né en 1959
10 films
   
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histoire du cinéma : résistance des corps

Adolescent à Lisbonne, Pedro Costa vit la Révolution des Œillets – le coup d’état initié par de jeunes officiers de gauche le 25 avril 1974. Costa, à cette époque, se joint aux manifestations pour crier en chœur que "Le peuple, uni, jamais ne sera vaincu". Ce putsch militaire réveilla le Portugal de ses quarante-huit ans de dictature fasciste et contribua à mettre un terme à une présence coloniale séculaire en Afrique. Le but des "capitaines d’avril", tous marxiste-léninistes, était de confier le pouvoir aux ouvriers et paysans portugais afin d’en finir avec "l’exploitation de l’homme par l’homme" et de construire une nouvelle société. Très vite, pourtant, la menace de sanctions et même d’une intervention militaire de la part de l’OTAN, ainsi que la pression des intérêts économiques multinationaux, aboutirent à un désarmement des « Rouges » et à un retour du pays dans le giron du capitalisme occidental.

C'est après avoir abandonné ses études d'Histoire de l'université de Lisbonne que Pedro Costa se décide à devenir un technicien du cinéma. Il s'inscrit au cours de montage et de réalisation de l'Escola Superior de Cinema (l'Ecole de Cinéma du Conservatoire National de Lisbonne), cours enseignés par l'acteur portugais Antonio Reis. Il travaille ensuite comme assistant directeur sur plusieurs films nationaux, et se lance en 1987 dans la réalisation de son premier court métrage, Cartas a Julia, suivi bientôt par la réalisation d'une série pour enfants pour la télévision portugaise.

Très influencé par Friedrich-Wilhelm Murnau, il signe en 1989 son premier long, Le Sang, un drame encensé par la critique qui ne satisfait pourtant pas tout à fait à ce cinéaste réputé exigeant. La Maison de lave en 1994 confirme le talent de ce réalisateur portugais aux yeux des professionnels du cinéma, qui dévoile dès lors les caractéristiques de son travail : un esthétisme qui frôle le maniérisme, des noirs et blancs variés et très travaillés, des thèmes récurrents tels que le sordide et le crasseux, mais un certaine tendance à les sublimer.

Son goût pour le sang et la violence froide se retrouve dans Ossos (1997), son troisième long métrage, qui traite de l'enfance malheureuse. Les critiques voient en son style un retour au cinéma des origines, héritage du cinéma muet. Le film sera primé notamment à Venise et à Belfort. C'est le premier film de Costa tourné à Fontainhas, la zone ultra-paupérisée et métissée de Lisbonne. Pedro Costa décide d'y habiter et ses films seront alors des poèmes-hommages aux habitants de ce quartier.

Dans la chambre de Vanda (2000) est ainsi un documentaire de fabulation narrant la déchéance réelle d'une toxicomane. L'esthétisme de Costa transforme cette histoire sombre en poème filmique, où une partie de la critique voit une forme de complaisance pour le morbide et le glauque lorsque l'autre est sensible au sublime exprimé. Avec sa petite caméra vidéo, qui lui évite les coûts de la pellicule, le cinéaste trouve son autonomie, et refuse les tournages courts. Chez Costa, en effet, tout est vrai du point de vue du vécu des personnages, mais tout est fabriqué : l’image et la mise en scène. Dans le quartier et ses maisons délabrées, qui font office de studio, le cinéaste sculpte les visages, capte les filets de lumière, abolit la frontière entre le jour et la nuit.

Où gît votre sourire enfoui ? (2001) est l'occasion pour Costa de rendre hommage au travers de ce documentaire au couple de cinéastes Danièle Huillet/Jean-Marie Straub, les papes du cinéma puriste.

En 2006, En avant, jeunesse ! décrit poétiquement le passé cauchemardesque et le morne avenir de Ventura, le maçon cap-verdien habitant de Fontainhas, quartier clandestin fait de briques et de bois, sans eau ni électricité. Les premières masures furent construites au milieu des années 1960 par des Portugais venus de zones rurales à la recherche d’une vie plus décente. À la fin de cette décennie, des immigrants venus des colonies africaines ont commencé à arriver à Lisbonne pour échapper à la pauvreté et aux guerres d’indépendance en cours. Fontainhas et tous les autres bidonvilles de Lisbonne sont rasés très lentement à partir des années 1990. Il fallut vingt-cinq ans, après la révolution d’avril 1974, pour se confronter à ce problème. Offrir des demeures salubres à ces gens aurait dû être l’une des premières préoccupations des gouvernements post-révolutionnaires. Le relogement est intervenu bien tard et fut opéré de manière hâtive. Soudainement, au milieu des années 1990, est apparu un certain sentiment d’urgence. C’est ainsi que les habitants de Fontainhas ont été peu à peu séparés les uns des autres tout en se voyant conférer des logements qui ne leur convenaient pas. Ironiquement, les maçons qui ont construit les nouveaux bâtiments étaient les frères des pauvres gens appelés à y habiter. Et ces immeubles sont très précaires. Comme d’habitude, Ventura le formule bien mieux : "Ils ont construit de pauvres maisons pour des gens pauvres. Il aurait été mieux de laisser les pauvres s’en occuper eux-mêmes". Le film est immédiatement défendu par l'avant-garde de la critique et qui ne sortira en France qu'en 2008 suite à la brouille entre Costa et son producteur.

Entre-temps, il aura réalisé l'épisode, Tarrafal du film L'état du monde (2007) commandé par la fondation Gubelkian.Tarrafal : territoire de l’île de Santiago au Cap-Vert où en 1936, le Portugal a créé une colonie pénale pour les prisonniers politiques. Cette colonie était connue sous le nom de " camp de la mort lente".

Ne change rien (2009) avec Jeanne Balibar et Rodolphe Burger, développement du court-métrage de 2005, est né d'une amitié entre l'actrice Jeanne Balibar, l'ingénieur du son Philippe Morel et Pedro Costa. Celui-ci suit Jeanne Balibar, chanteuse, des répétitions aux enregistrements, des concerts rock aux cours de chant lyrique.

Ventura. Cavalo Dinheiro (2014) suit la vieillesse de Ventura toujours enfermé dans la période révolutionnaire de sa jeunesse et les terribles conséquences pour le prolétariat de ce rêve inabouti qui aboutit à renverser la dictature de Salazar, mais ne réussit pas à donner le pouvoir au peuple et aux ouvriers, en dépit des slogans scandés. Comme beaucoup d’autres migrants, Ventura, alors âgé de la vingtaine, se terrait dans les recoins de la capitale, redoutant d’être arrêté ou tué par les soldats, un traumatisme hérité de l’expérience coloniale.

Chef-d’œuvre de clair-obscur, récompensé du Léopard d’or à Locarno, Ventura. Cavalo Dinheiro (2014), ne sort en salle en France que le 15 juin 2022, huit ans après sa sélection à Locarno et trois ans après Vitalina Varela (2019) avec lequel il forme un éblouissant diptyque.

Filmographie :

Courts-métrages:
1984 : É Tudo Invenção Nossa
2001 : 6 Bagatelas
2003 : The End of a Love Affair
2005 : Ne change rien
2007 : The Rabbit Hunters, segment de Memories.
2010 : O nosso Homem
2012 : Sweet Exorcism segment de Centro Histórico.

Longs-métrages :

1989 Le sang
(O sangue). Pedro Hestnes (Vincente), Inês Medeiros (Clara), Nuno Ferreira (Nino), Luis Miguel Cintra (Tio), Isabel Castro (Mulher) 1h35.

Un village dans la vallée du Tage. C’est Noël. Deux frères, l’un a 17 ans, l’autre 10. Ils jurent de garder un secret, qui a à voir avec les absences du père. Et que seule une jeune fille partage avec le frère aîné. Car cette fois-ci, le père ne s’est pas seulement absenté comme les autres fois. Que s’est-il passé , Seuls Vicente et Clara le savent…

   
1994 La maison de lave
(Casa de lava). Avec : Inês Medeiros (Mariana), Isaach de Bankolé (Leão), Edith Scob (Edite), Pedro Hestnes (le fils d'Edite), Sandra Brandão, Cristiano Andrade, Raul Andrade. 1h50.

En cherchant a sortir son compagnon d'un cercle infernal, une jeune femme l'entraine encore plus loin vers la mort.

   
1997 Ossos
avec : Vanda Duarte (Clotilde), Nuno Vaz (Le père), Mariya Lipkina (Tina), Isabel Ruth (Eduarda), Inês de Medeiros (La prostituée) 1h34.

Estrela d'África, un quartier créole très pauvre dans la banlieue de Lisbonne, où un bébé de quelques jours doit déjà lutter pour survivre. Tina sa jeune mère le prend dans ses bras et ouvre le gas, pensant lui éviter une vie en enfer. Sauvé par son père in extremis, il se retrouve à la rue, nourri par du lait mendié, pratiquement vendu, sans avenir, sans amour...

   
2000 Dans la chambre de Vanda
(No quarto da Vanda). Avec : Vanda Duarte, Lena Duarte, Zita Duarte, Pedro Lanban, António Moreno. 2h50.

Méprisée par la vie, minée par la drogue et totalement impuissante, Vanda Duarte, marchande ambulante de fruits et légumes, passe de maison en maison au fil de l'inexorable démolition des habitations clandestines du quartier capverdien de Lisbonne.

   
2001 Où gît votre sourire enfoui ?

 

(Pour la série télévisée de Janine Bazin et André S. Labarthe, Cinéma, de notre temps). Avec : Jean-Marie Straub et Danièle Huillet

Au moment du montage de la troisième version de Sicilia ! par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Pedro Costa tourne une "comédie de remontage". Derrière leur patience à l'oeuvre, tendre et violente, les deux cinéastes dévoilent une certaine idée de leur cinéma et de leur couple.

   
2006 En avant, jeunesse !

(Juventude Em Marcha). Avec : Ventura, Vanda Duarte, Beatriz Duarte, Gustavo Sumpta, Cila Cardoso. 2h28.

Le quartier cap-verdien de Fontainhas, dans la banlieue de Lisbonne, vit ses derniers jours. La plupart des 9 000 habitants vont être relogés dans de nouveaux immeubles, plus au nord. Clotilde, qui se souvient de la mer du Cap-Vert et des requins qui nageaient à ses côtés, décide de quitter son mari, Ventura, à 75 ans. Celui-ci, maçon, a un peu pété les plombs depuis qu'il est tombé un jour d'un échafaudage. Ventura s'obstine à ne rien changer pour que tout soit différent. Il croit que sa vieillesse pourrait être sa jeunesse.

 
2007 Tarrafal

Episode de L'état du monde. Avec : José Alberto Silva , Lucinda Tavares , Alfredo Mendes et Ventura

Tarrafal : territoire de l’île de Santiago au Cap-Vert où en 1936, le Portugal a créé une colonie pénale pour les prisonniers politiques. Cette colonie était connue sous le nom de « camp de la mort lente ».

   
2009 Ne change rien

Avec : Jeanne Balibar, Rodolphe Burger, Hervé Loos, Arnaud Dieterlen, Joël Theux (eux-mêmes). 1h38.

Développement de son court-métrage de 2005, le film est né d'une amitié entre l'actrice Jeanne Balibar, l'ingénieur du son Philippe Morel et Pedro Costa. Jeanne Balibar, chanteuse, des répétitions aux enregistrements, des concerts rock aux cours de chant lyrique, d'un grenier à Saint Marie-aux-Mines à la scène d'un café de Tokyo, de Johnny Guitar à la Périchole, d'Offenbach.

   
2014 Ventura (Cavalo Dinheiro)

Avec : Ventura, Vitalina Varela, Tito Furtado, Benvindo Tavares, Antonio Santos. 1h43.

Ventura, manœuvre retraité cap-verdien, erre dans une Lisbonne labyrinthique et cauchemardesque. Il se remémore la manière dont lui et ses amis du quartier Fontainhas ont traversé la Révolution des Œillets, dans la peur de la répression. Dans son errance Ventura rencontre Vitalina qui lui raconte sa propre histoire d’exil.Tandis que les jeunes conduisent la révolution dans les rues, les habitants de Fontainhas cherchent Ventura, perdu dans les bois.

   
2019 Vitalina Varela

Avec : Vitalina Varela, Ventura, Manuel Tavares Almeida, Francisco Brito, Marina Alves Domingues, João Baptista Fortes, Nilsa Fortes, Lisa Lopi. 2h04.

Vitalina Varela, une Cap-Verdienne de 55 ans, arrive à Lisbonne trois jours après les obsèques de son mari. Elle a attendu son billet d’avion pendant plus de 25 ans.