Elle s'appelle Ruby

2012

Avant-première Avec : Paul Dano (Calvin Weir Fields), Zoe Kazan (Ruby Sparks), Chris Messina (Harry), Annette Bening (Gertrude), Antonio Banderas (Mort), Aasif Mandvi (Cyrus Modi), Steve Coogan (Langdon Tharp), Elliott Gould (Dr. Rosenthal). 1h43.

Calvin est un romancier qui écrivit, il y a maintenant dix ans, un premier roman qui fut un best-seller. Pour l'Amérique entière, il était le nouveau Salinger. Mais Calvin vit mal cette réputation de génie qui lui semble un mensonge. Il est poursuivi par les appels incessants de son éditeur, Cyrus, et accepte avec mauvaise grâce d'être exhibé dans des conférences littéraires par le fumeux Langdon Tharp. Il vit isolé dans sa grande maison luxueuse et moderne et ne voit que son frère, cadre d'entreprise avant tout préoccupé de son apparence, marié à Sarah et père d'un bébé. Calvin consulte régulièrement son psychiatre, le docteur Rosenthal, auquel il confie ses rêves et notamment celui qu'il fait récemment sur Ruby, une fille bizarre et fascinante. Rosenthal qui a échoué à sortir Calvin de son isolement en lui faisant acheter un chien, malheureux toutou fort peu masculin qui a pris l'habitude de pisser comme une fille, lui propose cette fois d'écrire un texte où quelqu'un aimerait son chien. Calvin se prend au jeu et, alors que ses rêves avec Ruby reviennent chaque nuit, écrit avec frénésie le début d'un roman où Ruby, ayant dessiné son chien se lie avec son maître.

Etrangement, une mousse à raser, un soutien-gorge et une petit culote sont découverts dans la maison de Calvin par Sarah et Harry puis bientôt c'est Ruby qui apparait littéralement à Calvin, exactement comme il l'a écrite et imaginée. D'abord paniqué par cette apparition, s'interrogeant sur sa santé mentale, il téléphone à Harry qui lui conseille de sortir de chez lui pour fuir cette apparition. Calvin téléphone à un vieil ami d'école, se ravise et appelle une groupie qui lui avait laissé ses coordonnées. Mais Ruby le poursuit jusqu'à la terrasse du café où il a rendez-vous. Calvin doit se rendre à l'évidence : Ruby existe non seulement pour lui mais aussi pour les autres.

Calvin convie Harry à diner et celui-ci qui avait lu avec dédain le début du roman de son frère où le personnage de Ruby lui apparaissait improbable est interloqué de voir celle-ci se plier à ce que son frère écrit d'elle. Calvin n'a ainsi qu'à taper à la machine à écrire que Ruby parle français et celle-ci se met immédiatement à maitriser cette langue.

Heureux avec Ruby, Calvin a laissé son roman sous clé. Ruby souhaite voir les parents de Calvin et celui-ci se résigne à lui présenter sa mère, Gertrude qui s'est remarié avec Mort, une force de la nature qu'il apprécie peu tant il est différent de son père.

Bientôt Ruby se lasse dans sa relation trop exclusive avec Calvin qui ne voit personne. Calvin reprend alors son texte et écrit "Ruby était triste sans Calvin". Ruby lui revient alors et s'attache à lui avec tant d'insistance qu'il écrit "Ruby était toujours joyeuse", tempérament qui finit par l'insupporter. Lorsqu'il écrit "Ruby était Ruby : tantôt triste, tantôt gaie", cette fois Ruby veut le quitter et, désespéré, il lui prouve qu'il peut faire d'elle ce qu'il veut. Désespéré de la voir ainsi humiliée et réduite au désespoir, il écrit : "Ruby sera libre dès qu'elle aura quitté la maison"... et ne la revoit plus.

Echangeant sa machine à écrire contre un ordinateur, Calvin écrit son aventure qui devient un nouveau best-seller. Apres une conférence où il a exprimé le fait qu'il n'est que le vecteur d'une expérience qui l'a dépassée, il rencontre une jeune fille qui ressemble comme deux gouttes d'eaux à Ruby.

L'utilisation de la langue française et les chansons de Sylvie Vartan et de Plastic Bertrand marquent sans doute la recherche d'un ancrage dans le cinéma d'auteur français pour cette comédie américaine qui accumule plusieurs thématiques successives. Il y a d'abord un film fantastico-humoristique sur une appariation devenant réalité, puis un film psychanalytique sur le mensonge et la vérité d'une personnalité, et une histoire d'amour qui se devra de finir pour avoir une chance de recommencer.

Renoncer au contrôle de soi et de l'être aimé

Calvin sait que s'identifier à sa création littéraire est une usurpation : Langdon Tharp profite de son petit prestige pour draguer à qui mieux mieux et Harry lui recommande de la faire. Calvin est trop honnête pour s'y résoudre. Il veut être aimé pour lui-même et s'enferme dans le contrôle de lui-même. Calvin est traumatisé par le changement opéré par sa mère qui, probablement à la mort de son mari, s'est remariée avec une force de la nature. Il assimile ce changement à un lavage de cerveau. Il préfère se refugier dans la lecture d'un livre, en haut d'une cabane, plutôt que de prendre le risque d'être contaminé par une vie étrangère à la sienne.

Comme Pygmalion, Calvin dédaigne les gens de son île et ne peut rêver que d'une femme issue de son imagination. Mais, un peu comme Midas, le pouvoir qu'il a de la transformer selon son désir dégénère en malédiction. Il exprimera dans sa conférence finale la nécessité de se laisser traverser par la vie et d'abandonner son ancrage dans une identité trop stable, rejoignant la définition de l'artiste de Paul Klee.

Ce scénario, plutôt plus complexe que celui habituellement dévolu à une comédie, ne fonctionne hélas qu'assez laborieusement. Les auteurs ne parviennent que difficilement à transcender la psychologie de leurs personnages dans des scènes vraiment touchantes (la scène démoniaque d'effondrement de Ruby). En dépit du talent de Paul Dano, le film reste souvent aussi froid que son personnage.

Jean-Luc Lacuve le 07/10/2012.