Une pluie sans fin

2017

(Bao xue jiang zhi). Avec : Duan Yihong (Yu Guowei), Jiang Yiyan (Yanzi), Du Yuan (L’officier Lao Zhang), Zheng Wei (Xiao Liu). 1h59.

Un homme sort de prison. Son passé lui revient en mémoire.

Un jour de ciel gris de 1997, la moto  de Yu Guowei tombe en panne. Il la pousse jusqu'au lieu où la police l'a appelé pour la suppléer. Il n'est que le détective, chargé de la sécurité de l'usine mais il s'investit tellement dans ce travail que tout le monde l’appelle « Détective Yu ». Le capitaine de police a de l'affection pour lui. Il lui révèle que le cadavre ensanglanté de la jeune femme à moitié dénudée, dans l’herbe à quelques pas de l'usine voisine est la troisième victime d’un tueur en série. Yu Guowei la photographie et convoque au poste de police tous les ouvriers en congé ce jour là pour que le capitaine prenne leur déposition. Le capitaine est importuné par cette décision mais pour ne pas humilier Yu devant les ouvriers accepte qu'il prenne leurs noms et leurs empreintes.

Yu Guowei est vénéré par son second, le jeune Xiao Liu qui l'appelle maestro. Tous deux se mettent en planque sur le lieu du crime et comme Yu l'espère un homme approche et fuit. Ils le rattrapent mais le relâchent tant sa bonne foi est évidente. Yu est cette année 1997 désigné comme l'un des meilleurs ouvriers de l'usine et c'est un honneur rare pour un agent de sécurité. Il est même invité à prononcé un discours. Emporté par son enthousiasme, il se déclare prêt à sacrifier sa vie pour la sécurité de tous.

Lors du ratissage du terrain du quatrième meurtre Yu trouve une clé et tend un piège au tuer en affichant la photographie à la porte de l'usine. L'un deux s'y attarde. Yu et Xiao Liu le poursuivent. Ce dernier fait une chute et Yu poursuit seul la traque parvenant juste à arracher une chaussure au meurtrier....

Le film a l'ambition d'inscrire le parcours de son héros dans un contexte social et politique qui lui apporterait un supplément d'âme tout comme la pluie, abondamment versée par les décorateurs, lui donnerait une dimension métaphysique. Mais, faute d'incarner  ces dimensions dans le personnage,  tout juste motivé par une ambition personnelle qui  donnerait un sens à sa vie, le film se réduit à une course poursuite convenue.

Un contexte social aussi décoratif que la pluie

On finit par comprendre, par une seule phrase de dialogue, que le choix de l'année 1997 est motivé parce c'est à quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Cela est supposé ouvrir à de grands changement mais ne génère ici que le rêve lointain pour Yanzi d'ouvrir un salon de coiffure très rentable.

En situant l'action dans la province du Hunan, à Hengyang, site industriel majeur du sud de la Chine devenu un no man’s land à la fin des années 1990, le film établit un parallèle entre son anti-héro et les vestiges de la glorieuse industrie lourde chinoise. C'est par le dialogue qu'est établit le parallèle au début du film lorsque Yu Guowei décline son identité: Yu comme "vestige", Guo comme "nation" et Wei comme "glorieux". A la fonctionnaire pénitentiaire qui lui demande de préciser quel est son nom de famille parmi les trois, il répond "Yu comme inutile". A la fin, la destruction de l'usine en 2008 devant les ouvriers qui y travaillèrent en fait les vestiges inutiles d’une nation glorieuse.

Les intentions sont transparentes mais non incarnées dans le personnage. Le vieux vigile à la fin refuse de croire que Yu fut ouvrier. Il n'est qu'un fantôme ayant sacrifié sa vie personnelle à la recherche d'une gloire possible s'il avait arrêté le serial-killer. Et le film ne travaille jamais le déclassement de la classe ouvrière. L'usine comme la pluie sont un décor constant qui ont une incontestable présence atmosphérique mais, faute d'une utilisation plus intense, ne génèrent pas d'émotion.

Lors de la destruction de l'usine, You se mêle aux ouvriers mais la dimension collective n'est pas incarnée. Ce n'est que son rôle d'ouvrier modèle qu'il regrette avec la disparition de l'usine.

Un film de détective plus qu'un film noir

Le romanesque de l'histoire avec Yanzi est faible tant Yu semble totalement manquer de désir ou d'amour pour elle et ne l'utiliser que comme un appât. Son suicide ne sert qu'à motiver le crime final de Yu envers un suspect manifestement innocent. Le suicide est en effet montré au travers d'un flash-back qui explique sans doute que Yu soit ensuite à bout. Mais du coup, ce suicide n'est plus traité au premier degré comme une tragédie amoureuse.

Ce n'est là que l'aboutissement d'une longue suite de péripéties qui font le vide autour de Yu sans que celui-ci semble vraiment souffrir de la disparition de ceux qui lui ont porté de l'affection. Au lieu d'un film noir avec le destin pesant sur les personnages, on a une suite de coups du sort trop scénarisés : la mort de Xiao Liu, d'une hémorragie ; une courte séquence montre le licenciement, y compris de Yu, de la presque totalité du personnel, la femme du bal populaire et Yanzi, puis le capitaine enfermé dans la  maladie. De même la succession d'initiatives du détective fonctionnent juste ce qu'il faut pour faire avancer l'enquête (la planque initiale, fausse piste de amateur de ragots, la découverte de la clé sur le lieu du quatrième mort et la poursuite de celui qui la regarde).

Le carton final indique que la vague de froid qui va s'abattre sur la province du Hunan fera des centaines de morts comme si la vraie vie, celle qui va être ôtée dans la souffrance était ailleurs. Loin de Yu qui ne saura jamais qui était ce serial killer qui aurait pu le rendre célèbre.

Jean-Luc Lacuve , le 5 aôut 2018