Nuestras madres

2019

Festival de Cannes 2019 Avec : Armando Espitia (Ernesto), Emma Dib (Cristina), Aurelia Caal (Nicolasa), Julio Serrano Echeverría (Juan). 1h17.

Guatemala, 2018. Le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile qui a fait 200 000 morts dans sa période la plus dure entre 1981 et 1983. Les témoignages des victimes s’enchaînent. Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, Nicolasa, il croit déceler une piste qui lui permettra de retrouver la trace de son père, Emilio, un guérillero disparu en 1982. Contre l’avis de sa mère, il plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche de la vérité et de la résilience. Il se rend avec Juan, son collègue et ami, sur les hauts plateaux dans le village de Nicolasa. Mais le lieu du charnier est sur un terrain privé. Faisant fi de toute pratique déontologique, Ernesto paie pour y être conduit; sans toutefois pouvoir creuser. Il accepte d'entendre les témoignages des femmes mayas.

Revenu à Guatemala city, Ernesto apprend de son chef que les os de son père ont été retrouvés dans le cimetière municipal. Ls examens d'ADN lui apprennent que, s'il s'agit bien d'Emilio, ce n'est pas son père. Sa mère accepte alors de témoigner au procès. Elle a été torturée et violée pendant six mois dans une prison. En sortant, elle était enceinte de cinq mois et, pour protéger son fils, a gardé le silence. Sur les hauts plateaux, les femmes mayas assistent les anthropologues qui déterrent et documente le charnier. 

Le film met en scène la difficulté de retrouver la vérité et d'intenter un procès de crime contre l'humanité à partir du témoignage des survivants. C’est un travail de fourmi effectué par l'association indépendante dirigé par le chef d'Ernesto dont les relations avec les juges sont fragiles et soumises à de protocoles strictes et sous surveillance de la police. Le travail est onéreux et interminable pour retrouver les fosses. Ernesto ne croit découvrir celle de son père que lorsque des gens des villages se décident à parler. Après, il faut enchainer les tests scientifiques d'ADN, la manipulation des ossements, la reconstitution des corps, la vérification des trajectoires des balles. Ernesto, mu par une recherche personnelle, est seul dans sa volonté obstinée alors que les accords de paix ne permettent guère d’avancer :"Je ne te dis rien, tu ne me dis rien, je ne te juge pas, tu ne me juges pas" ... et rien ne bouge. Il sait aussi que sa mère elle-même, Christina, lui cache quelque chose. Cette recherche ardue de la vérité a fait perdre à Ernesto toute libido en travaillant nuit et jour sur les dossiers des disparus.

Le Guatemala est le lieu de l’une des premières opérations noires de la CIA. La première invasion américaine sur le continent date de 1954, avec la mise en place d’un dictateur militaire. Les États-Unis contrôlaient le commerce de la banane, qu’ils ne payaient pas, ils ont développé le réseau ferré et l’électricité pour la transporter. Débuté par un soulèvement d'officiers le 13 novembre 1960 un mouvement révolutionnaire exige l’expropriation de tout ce dont les Américains s’étaient emparé. Ces derniers répliquent en envoyant des avions, installant au pouvoir un dictateur, et déclenchant une guerre dont l''époque la plus dure a lieu entre 1978 et 1984. Bilan : 200 000 morts, 45 000 disparus, un génocide documenté, jugé, et dont on ne connaît rien. Si les 200 000 morts n’étaient pas des Indiens, mais des blancs ou des métis, le monde en aurait plus parlé. .Le procès du film est un mélange de plusieurs procès. L’un des plus importants a été celui pour génocide du dictateur Efrain Rios Montt, qui avait pris le pouvoir en 1982. Il a été jugé et condamné en 2013 à 80 ans de prison ferme (50 pour génocide et 30 pour crimes contre l’humanité). Quelques jours plus tard, la cour suprême a invalidé le jugement et l’a laissé en liberté. Le procès a dû repartir de zéro. Il est mort chez lui en 2018. Le sentiment d’injustice est énorme.

Le film bénéficie d'une interprétation très sobre. Il n’existe pas d’école d’acteurs au Guatemala ; Armando Espitia et Emma Dib sont ainsi mexicains. Les autres personnages en revanche, ceux de la Fondation du village et même l’actrice qui joue Nicolasa sont non professionnels.

Jean-Luc Lacuve, le 25/06/2020