Marie-Octobre

1958

Avec : Danielle Darrieux (Marie-Hélène Dumoulin, dite Marie-Octobre), Paul Meurisse (François Renaud-Picart, industriel), Bernard Blier (Julien Simoneau, avocat d'Assises), Robert Dalban (Léon Blanchet, serrurier), Paul Frankeur (Lucien Marinval, mandataire aux Halles), Daniel Ivernel (Robert Thibaud, médecin), Serge Reggiani (Antoine Rougier, imprimeur), Noël Roquevert (Etienne Vandamme, contrôleur des contributions), Lino Ventura (Carlo Bernardi, patron de boîte de nuit), Paul Guers (Père Yves Le Guen), Jeanne Fusier-Gir (Victorine, la gouvernante). 1h40.

De nombreuses années après la Libération, neuf anciens résistants du réseau "Vaillance" sont invités dans un château par Marie-Hélène Dumoulin, dite Marie-Octobre, aujourd'hui directrice d'une maison de couture. Jadis leur réseau fut démantelé et leur chef tué.

Marie-Octobre rappelle ce drame à ses compagnons puis leur déclare qu'il y a un traitre parmi eux et que cette réunion a pour but de le démasquer. Chacun des invités, à tour de rôle, exprime alors ses soupçons : M' Simoneau, l'avocat; Blanchet, l'ouvrier; Marinval, le boucher; l'abbé Le Gueven; le docteur Thibaud; Renaud-Picart, le commanditaire; Rougier, l'imprimeur; Vandamme, le contrôleur des contributions et Bernardi, le tenancier de boîte de nuit. Marie-Octobre et Victorine, la vieille servante, sont également suspectées.

Après maints affrontements, il s'avère que Rougier s'était approprié une somme importante destinée au réseau, avant d'abattre Castille, leur chef, à la fois par intérêt et par jalousie, au moment où la Gestapo investissait les lieux où se trouvaient réunis tous les membres. Démasqué, Rougier se fait suppliant, mais Marie-Octobre, dont Castille fut le seul amour, se saisit d'un revolver et l'abat avant de se livrer à la justice.

Il s'agit d'un jeu de détective qu'Hitchcock méprisait ouvertement sous le vocable "whodonit" : qui l'a fait ? En l'occurrence, ici, il s'agit de savoir qui, parmi les neuf hommes et les deux femmes, est à l'origine de la mort de Castille, leur chef dans la résistance, quinze ans auparavant.

Le contexte de la résistance est à peine évoqué dans les dialogues : réunions clandestines, missions de transports de fonds, marché noir et cartes de rationnements. C'est bien davantage le contexte de la fin des années 50 qui prédomine. La concorde semble régner parmi ces hommes et ces femmes aux statuts sociaux si différents. Il suffit pourtant d'un vote à bulletins secrets pour que tout vole en éclat. Le plus intellectuel, l'avocat, est soupçonné par tous. Les acteurs, au jeu très marqué, contribuent à faire de chacun un archétype (avec des dialogues ciselés par Henri Jeanson). Chacun reste dans la bulle de son jeu (acteur) ou de son métier (personnage) et jamais ne se noue un réseau d'amitiés ou d'inimitiés. On est dans ce monde sans chaleur et sans idéal que critiquent déjà les tenants de la nouvelle vague, porteurs de sentiments plus frémissants. Même Danielle Darrieux n'est guère convaincante en amoureuse perdue dans le souvenir de l'homme aimé autrefois.

Duvivier en est bien conscient. Il introduit plusieurs séquences de catch dans son film. Ces séquences sont d'autant plus surprenantes qu'elles sont visualisées plein écran. C'est notamment le cas de la première qui parait totalement étrange et explicable avant de comprendre qu'il s'agit de Lucien Marinval, passionné de ce sport, regardant la télévision. Les séquences de catch interviennent quatre fois au cours du film comme un commentaire de ce qui se déroule sur le plateau. On peut y voir une sorte  de méta-critique du film (un jeu où chaque acteur en fait des tonnes) plus que du jeu censé être dramatique entre les personnages.

Cela n'empêche pas pour autant Duvivier de soigner sa mis en scène : travelling avant inquisiteur sur les personnages et surtout jeu de plongées et contreplongées avec, dans ce cas, un abaissement des plafonds comme Orson Welles l'avait utilisé dans Citizen Kane (1941) pour accentuer la pression sur les personnages.

Contreplongée et plafond rabaissé dans Citizen Kane
 
Contreplongée et plafond rabaissé dans Marie-Octobre

Jean-Luc Lacuve, le 23/09/2018