Amour

2012

Festival de Cannes 2012 : palme d'or Avec : Jean-Louis Trintignant (Georges), Emmanuelle Riva (Anne), Isabelle Huppert (Eva), William Shimell (Geoff), Alexandre Tharaud (Alexandre), Ramón Agirre et Rita Blanco (les concierges), Carole Franck et Dinara Drukarova (Les infirmières). 2h07.

Georges et Anne sont octogénaires, ce sont des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille, également musicienne, vit à l'étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d'un accident cérébral. L'amour qui unit ce couple va être mis à rude épreuve.

Le film a pour lui de traiter avec douceur d'un sujet difficile et d'être joué par des acteurs qui ont l'âge du rôle. Pourtant, avec une thématique aussi forte que l'amour et la mort, il semble presque toujours rester en deçà de son sujet, le rendant supportable mais presque anesthésiant à force de symbolisme.

L' Amour ...

A n'en pas douter, Georges aime Anne. Et la réciproque dut être vraie. Sans doute, Georges a-t-il vécu sans douleur le fait d'être relégué au second plan derrière sa femme qui fut une plus grande musicienne que lui. De cela, le film ne parle pas (les photos disent que cela fut beau) se donnant pour but d'enregistrer à quel point Georges ne vit que pour sa femme. Il accepte sans colère la déchéance qui s'annonce, attentif à donner à celle qu'il aime des moments de bonheur (chansons, histoires) et lui épargnant les souffrances inutiles (jusqu'aux visites de sa fille, jusqu'à l'étouffement enfin).

Haneke s'est fixé un programme et s'y tient. La dernière séquence qui voit Eva revenir dans l'appartement vide montre à quel point, il était jusque-là si pleinement occupé par le couple. Scène de cauchemar (les pieds dans l'eau), flashes mental (Anne visualisée jouant Schubert alors que ce n'est qu'un disque que Georges écoute ; Anne revenue à la vie et à la vaisselle et l'engageant à sortir de la maison), aération picturale (inserts sur les tableaux de la maison) ou par appel parcimonieux à l'extérieur derrière les fenêtres, tout cela est bien dosé.

... et la mort

Certes, Haneke fait le choix de suggérer plus que d'imposer. Ce n'est pas un film didactique sur la fin de vie, sur comment s'y prend-on avec une vieille personne en perte d'autonomie. Le film prétend explorer un amour qui va jusqu'au bout du supportable. Il prend pourtant grand soin de théâtraliser la souffrance d'Anne. Les soins difficiles dont elle doit faire l'objet sont déjà euphémisés, réduits à quelques moments délicats mais finalement assez esthétiques : le pas de deux dans les toilettes, la toilette du corps, la gymnastique, la nourriture à faire ingurgiter, l'incontinence, la couche à enfiler.

Tant est si bien que l'on ne comprendrait presque pas pourquoi Georges a recourt à une infirmière puis à deux puisque rien, sur l'écran, n'a montré en quoi il était si difficile de s'occuper d'Anne. C'est bien entendu à la connaissance du spectateur sur ce sujet que fait appel Haneke pour combler les lacunes et ellipses mais sans prendre le risque de montrer la déchéance concrète et quotidienne de Anne. Le film s'appellerait alors Mort et non Amour. Le seul moment difficile pour Georges est d'affronter la seconde infirmière à laquelle il reproche son attitude infantilisante et son évident manque de compassion. C'est un bien petit drame par rapport à ce qu'il est censé vivre.

dans un programme symbolique

Puisqu'il ne veut rien montrer de l'amour de Anne et de Georges en dehors des soins admirables de fin de vie, ni de la réalité insupportable de la déchéance d'Anne, le film se réfugie de plus en plus dans l'ellipse, l'aération, et le symbole. C'est le cri de Anne : "mal, mal, mal " comme métonymie par le seul cri de l'ensemble de la souffrance. Le comble étant la scène du pigeon ; petit animal fragile gardé tout contre soi et finalement rendu à la liberté comme une acceptation du départ vers la mort. Si le pigeon s'en est allé par la fenêtre, Georges s'en ira par la porte.

Tant qu'à faire, on se demande si l'on n'eut pas préféré un documentaire sur Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva aujourd'hui à ce pensum où toutes les scènes ont vocation à démontrer. Il n'est pas jusqu'à la voix de Jean-Louis Trintignant qui semble toujours conter. C'est bien ce rôle qu'il veut jouer après de sa femme mais le spectateur finit par ne plus entendre qu'une belle histoire.

Jean-Luc Lacuve, le 25 octobre 2012