Film Socialisme

2010

Voir : photogrammes

Un certain regard Avec : Nadège Beausson-Diagne (Constance), Mathias Domahidy (Mathias), Quentin Grosset (Ludovic), Jean-Marc Stehlé (Otto Goldberg), Agatha Couture (Alissa), Marie-Christine Bergier (Frieda von Salomon), Maurice Sarfati (Le lieutenant Delmas), Olga Riazanova (Olga Kamenskaia), Dominique Devals (Mme Hajimi), Bob Maloubier, Bernard Maris, Alain Badiou, Elias Sanbar, Patti Smith, Lenny Kaye (Eux-mêmes). Puis Marine Battaggia (Florine Martin), Gulliver Hecq (Lucien Martin), Catherine Tanvier (Mme Martin) Christian Sinniger (Jean-Jacques Martin), Élisabeth Vitali (La journaliste de FR3), Eye Haidara (Camerawoman de FR3). Puis les voix de Blandine Bellavoir, Jean-Michel Fête, Stéphane Henon, Odile Schmitt. 1h42.

Deux perroquets. Générique : logos, tekhnos, textos, videos, audios. Titre "Film socialisme". Sur des images de la mer, étale, presque noire, off : "L'argent est un bien public" dit Mathias. "Comme l'eau alors" répond Constance. "Exactement" reprend Mathias ("Vous répondez moins vite" souffle Godard). La mer est blanche sous la travée du bateau. "Alger la blanche, quand Mireille Balin laisse tomber Pépé le Moko" reprend Mathias en dirigeant son appareil photographique vers la mer. "Et nous, quand une fois de plus, on a laissé tomber l'Afrique". "Constance, vous ne pouviez pas faire autre chose. On sait bien qu'en allant au Sud les degrés de Latitude deviennent négatifs il ne nous reste que le Nord chère âme, chère amie". "Il te reste la montre marraine" crie, off, Ludovic. "Allez, terminés les crimes et le sang. Terminé Kigali. Vive les vacances" reprend Mathias. Ludovic, adolescent d'un quinzaine d'années, regarde la mer, puis, off, interroge son oncle sur le fait que cette montre vaut de l'or alors qu'elle ne marque même pas l'heure.

Carton : Des choses. Des passagers pris en photo. Le lieutenant Delmas, agent secret français lit le Figaro (La chute des bourses fait flamber le cours de l'or) puis demande au téléphone à sa centrale de se renseigner sur les identités possibles d'un criminel de guerre qui pourrait se faire appeler Henri Denicourt et peut-être Richard Christmann. L'appel pour le déjeuner est diffusé par les hauts parleurs. Déjeuner des passagers. Le soleil se couche, les passagers dansent en boite.

Il pleut sur le pont, Maloubier off: "On est loin de Byzance vous savez". "Ce qui s'ouvre devant nous ressemble à une histoire impossible. Nous voilà face à une sorte de zéro" reprend Bernard Maris. "J'ai rencontré une fois le néant. Eh bien il est beaucoup plus mince qu'on ne croit (Jaffa 1948)" termine Maloubier. Alissa nage dans la piscine.

Carton : Comme ça. Alissa court sur le pont du navire ; flotte le drapeau, une voix féminine (Mme Hajimi ?) : "Vous avez tout à fait raison, je n'aime aucun peuple, ni français, ni nord-américain ni allemand ni le peuple juif ni le peuple noir. J'aime uniquement mes amis, quand il y en a rien d'autre. Voix masculine qui se superpose sur visage femme asiatique : "Avec ses yeux fendus, format dollar, cinémascope"

Le lieutenant Delmas poursuit Ludovic sur le pont, le sommant de rendre une montre qu'il croit volée. Le gamin lui répond en allemand et en anglais. Delmas se dit qu'il pourra lui être utile. Ludovic, plus tard interroge Otto Goldberg en train de lire et l'interroge : "Herr Obersturmbannführer Goldberg, was matchen si avenue Foch en 1943 ?". Otto, qui est en compagnie de sa petite-fille, Alissa, le chasse.

Cour d'aquagym pour les passagers. C'est de nouveau le soir. Maloudier off : "Tout déplacement sur une surface plane qui n'est pas dicté par une nécessité physique est une forme spatiale d'affirmation de soi, qu'il s'agisse de bâtir un empire ou de faire du tourisme".

Il pleut sur le pont; banc de poissons. Voix féminine sur la mer, la nuit : "Chacun peut faire qu'il n'y a pas de Dieu mais aujourd'hui ce qui a changé c'est que les salauds sont sincères".

Carton : Des choses comme ça. Ludovic dans sa chambre écrit avec sa curieuse montre et le roman Akhenaton, le renégat, dessine en caractères égyptiens ALISSA. Off, sur des images de surveillance vidéo, Constance et Mathias discutent : "Arrête de te méfier de tout". "Je réfléchis à ce que nous a dit Ludo". "D'accord, quoi par exemple ?". "Le vieux avec la jeune fille, je les ai vus parler avec le capitaine". "D'accord, et alors ?". "Alors, Le nom du principal actionnaire de la compagnie : Goldberg". "La montagne d'or" jette alors Ludovic. "Oui, est le nom du vieux monsieur". D'accord"

Sur des images de la mer blanche, fendue par le bateau, les hauts parleurs diffusent un message d'exercice appelant à abandonner le navire. Des chats miaulent. C'est Alissa qui les a sur son ultra book et qui déclare : "Miao, c'est comme ça que les anciens égyptiens appelaient leurs chats". Dans la même cabine sans doute, Goldberg et sa compagne Frieda regardent des images d'actualité sur des vagues de bombardiers alliés qui écrasent le IIIe Reich sous les bombes. Il est alors indiqué que la Luftwaffe tenta de reprendre l'avantage à l'aide d'une nouvelle tactique terrifiante : les pilotes allemands lancent leur propre appareil contre les bombardiers ennemis.

Goldberg et Alissa observent la piste de danse. "Est-ce que tu savais que kamikaze en japonais ça veut dire divinité du vent ?" interroge le grand-père. "Bien sûr" répond Alissa.

Alors que les passagers déjeunent, la Major Kamenskaia, écoute à leur porte la télévisons en allemand. Elle est prise à parti par un homme (le lieutenant Delmas, hors champ) qui se déclare un ami de sa marraine, Alexandra Irinivna, l'ancienne chef de la Police judiciaire de Moscou. Il a lu ses livres et veut parler avec elle (comme il bredouille Godard l'encourage). Mathias, le photographe rode dans les couloirs.

Escale à Alger vue au ralenti. Femme de ménage dans une chambre. Sur un écran très coloré, un couple de touristes déjeune. Off Bernard Marris interroge Rebecca : "Et à Haïfa vous pensez y rester ?" Rebecca : "Je suis venue voir. Ils disent qu'il y a une loi du retour mais pour moi il s'agit d'un aller pour l'instant. Bernard Marris : "A Stanford, vous étudiez quoi exactement". Rebecca: "Je dirige un séminaire, création monétaire et création littéraire..."

Dans la chambre de Delmas, Kamenskaia déclare : "Vous voyez encore aujourd'hui ce qu'on se demande à Moscou, 35, 36 la guerre civile espagnole. Les républicains chargent le Kominterm d'évacuer l'or de la banque espagnole". Delmas : "La compagnie France navigation". Kamenskaia : "En arrivant à Odessa un tiers un quart a disparu et encore un tiers à Moscou". Delmas : "Pour le premier tiers, j'ai mon idée. Pour le dernier, il faudra fouiller profond les archives communistes. Willy Muzenberg" lui dit-il à l'oreille. Le port la nuit. Patty Smith et son guitariste répètent dans une chambre.

Constance interroge Maloubier sur Darlan et l'Afrique du Nord. Ils sont perturbés par Alissa qui se cogne à la vitre et finit par tomber dans la piscine. Constance et Mathias sont sur le pont encore humide de pluie : "Tu veux que je te dise mon avis. Le sida n'est qu'un instrument pour tuer tous les noirs du continent". Le photographe : "Mais j'y pense : à cause de quoi la lumière ? A cause de l'obscurité".

Carton : Comme ça. On annonce aux haut-parleurs un jeu de Bingo. Bernard Maris dit devant la machine à sous à l'attention de Maloubier : "Normal, l'argent a été inventé pour ne pas regarder les hommes dans les yeux". Maloubier : "Alors on revient à zéro, cher monsieur. Heureusement, les Arabes l'ont inventé. On ne leur paye même pas des droits d'auteur". Bernard Maris : "Normal les nombres négatifs sont venus des Indes et ils ont fait halte quelques temps en Arabie avant de débarquer en Italie. Fibonacci les a utilisés en premier. Quand les Anglais ont quitté Israël, vous avez fait quoi exactement avec l'or de la banque de Palestine ?". Maloubier, montrant sa dent en or : "Here my dear chap, here!". C'est le soir. Patty Smith et son guitariste chantent dans un couloir. Constance se cherche une place à table.

Carton rouge et blanc : Des choses comme ça. Kamenskaia parle du comparable et de l'incomparable, du décret de la comédie française signé par Napoléon pendant l'incendie de Moscou Goldberg la rembarre en allemand. Elle veut récupérer le reste de l'or : son seul travail : herr Krivitzky" dit-elle en interpellant Otto. Elle veut voir le mot Russie et le mot bonheur s'accrocher de nouveau comme deux plaques de ceinturons.

Images de massacres sur un film en terres islamiques. Constance interroge : "N'empêche Naples d'accord. Mais Alexandrie, Haïfa, Odessa pour faire Alger-Barcelone ?". Mathias la calme. Des passagers sortent d'une salle et applaudissent. Ludovic et Alissa jouent au ballon. Ils s'assoient. Ludovic examine le collier de pièces d'or au cou d'Alissa. Quand elle parle, il lui dit : "le silence est d'or". Les passagers jouent au bingo.

Maloubier, le matin sur le pont croise M. et Mme Hamjiri à laquelle il déclare : L'islam est l'occident de l'orient (Rudyard Kipling)". Yala réplique Mme Hamjiri.

Port d'Alexandrie la nuit. Carton : Egypte. Pyramides et Dieux.

Le bateau est parti du Caire. Maloubier commente désabusé sur des images publicitaires pour le bingo et de touristes à table : "Une fois, en 1942, j'ai rencontré le néant… Hé bien, il est beaucoup plus mince qu'on ne le croit. Casablanca, Alger, Le Caire…"

Rebecca (off) la main sur la vitre : "To be or not to be… Une juive… Oui on me l'a dit… Mes parents, et alors ? Dire ne suffit jamais…"

Conférence de Badiou sur les origines de la géométrie : "…de la géométrie comme origine. L'origine étant toujours ce à quoi on revient, nous assistons, depuis plusieurs décennies, en mathématiques en particulier, à un retour de la géométrie. L'idée n'est donc pas que la géométrie doit retourner vers son origine, mais plutôt que nous devons, nous, nous retourner vers la géométrie comme origine et… participer au retour de la géométrie… "La salle de conférence est déserte. Les passagers sont appelé à prendre leur temps pour faire leurs courses.

Sur des images des côtes de Haïfa, Constance (off) : "Pauvres choses, elles n'ont à elles que le nom qu'on leur impose. Mathias (off) "Il n'y a rien de plus commode qu'un texte. Nous n'avons que des livres à mettre dans les livres mais, quand il faut, dans un livre, mettre de la réalité, et au deuxième degré, quand il faut, dans la réalité, mettre de la réalité". Arrivée à Haïfa

Carton : Abii ne viderem (Je suis allé les voir). A table, Frida lit à Alissa le cours sur la géométrie de Badiou : "Géométrie qui ne cesse d'avoir cours. Et en même temps de s'édifier, demeurant à travers toutes ses nouvelles formes, LA géométrie…". Alissa qui joue avec els verres ironise : "Do, ré, mi, fa, sol, la…" Frieda ne se démonte pas : "Husserl souligne le LA : LA géométrie…" "J'en parlerai ce soir. Je dois travailler dit Elias Sanbar qui quitte sa table.

Ludovic offre à Alissa La porte étroite de Gide en livre de poche. Alissa emmène Ludovic sur la piste de danse tandis que son grand-père commente : "...continuèrent de s'entretenir quelque temps à voix basse, pour que la jeune fille ne les entende pas. Mais cette précaution était inutile, elle s'entretenait avec ses pensées". De son côté, Mathias énonce off : "En tant que l'ensemble de ces parties, où la somme de ces parties, à un moment donné, nie- en tant que chacune contient le tout - la partie que nous considérons ; en tant que cette partie les nie, en tant que la somme des parties, redevenant l'ensemble, devient l'ensemble des parties liées…vient vers lui". Delmas, lui est furieux : "Je les dresserai ces deux là !"

Mathias rejoint le bureau de Sanbar : "Une pensée dialectique, c'est d'abord, dans un même mouvement, l'examen d'une réalité en tant qu'elle fait partie d'un tout, en tant qu'elle nie ce tout, et en tant que ce tout la comprend, la conditionne et la nie, en tant que, par conséquent, elle est à la fois positive et négative par rapport au tout, en tant que son mouvement doit être un mouvement destructif et conservateur par rapport au tout…". Survient le docteur Hamjiri. "La photographie d'une terre et de son peuple, enfin !". Les deux hommes se saluent et Sanbar précise : "Ecoutez, après réception de Daguerre par Arago à l'Académie des Sciences, une armada de majorité britannique, donc bien avant la déclaration de Lord Balfour, se précipitait en Palestine". Et, alors que les passagers débarquent à Haïfa, "Voici l'une des premières photographies de la baie de Haïfa…". Cartons : Palestine puis Access denied.

Le bateau a repris la mer. Carton Odessa, son escalier aujourd'hui. Extrait du Cuirassé Potemkine.

Carton : Hell as. Guitariste sur le pont. Casino et messe sur le paquebot. On prend des photos le jour, la nuit.

Le lieutenant Delmas est sur un poste Internet dans les couloirs intérieurs du navire. Il a reçu les renseignements qu'il avait demandés sur Richard Christmann et les commente avec Olga Kamenskaia :

"Alors, Otto Goldberg, Lépold Krivitzky, et même Moïse Schmucke, disent les passeports… Mais on prononce Richard Christmann en fait. Les Français l'ont bien connu, puisqu'il travaillait pour le contre-espionnage allemand et le leur. Débuts dans la légion étrangère après l'Espagne, puis avec des réseaux de résistance dans Paris occupé pour le compte de l'Abwehr… Après la défaite allemande, il continue de faire partie des restes de l'organisation Gehlen, le major Giske, le FLN algérien… Enfin, il termine à Tunis, représentant de Bayer et de Rhône Poulenc… Plusieurs attentats, acquitté deux fois…."; Olga répond alors "Comme Henri Déricourt". "Ah non, ça c'est une autre histoire…réplique Delmas. "Criminel de guerre, peut-être pas, mais, tortionnaire. Mais vous le savez, lieutenant Delmas, Alice Simmonet…" répond Olga. "Comment vous le savez ?". Olga réplique : "Le livre de Roger Faligot… Les archives du NKVD… Ça expliquerait que seulement deux tiers de l'or espagnol soient parvenus à Odessa, mais pas pourquoi Moscou n'a reçu également qu'un tiers… Le réseau du Musée de l'homme… Germaine Tillon… Alice… Monsieur Fontes…"

Dans la cabine d'Otto Goldberg qui lit, on entend Alissa et Ludo :

"L'esprit emprunte à la matière les perceptions dont il fait sa nourriture. L'esprit… L'esprit emprunte à la matière les perceptions dont il fait sa nourriture. L'esprit… L'esprit… L'esprit emprunte à la matière les perceptions dont il fait sa nourriture… (Et les lui rend... Il faut que tu fasses la phrase en entier.). Mais oui ! L'esprit emprunte à la matière les perceptions dont il fait sa nourriture et rend, sous forme de mouvement auquel il a imprimé sa liberté…"

Des gens se promènent dans les couloirs, même Bob Maloubier discute au bar. Des touristes photographient eu sorte de défilé de mode. Constance la nuit sur le pont, avec du vent : "Cette pauvre Europe, non pas purifiée, mais corrompue par la souffrance. Non pas exaltée, mais humiliée par la liberté reconquise. Immagina un deserto…"

Carton Napoli : Off "Immagina un concerto, Non è stato scritto, Immagina… la luce che… Sono io senza te… chante Mina". Sur la piste de danse, enfants et adultes dansent chacun sur dancefloor. Dans une galerie de peinture, Frieda interpelle Otto : "Vous avez vu, ils ont supprimé les paradis fiscaux". Alors on va faire quoi ?". "Et bien, on restera en enfer…" répond Otto. Off on entend ":…euh, l'Italie ça nous a un petit peu trop occupé depuis 2000 ans, pour tous les Français, la peinture c'est l'Italie, tous les voyages de noces se font en Italie, ce sont les musées italiens alors que la peinture allemande de la Renaissance est pour moi quelque chose d'extrêmement passionnant parce que… (Claude Simon). Merci pour ces renseignements répond Otto en s'en allant. Entre alors Delmas qui interroge : "Alors, vous allez faire quelque chose ?". Constance répond : "Vous savez, toutes ces résolutions avortées… Les Nations Unies sont un peu désunies depuis 48, peu importe le crime, alors lui… Vous savez tout, m'a dit Ludovic ? Alors vous devez aussi savoir qu'ils m'ont virée." (Chanson de Barbara). Mathias : Mes amis, j'ai trouvé : La boîte noire, voilà pourquoi Hollywood s'appelait La Mecque du Cinéma… Le tombeau du Prophète… Tous les regards dans la même direction… La salle de cinéma…

Otto off : Jawohl, aber… Une chose étrange est qu'Hollywood ait été inventé par des juifs (carton : Des choses) : Adolf Zukor, William Fox, David Zelnick, Samuel Goldwyn, Marcus Loew, (carton : comme ça) Carl Lemle, etc…

Les passagers se font prendre en photo avec le capitaine du Costa Concordia puis débarquent. (Off chanson de Paco Ibanez : La vida es bella ya veras, Como a pesar de los pesares, Tendras amigos, tendras amor, Tendras amigos…). Carton Barcelone. Corrida, manifestation et pièces d'or.

 

Notre Europe : Quo Vadis Europa. En Savoie devant le garage Martin, Florine lit Les Illusions perdues de Balzac, un lama attaché à côté d'elle. Son père s'inquiète, de savoir pourquoi elle et son frère n'aiment plus leurs parents.

Une journaliste et une caméraman de FR3 Regio veulent faire un reportage sur ces enfants qui se présentent aux cantonales sans leur nom de famille en demandant à parler de liberté, égalité, fraternité. Quand on parle, où entent-on sa voix ? s'étonne Florine. Les enfants ne se laissent pas filmer et font peu de cas des journalistes : "Si vous vous moquez de Balzac, je vous tue" ; "N'utilisez pas le verbe être, utiliser plutôt le verbe avoir: tout ira mieux en France accueillir plutôt". Le jeune garçon mime un chef d'orchestre et peint comme Renoir.

Les enfants font partie du peuple et çà éxiste la volonté des peuples. Le 4 aout de chaque année ils ont signé une convention pour un débat démocratique : "Do not have my heart in my mouth.. L'autre est dans l'un. L'un est dans l'autre et ce sont les trois personnes

Vivre ou raconter on n'a pas le choix, avoir 20 ans, avoir de l'espoir. Florine: l'union parfaite de deux voix empêche somme toute le progrès de l'une vers l'autre.

Aujourd'hui où les salauds sont sincères, les enfants ont leur chance, le conseil d'Etat n'a pas validé une première élection mais, maintenant, à la seconde, ils obtiennent 93 % des suffrages.

Carton Nos humanités : Visite de six lieux de légendes : Egypte, Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone. Tragédie et démocratie sont nées à Athènes et cela a donné la guerre civile. Qui résoudra la formule d'Einstein x+3=1 ?

Un dernier carton : No comment.

Premier film après l'exposition Voyage(s) en utopie du centre Pompidou, Film Socialisme en reprend la structure en trois parties. Voyage (s) en utopie exposait "Le théorème perdu", celui qui permet de trouver la solution de l'équation x+3=1. Le parcours consistait à explorer avant-hier (première salle de l'exposition, nommée -2), puis hier (nommée 3) pour aboutir à aujourd'hui (troisième salle nommée 1). Il consistait, en reprenant les mots associés aux salles à "avoir été" et "à voir" pour "être".

Film Socialisme inverse ce parcours en explorant dans sa première partie nommée "Des choses comme ça", tout à la fois le présent et le verbe être. La seconde partie, "Quo vadis europa", est celle de l'avoir, entendu aussi comme à-voir et parle du futur. La troisième est celle de l'avoir-été, de l'histoire.

Godard dresse un portrait peu glorieux de notre présent dans un voyage sur le Costa Concordia tout aussi mystérieux que sont mystérieux ses passagers et leurs motivations. Dans la seconde partie, Godard propose donc de cesser d'être stable, satisfait, pour privilégier, contre la doxa habituelle, l'avoir sur l'être. Il faut donner du sens, des armes aux exclus, de l'avoir, tout ce qui est à voir aujourd'hui comme demain avec les enfants. La troisième partie est un appel à la vigilance.

Un voyage et des passagers mystérieux

La croisière passe par un certain nombre de ports identifiés mais, avant celui d'Alexandrie, le paquebot semble faire halte à Alger et serait peut être parti de Casablanca. Au départ d'Alexandrie, Maloubier, désabusé, commente sur des images de pub pour le bingo et de touristes mangeant : "Une fois, en 1942, j'ai rencontré le néant… Hé bien, il est beaucoup plus mince qu'on ne le croit. Casablanca, Alger, Le Caire…". On aurait alors après le départ de Casablanca, une première escale à Alger, puis Alexandrie (proche du Caire dans l'esprit de Maloubier), Haïfa. Comme l'accès à la Palestine est "denied", en compensation, Godard nous offre Odessa (pure projection car située sur la mer noire et réduite à son seul escalier célébré par Eisenstein) et sans doute tout ce qui concerne la Grèce, désignée sous le terme générique de "Hellas" à la fois terme antique, de la même racine que les Hellènes, et par lequel les Grecs désignent parfois leur pays. Si les références sont nombreuses : la démocratie et la tragédie ayant engendré la guerre civile, Ulysse, Antigone, Cassandre aucun port n'est identifiable, cité ou vu. Odessa et Hellas sont les plus proches du terme "Nos humanité" et ne sont ainsi pas des lieux réellement visités mais des lieux mythiques qui prendront toute leur importance dans la troisième partie partie. Dans celle-ci, suite à la même succession Odessa-Hellas, la voix off dira : "Napoli. Réintroduisons, en effet, la durée". Le Paquebot est en effet montré dans le port de Naples, avec une halte dans une galerie de peinture, avant la dernière traversée vers Barcelone.

Le port d'Alger, de jour et de nuit, où a lieu la première discussion entre Delmas et Olga
 
Le port d'Alexandrie
 
Le port d'Haïfa
 
Le port de Naples (après les voyages imaginaires à Odessa et Hellas)
 
Fin du voyage, débarquement à Barcelone

S'il y a de la difficulté à reconnaitre les escales, il y en a tout autant à identifier les personnages à bord du paquebot. C'est la journaliste noire, Constance, et Mathias, le photographe qui se font d'abord entendre puis que l'on voit ensuite. Ils sont en vacances après un dur reportage en Afrique. Ils sont respectivement la marraine et l'oncle de jeune Ludovic. Celui-ci a pris la montre de sa marraine qui l'a beaucoup intriguée. Pour cela, il sera repéré par le lieutenant Delmas, espion français qui, lorsqu'il s'aperçoit que Ludovic parle allemand, le charge d'aller interroger Otto Goldberg. Le lieutenant Delmas soupçonne en effet Otto Goldberg d'être Richard Christmann.

Ludovic va donc interroger Otto Goldberg sur sa possible présence avenue Foch en octobre 43. Selon Delmas, Richard Christmann, personnage historique bien réel, espion travaillant pour le compte des nazis dans l'Abwehr, le contre-espionnage allemand, aurait pu se trouver dans la villa de Neuilly ou Jean Moulin a été torturé à mort par Klaus Barbie. A l'occasion de cette brève question posée en allemand sur le pont du navire à Otto Goldberg, Ludovic rencontre la petite-fille de Goldberg, Alissa, qui voyage avec lui et sa compagne, Frieda von Salomon. Et, bien sûr, Ludovic racontera tout à Constance et Mathias qui vont aussi s'intéresser à Otto Goldberg. Mais celui-ci est aussi recherché par l'espionne russe, la major Olga Kamenskaia. En 1940, dans le scénario raconté cette fois par Olga, Richard Christmann aurait participé au détournement de l'or espagnol entre Barcelone et Odessa. La major Kamenskaïa est chargée de retrouver la trace de l'or disparu pour le compte du gouvernement russe. Avec Delmas, ils concluront que Christmann fut en outre l'un des responsables de l'arrestation des membres du réseau du Musée de l'Homme, dont Alice Simmonet, qu'il aurait torturé. On le retrouve ensuite au service du FLN algérien, puis, ce qui est historiquement exact, représentant de Bayer et de Rhône-Poulenc en Tunisie. Richard Christmann utilisa les différents pseudonymes de Léopold Krivitsky, Markus, et Moïse Schmucke, et actuellement celui d'Otto Goldberg.

Voyage également sur le paquebot, Bob Maloubier, qui joue son propre rôle d'ancien espion français en vacances discutant avec Bernard Maris où interpellant le couple de palestiniens, M. et Mme Hajimi. Bernard Maris discute à plusieurs reprise avec une femme qu'on entrevoit à peine, et qui est peut-être Mme Hajimi, en tout le cas une universitaire qui enseigne à Standford et qui aimerait bénéficier de la loi du retour pour revenir en Palestine. L'historien Elias Sanbar et le philosophe Alain Badiou, chargé dune conférence sur la géométrie qui n'intéresse pas les passagers, Patti Smith et son guitariste, Lenny Kaye, sont également du voyage.

Notre siècle n'a plus de centre, même l'image se dissout, contaminée, infectée par la télévision et le numérique des arrêts sur images comme ceux des DVD défectueux qui se bloquent ou pixelisent avant une saute de plusieurs images. Au centre ne restent que des occupations populaires corrompues par la foule, l'aquagym ou danse, au meilleur, le football, en passant par la corrida.

Etre, Avoir et Avoir été

Toute cette première partie est placée sour le signe de l'or. Qu'est devenu l'or des républicains espagnols entre Odessa et Moscou ? Qu'est devenu l'or de la banque de Palestine lorsque l'armée britannique se retire d'Israël ?

Le premier plan de Film Socialisme représente un couple de perroquets sur la branche d’un arbre ; "perroquet", loro en espagnol. D’or, il en est sans cesse question. C'est le gros titre du Figaro que lit Delmas, c'est la matière de la montre qui n'indique pas l'heure, c'est le collier de pièces qu’'Alissa porte autour du cou, c'est le nouveau nom d'emprunt de Richard Christmann, Otto Goldberg, "la montagne d’or", comme le traduira Ludovic. L'intrigue qui lie les principaux voyageur du Costa Concordia est celle qui tente de résoudre le mystère du transport, durant l’automne 1936, des réserves de la Banque d’Espagne vers l’URSS. Ce trésor, plus connu sous le nom d’ "Or de Moscou", est acheminé vers Carthagène à partir du 14 septembre 1936, puis chargé sur quatre navires soviétiques, qui partent pour Odessa le 25 octobre. Godard réécrit cette histoire en imaginant que cet or est embarqué à Barcelone en 1940, sur un bateau de la compagnie France Navigation, fondée en 1937. A son arrivée à Odessa, le navire aurait perdu un tiers de sa cargaison, volé par les allemands, et encore un tiers pendant le trajet jusqu’à Moscou, détourné cette fois-ci par Willi Münzenberg, le responsable de la propagande du Komintern en Occident. Godard bâtit ainsi une légende à partir de plusieurs données historiques contradictoires, mais n’oublie pas d’inclure deux fois, dans la première et troisme partie le véritable port de départ de cet or, au prix d’un autre paradoxe, géographique celui-là, l’amphithéâtre romain de Carthagène se trouvant inclus dans une série d’images de la Grèce.

La seconde partie se situe dans le garage Martin en Savoie. C'est une référence à un réseau de résistance " Famille Martin ", une organisation de la région de Colmar, chargée de faire passer les Vosges puis la frontière suisse aux prisonniers de guerres et aux réfractaires alsaciens. A la toute fin de la seconde partie, il est fait allusion à un second groupe de résistance dont la devise était "Libérer et Fédérer" situé à Toulouse. Par deux fois, Florine refuse l'emploi du verbe être qu'elle préconise de remplacer par avoir. Et tout ira mieux en France dit-elle. Tout irai mieux si les enfants ou les exclus avaient un peu plus d'avoir. Les enfants qui obtiendraient 93 % des voix aux élections ; les exclus que sont ces animaux solitaires, lama et poney, attaché ou porteur d'une lourde charge.

Dans la troisième partie, l'histoire nous enseigne que Tragédie et Démocratie sont nées en même temps et ils n'ont eut qu'un seul enfant : la guerre civile. En rappelant celles qui eurent lieu en Palestine comme dans la Grèce déchirée des années 1946-1949, dans l'Athènes de la fin du Ve siècle av. J.-C. ou à Odessa en 1905, à Barcelone en 1937 ou à Naples en 1943, Godard montre aussi de la résistance, de l'insurrection, c'est-à-dire de la possibilité d'un surgissement. "Quand la loi n'est pas la justice alors la justice passe avant la loi" proclame l'avant-dernier carton (sur un appel à la résistance face au copyright video). Le "no comment" final rend encore plus explicite l'appel au combat pour la justice. La fin de l'histoire, l'avènement dans le monde du socialisme, "un sourire qui congédie l'univers" dit-il dans le bonus du DVD en reprenant la définition de Denis de Rougemont, n'est probablement pas arrivé.

Jean-Luc Lacuve le 29/06/2014.

critique du DVD
Editeur : Wild Side Video, janvier 2012. 12 €.
Analyse DVD

Supplément : Entretien avec Jean-Luc Godard (60 mn)