe plantureuse et se baigne seul dans le lac. Mais la nymphe s'est éprise de lui et, ne pouvant se contenir, elle étreint le jeune homme contre elle, et supplie les dieux d'être unie à lui pour toujours. Son vœu est exaucé et tous deux ne forment plus qu'un seul être, bisexué, à la fois mâle et femelle. Nues devant le lac dans lequel va les pousser Bacchus, les sœurs Mynias sont terrorisées. Bacchus les transforme en trois chauves-souris.

Le soir, c'est Panthée qui vient interpeller son cousin Bacchus afin que sa mère quitte sa troupe de bacchantes et rentre chez eux. Les bacchantes interpellées depuis le sommet des arbres en descendent en colère et s'en vont dévorer Panthée. Europe en a assez de ces aventures et souhaite rentrer chez elle, Bacchus lui demande alors si elle tient vraiment à retrouver les disputes avec son père le matin autour d'un café froid et des insultes sur sa tenue. Europe souhaite au moins parler à son jeune frère, Cadmus, parti à sa recherche. Bacchus la rend invisible pour qu'elle puisse dire à Cadmus de ne pas s'inquiéter pour elle et de cesser ses recherches.

Troisième partie : Europe et Orphée

Orphée avait obtenu le droit le droit de ramener Eurydice des enfers sous-marin mais, au dernier moment, il s'était retourné et n'avait pu ramener Eurydice. Il consacra alors tout son temps au prêche, promettant une vie nouvelle aux disciples qui voudraient le suivre. La police intervient lorsqu'il prêche dans la cité et bientôt les disciples rejoignent la grotte où Orphée raconte les amours d'Atalante et d'Hippomène. Celui-ci n'avait aucune chance d'obtenir l'amour de la belle Atalante qui l'avait promis à celui qui la battrait à la course. Vénus décida de l'aider et lui donna trois pommes d'or pour qu'il les lance à Atalante afin de la faire dévier de sa course. Tout à leur amour nouveau, Atalante et d'Hippomène avaient négligé de remercier la déesse qui les condamna à un désir permanent et inextinguible avant de les transformer en lion et lionne.

C'est le petit matin. Bacchus déchaine ses bacchantes contre Orphée et ses disciples. Europe ne peut que constater, horrifiée, le massacre. Europe recueille la tête d'Orphée dans un grand tissu qu'elle place dans un sac à dos. Elle l'offre à son jeune frère, Cadmus, venu en vain la chercher pour la ramener chez eux. Quand, dans le bus qui le ramène chez lui, Cadmus ouvre le sas à dos, c'est un livre taché de sang que renferme désormais le tissu : Les métamorphoses. Désormais partie explorer le monde, Europe nage nue dans les eaux débilitantes du lac à la recherche de sa métamorphose.

"Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux. Dieux, qui les avez transformés, favorisez mon dessein et conduisez mes chants d’âge en âge, depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours."

Loin de se lire aussi facilement que la romanesque Théogonie d'Hésiode, Les métamorphoses d'Ovide sont un long poème de douze mille vers accumulant les aventures des Dieux. Le poète romain condense en quelques pages chacune des quelque 250 aventures avec une force telle que ses vers seront ensuite la source d'inspiration de nombreuses œuvres littéraires, picturales et musicales. Christophe Honoré entreprend la première adaptation cinématographique de ce poème non en dépliant l'histoire des dieux de façon romanesque et hollywoodienne, non en pratiquant l'archaïsme hiératique de Pasolini (Médée) ou archéologique des Straub (La mort d'Empedocle). Proche du fantastique poétique de Cocteau (Le testament d'Orphée) mais sans recourir à des acteurs professionnels et en s'éloignant du lyrisme romanesque de ses précédents films, Honoré fait transparaitre dans un conte initiatique, l'étrange et néanmoins prégnante présence de la mythologie grecque dans notre espace contemporain.

"Depuis l’origine du monde jusqu’à nos jours"

Sur les 250 aventures des dieux, Honoré n'en a sélectionné qu'une petite vingtaine, assemblées en trois parties. D’abord, la rencontre avec Jupiter qui attire Europe. Ensuite, vient Bacchus, avec la croyance comme thème majeur. Enfin, arrive Orphée et son prosélytisme brutalement interrompu.

Ces trois parties sont unies par la symbolique de l'eau. Le film débute avec des plans de rivières et de lacs sous le soleil ou sous la pluie et se termine par Europe se baignant à la recherche de sa propre métamorphose. Chaque personnage est, à un moment ou un autre, en contact avec l'eau. Philémon et Baucis n'échappent à l'inondation que pour mieux se transformer en arbre les pieds dans la rivière. Hermaphrodite et la nymphe Salmacis ne font qu'un dans la rivière. Les enfers où Orphée s'en va rejoindre Eurydice se passent de la barque de Charon pour être entièrement sous-marins. Atalante et Hippomène finissent leur course en franchissant une rivière.

Le film lui-même est enchâssé dans deux citations des vers d'Ovide. "Je me propose de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux...." sera ainsi repris et complété à la fin par : "...Dieux, qui les avez transformés, favorisez mon dessein et conduisez mes chants d’âge en âge, depuis l’origine du monde jusqu’à nos jour". C'et dire si le projet d'Honoré est bien de prolonger jusqu'à nous la trace des Dieux dans notre présent.

C'est ainsi bien à une aventure initiatique qu'est conviée notre Europe contemporaine. Elle s'en ira rejoindre ses eaux du lac qui promettent la transformation et enfin pourra-t-elle "vivre une histoire" telle qu'elle l'avait écrit avec de petits cailloux sur un rocher. Ayant méditée les leçons des dieux, elle va à la recherche de sa propre transformation alors que les soeurs Mynias s'y étaient refusé. Au spectateur que nous sommes est laissée, via Cadmus, la lecture des Métamorphoses.

"Il faudrait que tu me croies pour que ce soit profitable"

Jupiter avait conseillé "Il faudrait que tu me croies pour que ce soit profitable", Bacchus avait menacé d'être redoutable si l'on ne croyait pas en lui. Les sœurs Mynias sont l'exemple des spectateurs qui ne remplissent pas leur contrat et ne sont pas prêts à suspendre leur jugement le temps de la projection pour se laisser entrainer loin de soi. La condamnation aux eaux débilitantes n'est un châtiment terrible que pour ceux qui refusent toute transformation et restent centrés sur leur petite personne. N'ayant pas saisies leur dernière chance, les sœurs Mynias sont transformées en chauve-souris

Question croyance, Honoré en reste à des propositions les plus simples quant aux métamorphoses. Le montage se charge d'opérer la transformation dans la collure entre deux plans. Ainsi un homme devient un cerf, Io devient génisse, les soeurs Mynias sont transformées en trois chauves-souris, deux vieillards en deux troncs d’arbres noueux… Il faut faire l’effort de croire pour que cela marche sans recours au merveilleux des effets numériques.

Comme chez Bresson, les acteurs sont non professionnels. Aucune aura préalable ne leur est attachée et ils apparaissent dans leur plus grande étrangeté de dieux surgissant de l'inconnu.

Qui plus est, Honoré transforme quelques éléments d'Ovide. Diane apparait sous les traits d'une prostituée. Actéon est brutalement abattu par un chasseur et non dévoré par ses chiens. Un camion rouge remplace le taureau blanc sous l’apparence duquel se dissimule le Dieu pour enlever Europe chez Ovide. L’animal emmenait la jeune fille loin de ses compagnes de jeu, le mystérieux camion entraîne la lycéenne loin de ses camarades. Junon apparait comme fine et sensuelle, bien moins revêche et revancharde qu'à l'accoutumée. Philémon est transformé en érable et non en chêne aux côté de Baucis, transformée en tilleul. Narcisse se lève vers le ciel où sa surimpression accueille son baiser au lieu de se pencher vers son reflet et s'y noyer. En revanche Orphée revenu des morts prêche comme Jésus, Honoré s'appuyant sans doute sur le fait que le motif d'Orphée a souvent servi à représenter Jésus au sein de l'église byzantine primitive.

Tirésias est un médecin de quartier dans la cité de Lodève, Syrinx échappe à Pan en revenant de faire ses courses chez Carrefour. Les dieux ne sont pas si loin. Il faudra y penser lorsque gagne la tristesse des petits matins avec leur café froid et leur pensée désenchantée.

Jean-Luc Lacuve le 13/09/2014.

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