Arnaud Desplechin

né en 1960
15 films
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histoire du cinéma : Abstraction lyrique

1 - Mise en scène

Comme Truffaut ou Hitchcock, Desplechin propose sous une trame narrative heurtée, qui absorbe l'attention consciente du spectateur, une seconde lecture cachée, psychanalytique, où revient tout un passé qu'il faut réarranger pour transformer ce qui pourrait n'être qu'un règlement de compte en une œuvre d'art.

Au cours du déroulement de ses films, l'esprit du spectateur est sollicité par deux modes de perception différents et complémentaires. Tandis que notre attention est mobilisée par le réseau complexe d'un récit qui, à force d'ellipses, de rebondissements et d'énigmes narratives, retient toute notre énergie, une lecture inconsciente est suscitée par une série de rimes, répétitions, retours, parallélismes qui provoquent le plaisir et l'émotion. La mélodie narrative est ainsi bouleversée par des chocs harmoniques. En effet, si tout plan de son cinéma fait signe vers ce qui le complète, les films d'Arnaud Desplechin impliquent bien davantage en créant des formes d'entre-expressions entre les présents et les absents, les mots et les choses, les morts et les vivants, en mettant en scène des ondes de chocs traversant sourdement les plans et vibrant de personnages en personnages. Se bousculent ainsi, à des degrés divers selon les films, au moins trois grands champs de force : la vie des morts, la famille Dédalus-Vuillard et l'art qui s'impose à la vie.

La vie des morts
1991 1992 2007 2019    
La famille Dédalus-Vuillard
1996 2004 2008 2015 2017 2022
L'art s'impose à la vie
1996 2003 2013 2014 2021  

1-1 : La vie des morts

La vie des morts, titre emblématique de son premier film, ne cesse de hanter le cinéma de Desplechin. Elle marque les survivants jusque dans leur chair. Au début de La vie des morts, alors que dans le jardin deux personnages révèlent que Patrick est entre la vie et la mort, un plan montre Pascale dénudée (Marianne Denicourt), dans la salle de bain, prise de soubresauts et de nausées. Le cadre laisse apparaître son corps à moitié immergé et tout se passe comme si la violence de la révélation, faite ailleurs et à un autre personnage, trouvait un écho dans ce plan et dans l'organisme de la jeune femme. Plus tard, ce sont ainsi les menstruations de Pascale qui apparaissent au moment précis où son cousin rend son dernier souffle, manifestations dont ne saurait dire si elles sont le signal de l'agonie, le soulagement d'un poids enfin délesté, ou l'expression de la béance d'une blessure que Pascale aurait souhaitée et qui achèverait ainsi de tuer le membre de la famille, jusque-là seulement presque mort.

De la même manière, dans Rois et reine, la terrible lettre de Louis (Maurice Garrel) lue par ses soins d'outre-tombe, laisse sur le ventre de sa fille Nora une meurtrissure sensible comme provoquée par l'horreur des paroles, affliction visible plusieurs plans plus tard, expression d'une intériorité affectée, voire infestée, qui inscrit à la surface de la peau nue une véritable plaie du sens. Dans Frère et sœur, une fois le ressentiment de sa sœur expurgé de lui, Louis hurle et vomit.

Roubaix, une lumière (2019) résonne comme une ville en enfer qui aurait besoin d'un rédempteur. C'est à dire un homme qui sache avoir une pitié totale pour des êtres amenés à commettre des actes criminels. Ceux-ci ne témoigneraient que de la présence du mal qui surgit parfois au cœur de l'humain et les conduit à tuer.

La vie des morts est en revanche magnifiquement et paradoxalement assumée par Abel (Jean-Paul Roussillon) dans Un conte de Noël. Seul, face au public recueilli, il déclare : "Mon fils est mort... Je n'éprouve pas de chagrin. La souffrance est une toile peinte (...) En mourant mon fils devient mon fondateur. Cette perte est ma fondation".

1-2 : La famille Dédalus-Vuillard

Arnaud Desplechin travaille moins les rapports de couple que ceux de la relation filiale, fraternelle ou confraternelle (entre gens du même monde qui se heurtent pour se connaître). Il met en scène un autre qui appartient à la même communauté et donc avec qui l'échange est possible pour interroger sa perception du réel, sa remise en cause et dégager un avenir. La famille devient ainsi un lieu privilégié d'observation et ce dans ses différentes strates généalogiques où même les morts ont leur mot à dire.

C'est dans Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) (1996) qu'apparaît  pour la première fois  Paul Dédalus (Mathieu Amalric) et sa compagne, Esther (Emmanuelle Devos). Dans Rois et reine (2004) Paul Dédalus, toujours interprété par Mathieu Amalric, avec pour compagne Emmanuelle Devos (Nora Cotterelle) se trouve doté d'une famille et devient Ismaël Vuillard avec pour père Jean-Paul Roussillon (Abel Vuillard). Trois souvenirs de ma jeunesse (2015) fait office de prequel : Paul Dédalus (Mathieu Amalric), alors étudiant, aime Esther (Lou Roy Lecollinet) avec Jeanne Dédalus, la mère folle, et Olivier Rabourdin en Abel Dédalus, le père et un frère, Ivan Dédalus (Raphaël Cohen). Dans Les fantômes d’Ismaël (2017), Mathieu Amalric reprend pour la cinquième fois, le personnage de Dédalus-Vuillard, sorte d'alter ego, chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, d'Arnaud Desplechin. Ismaël a dorénavant près de cinquante ans et se débrouille comme il le peut avec ses cauchemars et sa nouvelle vie. Non seulement sa femme revient mais il doit aussi faire avec les souvenirs d'un frère, Ivan Dédalus (Louis Garrel), qui ne fut pas aussi formidable que dans la fiction qu'il lui consacre et faire face aussi aux difficultés de son métier et à une situation géopolitique bien plus embrouillée qu'il y a vingt ans.

Dans Un conte de Noel, coeur de la filmographie de Desplechin, Catherine Deneuve  et Jean-Paul Roussillon sont Junon et Abel Vuillard. Ils ont trois enfants, Ivan (Melvil  Poupaud), Henri (Mathieu Amalric) et Élizabeth, l’ainée (Anne Consigny), mariée  à Claude Dédalus (Hippolyte Girardot) et un fils, Paul Dédalus. Élizabeth  haït Henri qui n’est pas davantage aimé par sa mère qui exige pourtant qu’il lui redonne la vie par une dangereuse greffe de moelle. Faunia (Emmanuelle Devos) y est l’amie d’Henri. Frère et soeur reprend cette configuration avec de subtiles variations : le benjamin, Ivan, est devenu le cadet, Louis, toujours interprété par Melvil Poupaud et alter ego de Henri Vuillard (Mathieu Amalric) avec Abel pour père et une sœur qui le hait, Alice, et non plus Élisabeth. Sa compagne s’appelle Faunia et le benjamin de la famille est devenu Fidèle.

On sera ainsi toujours attentif dans ses films à tout ce qui revient : les morts, les haines (les pères trahis, les mères sans amours, les femmes mal choisies), l'espoir devant un monde qui pourrait être autre si les juifs y avaient une plus grande part mais aussi les films anciens, les films de Desplechin lui-même.

1-3 : L'art s'impose à la vie

Dans le chapitre VIII de Tromperie (2021), Philip rend hommage à son ancienne étudiante, la plus brillante. Alors que tous cherchaient dans la vie de Kafka ce qui avait pu inspirer son œuvre, la réflexion de l'étudiante était bien plus stimulante : c'est la fiction qui s’impose à la réalité. Kafka n'a pas écrit La métamorphose en se souvenant de sa relation avec son père mais c'est son roman qui lui a fait ainsi voir son père. Cette fonction de l'art qui permet de donner un sens à la vie joue à plein dans les films de Desplechin. C'en est parfois le sujet central comme dans Esther Kahn (1996). Son personnage d'adolescente pauvre enflammée par le théâtre se retrouve dans celui de Lucia, la jeune roumaine de Frère et soeur (2022). Dans Léo en jouant dans la compagnie des hommes Desplechin introduit dans la pièce d'Edward Bond "le plus shakespearien des auteurs anglais contemporains" un personnage de Hamlet, à savoir Ophélie (Anna Mouglalis). Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) est adapté de Psychothérapie d'un indien des plaines - Réalité et rêve de Georges Devereux. La forêt (2014) est adapté de de la pièce d'Alexandre Ostrovski. Tromperie (2021) est adapté de Deception de Philip Roth .

A sa manière, Arnaud Desplechin réactualise le montage des attractions cher à Eisenstein qui ne "limite plus les possibilités expressives au déroulement logique de l'action mais concourt à établir un effet thématique final" (Le montage des attractions, S. M. Eisenstein, Le film sa forme/ son sens, Christian Bourgois, Paris 1976). Tressaillement de l'ordre des choses, de la cohérence narrative, ce montage qui pointe une forme d'entre-expression et de communication entre les êtres et les absents, entre les événements et les personnages, s'impose comme une sollicitation au spectateur, démultipliant la violence symbolique ressentie.

Desplechin est ainsi loin d'être un cinéaste subtil, plutôt un artiste incroyablement violent qui charrie la philosophie de Nietzsche, la mythologie et la littérature, mais aussi l'histoire du cinéma, du théâtre ou de la littérature. Sa mise en scène rend compte de ce sentiment qui isole les protagonistes du monde environnant en recourant à de nombreux gros plans et des paroles de colère dites sur un ton définitif, sans appel, à l'opposé de toute fausse conciliation. Il est ainsi devenu le plus bergmanien des cinéastes avec son lot de théâtralisation et de fantasmes, de personnages qui cherchent à échapper à l'enfermement en eux-mêmes. Personnages peut-être aveugles sur eux-mêmes, ils veulent être des personnages que la vie leur refuse d'être. D'où les incessantes variations autour de la famille Dédalus-Vuillard

Les films d'Arnaud Desplechin ne peuvent être des expériences intenses et personnelles que si les spectateurs acceptent ce surgissement d'une doublure du visible par l'invisible, le jaillissement d'une logique qui transcende la représentation, dévoilant que tous les personnages et tous ces corps ne trouvent leur incandescence qu'à être les ombres d'idées ou d'affects qui les font agir. On retiendra ainsi la belle formule de Sébastien David : "L'attention du spectateur devient l'écran qui les reflète et les fait être, confère de la chair à ces êtres de lumière et, en retour, leur rayonnement pénètre son intimité".

 

2- Biographie

Arnaud Desplechin naît à Roubaix le 31 octobre 1960. Décidé à faire du cinéma depuis sa jeunesse, il suit les cours de cinéma de l'Université Paris III (dont ceux de Serge Daney et Pascal Kané) puis intègre en 1981 l'IDHEC (l'ancêtre de La Fémis) à sa deuxième tentative, et en sort diplômé de la section « Réalisation et prises de vue » en 1984. Il rencontre à l'IDHEC plusieurs de ses futurs collaborateurs dont Pascale Ferran, Noémie Lvovsky et Éric Rochant. Pendant cette période, où Desplechin éprouve des difficultés à achever ses films de scolarité, il ne termine que deux courts-métrages, inspirés de l'univers du romancier belge Jean Ray : Le polichinelle et la machine à coder, en 1983 puis Le couronnement du monde, en 1984. Il découvre alors le travail d'un autre passionné de Jean Ray, le réalisateur Alain Resnais, dont Desplechin dira plus tard qu'il est "le cinéaste qui [l']a touché le plus violemment" au cours de ses études. Après son diplôme, Arnaud Desplechin travaille comme directeur de la photographie sur Comme les doigts de la main (1984), French Lovers (1985) et Présence féminine (1987) d'Éric Rochant et participe aussi aux scénarios d’Un monde sans pitié (1989) d'Éric Rochant et de Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran

En 1990, Arnaud Desplechin commence à travailler sur le moyen-métrage La vie des morts. Le film réunit plusieurs acteurs qui lui resteront fidèles, parmi lesquels Marianne Denicourt, Emmanuelle Devos, Emmanuel Salinger et Thibault de Montalembert. L'intrigue tourne autour de quatre familles réunies attendant la mort d'un jeune suicidé, dans une maison de province. Desplechin affirme néanmoins qu'il s'agit d'un western. La vie des morts est présenté pour la première fois au Festival Premiers plans d'Angers en janvier 1991, où il reçoit plusieurs prix, avant d'être sélectionné pour la Semaine de la critique au Festival de Cannes, dérogeant ainsi de manière exceptionnelle à sa règle d'exclusivité. Le prix Jean-Vigo du court métrage lui est décerné la même année.

La même année, Pascal Caucheteux crée sa société Why Not Productions, et finance La sentinelle, le premier projet de long métrage de Desplechin. Le film est coécrit avec Pascale Ferran, Emmanuel Salinger et Noémie Lvovsky. Le jeune cinéaste reprend une partie de l'équipe de La vie des morts, et collabore pour la première fois avec Mathieu Amalric et László Szabó. Son frère Fabrice figure également dans la distribution. Le film traite des fantômes de la Guerre froide, de ses morts que l'on oublie avec la diplomatie contemporaine. Qualifié cette fois de film d'espionnage par son auteur, La sentinelle est un récit initiatique, estudiantin et méandreux autour d'une tête de mort façon Jivaro, entre un laboratoire de médecine légale et les coulisses de l'ENA. Le film est bien reçu par la critique et sélectionné dans les festivals. Il est notamment en compétition à Cannes en 1992 et est nommé aux Césars pour le meilleur premier film, le meilleur scénario original et le meilleur espoir masculin, que remporte Emmanuel Salinger.

Fin 1994, Arnaud Desplechin démarre le tournage de son deuxième long métrage, coécrit avec Emmanuel Bourdieu. "J'ai déjà fait un film pour dire du mal de ma famille (La vie des morts), j'ai déjà fait un film pour dire du mal de mon pays (La sentinelle), maintenant, j'aimerais bien faire un film pour dire du mal de mes fiancées", déclarait Desplechin aux Inrockuptibles en 1996 à propos de la genèse Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Mathieu Amalric interprète cette fois-ci l'alter ego de Desplechin, Paul Dédalus, un universitaire écartelé entre plusieurs femmes : Sylvia (Marianne Denicourt), Esther (Emmanuelle Devos), et Valérie (Jeanne Balibar). La sélection du film au Festival de Cannes, ses nominations aux Césars en 1996, son succès critique font de Desplechin un auteur important des années 1990. Les critiques cinématographiques parlent alors de "génération Desplechin" pour décrire le jeune cinéma français et la vague de nouveaux acteurs qu'il a révélés.

En 1997, Arnaud Desplechin est, avec Pascale Ferran, à l'initiative du Manifeste des 66 cinéastes appelant à la désobéissance civile contre les lois Debré qui pénalisent l'hébergement d'étrangers en situation irrégulière.

En 2000, il coécrit avec Emmanuel Bourdieu un scénario adapté d'une nouvelle d'Arthur Symons. datant de 1902. Esther Kahn, tourné en anglais et en costumes, s'attache au passage à l'âge adulte d'une jeune fille anglaise issue d'une famille juive, à travers la découverte du théâtre et de l'amour. Le film semble un hommage à l'œuvre de François Truffaut parce qu'il traite d'une éducation comme L'enfant sauvage (1969), qu'il est tourné en anglais comme Fahrenheit 451 (1966) et Les deux Anglaises et le Continent (1971), mais aussi parce qu'il utilise des formes filmiques de la Nouvelle Vague et plus particulièrement du cinéma de Truffaut comme les fermetures à l'iris ou les nappes de musique. Troisième sélection au festival de Cannes, le film est en compétition pour la palme d'or. Il y est mal aimé et sera peu vu en salles.

Le théâtre est de nouveau au coeur de son adaptation d'Edward Bond, Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", film quasi-expérimental qui intègre au récit les répétitions des comédiens tournées en vidéo. Sami Bouajila interprète le personnage de Léonard Jurieu, fils adoptif d'un industriel, fabricant d'armes, joué par Jean-Paul Roussillon, qui en décidant de s'affranchir de son père pour mener ses propres affaires va le ruiner. Desplechin mêle la trame d'Edward Bond avec celle de Hamlet, en introduisant notamment dans l'histoire le personnage d'Ophélie, interprété par Anna Mouglalis. Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes" sort dans une seule salle, au Cinéma du Panthéon à Paris, le 28 janvier 2004, après avoir été diffusé sur ARTE la veille.

Cette même année, Desplechin achève Rois et reine, coécrit avec Roger Bohbot. Le film trace deux récits, l'un burlesque et l'autre tragique, respectivement centrés sur un homme et une femme qui se sont aimés : Ismaël, un musicien excentrique et névrosé interprété par Mathieu Amalric — devenu son acteur fétiche et alter ego à l'écran —, et Nora, une bourgeoise ambitieuse, jouée par Emmanuelle Devos. Tandis qu'Ismaël se débat avec ses problèmes fiscaux dans un hôpital psychiatrique, Nora doit assister à la mort brutale de son père et l'aider à mourir, tout en se remémorant les circonstances éprouvantes du décès par balle de son premier mari. Le film marque aussi la deuxième collaboration de Desplechin avec Jean-Paul Roussillon, Hippolyte Girardot, et la première avec Catherine Deneuve, qui joue ici une psychiatre chargée du cas d'Ismaël. Le film est acclamé par la critique et connaît un important succès public. Rois et Reine reçoit plusieurs nominations et de nombreux prix, dont le prix Louis-Delluc en 2004, et le César du meilleur acteur pour Mathieu Amalric l'année suivante.

Desplechin est pris à partie à la sortie du film par Marianne Denicourt qui l'accuse d'avoir utilisé des éléments de sa vie privée pour écrire Rois et reine. En 2005, elle publie Mauvais génie, écrit en collaboration avec la journaliste Judith Perrignon, où elle décrit sa rencontre avec un réalisateur sans scrupules nommé Arnold Duplancher. Elle attaque finalement Desplechin en justice en 2006, pour atteinte à la vie privée, lui réclamant 200 000 euros de dommages-intérêts. Elle est déboutée le 3 avril 2006.

Desplechin réalise en 2007, L'Aimée où il filme son père, son frère Fabrice et ses neveux dans la maison familiale de Roubaix à la veille de la vente de celle-ci ; ils évoquent le souvenir de la grand-mère d'Arnaud Desplechin, morte deux ans après la naissance de son père.

Thème de prédilection du cinéaste, la famille, ses secrets et ses névroses, est au coeur d'Un conte de Noël (2008). Le film reprend, en l'enrichissant, le canevas de La vie des morts, montrant une réunion de famille à Roubaix, autour de la mère, Junon (Catherine Deneuve), atteinte d'un cancer, que seule peut sauver une greffe de son fils Henri (Mathieu Amalric), « banni » de la famille des années plus tôt par sa sœur Elizabeth (Anne Consigny). Ce film-fleuve à la distribution étincelante, est présenté en compétition au 61e festival de Cannes, mais le réalisateur repart pour la quatrième fois sans distinction

En 2012, il tourne aux États-Unis une adaptation de Psychothérapie d'un Indien des Plaines : réalités et rêve publiée par l'ethnopsychanalyste Georges Devereux, en 1951, sous le titre Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines), avec, dans les rôles principaux, Mathieu Amalric et Benicio del Toro. En mai 2013, le film est sélectionné en compétition officielle du 66e festival de Cannes constituant ainsi la cinquième œuvre du réalisateur à concourir sur la Croisette.

Arnaud Desplechin se voit ensuite confier par Muriel Mayette, l'administratrice de la Comédie-Française, et la chaîne franco-allemande Arte l'adaptation télévisuelle de la pièce La forêt, écrite en 1871 par le dramaturge russe Alexandre Ostrovski dans le cadre d'une collection destinée à revisiter le répertoire classique de l'institution et diffusée sur Arte le 10 juillet 2014.

En septembre 2014, Arnaud Desplechin commence le tournage de Trois souvenirs de ma jeunesse (2015) qui constitue une « préquelle » à Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle), sorti vingt ans auparavant. Le personnage de Paul Dédalus revient sur ses premières amours, jamais reniées et vues rétrospectivement au travers du lyrisme et de l'exaltation de la jeunesse. Pour donner corps à cette façon de voir le monde, faite de choix et de défis incessants, Desplechin fait intervenir différentes strates de son existence, cinq si l'on inclut le prologue et l'épilogue qui entourent les chapitres Enfance, Russie et Esther. Celles-ci sont constitutives d'une personnalité qui perfectionne son identité. Le film est retenu dans la section de la Quinzaine des Réalisateurs lors du Festival de Cannes 2015.

Durant l'été 2015, il se voit confier par Éric Ruf, directeur de la Comédie-Française, l'ouverture de la saison de l'institution pour laquelle il choisit la pièce Père d'August Strindberg qui reçoit un accueil très favorable de la critique dramatique.

Dans Les fantômes d’Ismaë (2017), Mathieu Amalric reprend pour la cinquième fois, le personnage de Dédalus-Vuillard, sorte d'alter ego, chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, d'Arnaud Desplechin. Ismaël a dorénavant près de cinquante ans. Le film fait l'ouverture du 70e Festival de Cannes.

En mai 2019, Roubaix, une lumière, avec Roschdy Zem, Léa Seydoux et Sara Forestier, est présenté en compétition lors du 72e Festival de Cannes. Arnaud Desplechin avait déjà filmé la ville où il a grandi dans L’aimée (2007), Un conte de Noël (2008), Trois souvenirs de ma jeunesse (2015) et Les fantômes d’Ismaël (2017). Il adapte ici le documentaire  Roubaix, commissariat central, affaires courantes de Mosco Boucault, diffusé en 2008 sur F3.

Tromperie (2021) est adapté de Deception de Philip Roth (1990) qui marque une date majeure dans son oeuvre : il prête pour la première fois son nom à l’un de ses personnages. Cette part autofictionnelle séduit Arnaud Desplechin, lui-même coutumier du genre. Dès sa traduction en français (1994) , il offre le livre à l’une de ses collaboratrices pendant la préparation de Comment je me suis disputé… (1996), avant de jouer avec Emmanuelle Devos sa scène finale pour un bonus DVD de Rois et Reine (2004). C’est après avoir vu ce bonus que Roth appelle le cinéaste pour l’encourager à adapter son livre. Le cinéaste a longtemps pensé ce geste voué à l’échec et mettra plus de quinze ans pour y parvenir, après avoir un temps pensé l’adapter sur scène, avec Denis Podalydès dans le rôle central. Il utilise le confinement pour aller au bout de cette idée.

Frère et soeur (2022), une nouvelle variation sur la famille Dédalus-Vuillard, est de nouveau présenté au festival de Cannes, pour la sixième fois sur quinze films.

3 - Bibliographie :

Arnaud Desplechin : L'intimité romanesque. Eclipses n°52, Volume coordonné par Youri Deschamps. 131 pages. 12 euros. Juin 2013. Voir tout particulièrement l'article de Sébastien David.

4 - Filmographie :

1991 La vie des morts
Avec : Thibault de Montalembert (Christian MacGillis), Roch Leibovici (Yvan), Marianne Denicourt (Pascale). 0h54.

A la suite de la tentative de suicide de Patrick, un des cousins de Christan, la famille se réunit en province. Tandis que Patrick lutte contre le coma, la famille et les invités s'installent. Les langues se délient, la complicité s'établit, mais la tristesse demeure...

   
1992 La sentinelle
Avec : Emmanuel Salinger (Mathias Barillet), Emmannuelle Devos (Claude), Thibault de Montalembert (Jean-Jacques). 2h19.

Mathias, fils de diplomates français en poste outre-Rhin, revient en France pour suivre des études de médecine légale. Dans le train où il retrouve Jean-Jacques, un ami, il est agressé sans raisons apparentes par Bleicher, de la Police des Frontières. Il découvre ensuite dans sa valise une tête humaine momifiée...

   
1997 Comment je me suis disputé - ma vie sexuelle
Avec : Mathieu Amalric (Paul Dédalus), Emannuelle Devos (Esther), Marianne Denicourt (Sylvia) Jeanne Balibar (Valérie). 2h58.

Paul Dédalus, presque trente ans, végète comme assistant de philosophie à la faculté de Nanterre. Il n'arrive ni à terminer sa thèse, ni à quitter Esther, qui partage sa vie depuis dix ans mais qu'il n'aime plus...

   
2000 Esther Kahn
Avec : Summer Phoenix (Esther Kahn), Ian Holm (Nathan Quellen), Fabrice Desplechin (Philippe Haygard). 2h30.

L'East End à Londres, à la fin du xixe siècle. Esther vit avec ses frères et sœurs dans une modeste famille de couturiers juifs. Elle est timide, se tait quand tous bavardent le soir, après le repas. Lorsqu'elle assiste à une représentation théâtrale, c'est le choc.

   
2003 En jouant dans la compagnie des hommes
Avec : Sami Bouajila (Léonard), Jean-Paul Roussillon (Henri Jurrieu), László Szabó (Claude Doniol), Anna Mouglalis (Ophélie). 1h58.

C'est l'histoire d'un cinéaste qui souhaite adapter la pièce d'Edward Bond, "Dans la compagnie des hommes ". Il convoque les acteurs pour des essais et des répétitions qu'il filme en vidéo.

   
2004 Rois et reine
Avec : Emmanuelle Devos (Nora Cotterelle), Mathieu Amalric (Ismaël Vuillard), Maurice Garrel (Louis Jennsens). 2h30.

Deux histoires disjointes : d'une part le couronnement de Nora Cotterelle, qui s'apprête à se marier, et d'autre part la déchéance d'Ismaël Vuillard, interné par erreur dans un asile psychiatrique et sur le point d'en sortir en piètre état. Ces deux intrigues se rejoignent quand Nora propose à Ismaël l'adoption de son fils Elias

   
2007 L'aimée

1h05.

Arnaud Desplechin filme son père alors que celui-ci vient de vendre la grande maison familiale. Le déménagement est l'occasion d'ouvrir des tiroirs, de regarder de vieilles photos et de lire des correspondances. C'est l'occasion pour ce père de parler de sa propre mère, Thérèse, morte quand il avait 18 mois. De cette mère dont il ne garde aucun souvenir et qu'il a pourtant l'air de connaître si bien.

   
2008 Un conte de Noël
Avec : Catherine Deneuve (Junon, la femme d’Abel), Jean-Paul Roussillon (Abel), Anne Consigny (Elizabeth, l’aînée), Mathieu Amalric (Henri, le cadet), Melvil Poupaud (Ivan, le benjamin). 2h23.

Junon apprend qu’elle est atteinte d’une leucémie qu’aucune chimiothérapie ne pourrait guérir. Il lui faut maintenant trouver un donneur de moelle potentiel parmi les membres de sa famille. Enfants et petits-enfants se mettent chacun à effectuer les tests.

   
2013 Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines)
Avec : Benicio Del Toro (Jimmy Picard), Mathieu Amalric (Georges Devereux). 1h54.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Jimmy Picard, un Indien Blackfoot ayant combattu en France, est admis à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. Jimmy Picard souffre de nombreux troubles : vertiges, cécité temporaire, perte d’audition... En l’absence de causes physiologiques, le diagnostic qui s’impose est la schizophrénie. La direction de l’hôpital décide toutefois de prendre l’avis d’un ethnologue et psychanalyste français, spécialiste des cultures amérindiennes, Georges Devereux.

   
2014 La forêt
Téléfilm. Avec : Avec : Michel Vuillermoz (Guennadi), Denis Podalydès (Arkadi), Martine Chevallier (Raissa). 1h30.

Axioucha aime en secret Piotr, fils d'un riche moujik. Elle vit chez sa tante Raissa, qui entend lui faire épouser Alexei, un jeune aristocrate désargenté. Mais la vieille tante succombe peu à peu au charme d'Alexei. Pour constituer la dot de sa nièce, Raissa doit vendre une partie de sa forêt au père de Piotr. De plus, elle s'angoisse à l'idée de voir ressurgir son neveu Guennadi, qu'elle a laissé grandir loin d'elle dans le dénuement. Or, ce dernier, un comédien courant le cachet, se referait bien une santé chez sa tante…

   
2015 Trois souvenirs de ma jeunesse
Avec : Quentin Dolmaire (Paul, jeune), Lou Roy Lecollinet (Esther), Mathieu Amalric (Paul, adulte) Dinara Droukarova (Irina). 2h00.

Paul Dédalus va quitter le Tadjikistan. Il se souvient… De son enfance à Roubaix… Des crises de folie de sa mère… Du lien qui l’unissait à son frère Ivan, enfant pieux et violent…Il se souvient… De ses seize ans… De son père, veuf inconsolable… De ce voyage en URSS où une mission clandestine l’avait conduit à offrir sa propre identité à un jeune homme russe… Il se souvient de ses dix-neuf ans, de sa sœur Delphine, de son cousin Bob, des soirées d’alors avec Pénélope, Mehdi et Kovalki, l’ami qui devait le trahir… De ses études à Paris, de sa rencontre avec le docteur Behanzin, de sa vocation naissante pour l’anthropologie… Et surtout, Paul se souvient d’Esther. Elle fut le cœur de sa vie. Doucement, « un cœur fanatique ».

   
2017 Les fantômes d’Ismaël
Avec : Marion Cotillard (Carlotta), Charlotte Gainsbourg (Sylvia), Mathieu Amalric (Ismael Vuillard), Louis Garrel (Ivan Dédalus). 2h15.

À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu…

   
2019 Roubaix, une lumière
Avec : Roschdy Zem (Yacoub Daoud), Léa Seydoux (Claude), Sara Forestier (Marie), Antoine Reinartz (Louis Cotorelle). 1h59.

À Roubaix, un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes…

   
2021 Tromperie
Avec : Denis Podalydès (Philip), Léa Seydoux (L’amante anglaise), Anouk Grinberg (L’épouse), Emmanuelle Devos (Rosalie), Rebecca Marder (L’étudiante), Madalina Constantin (La Tchèque), Miglen Mirtchev (Ivan), André Oumansky (Le père de Philip), Saadia Bentaïeb (La procureure). 1h45.

Londres - 1987. Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…

   
2022 Frère et sœur
Avec : Marion Cotillard (Alice), Melvil Poupaud (Louis), Golshifteh Farahani, Cosmina Stratan (Lucia), Max Baissette de Malglaive (Joseph), Patrick Timsit, Benjamin Siksou Saverio Maligno. 1h45.

Un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine… Alice est actrice, Louis fut professeur et poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Ils ne se sont pas vus depuis tout ce temps – quand Louis croisait la sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait… Le frère et la sœur vont être amenés à se revoir lors du décès de leurs parents.