Inside Llewyn Davis

2013

Grand prix du jury, Cannes 2013 Avec : Oscar Isaac (Llewyn Davis), Carey Mulligan (Jean), Justin Timberlake (Jim), Ethan Phillips (Mitch Gorfein), Robin Bartlett (Lillian Gorfein), Max Casella (Pappi Corsicato), Stark Sands (Troy Nelson), Jerry Grayson (Mel Novikoff), Jeanine Serralles (Joy), Adam Driver (Al Cody), John Goodman (Roland Turner), Garrett Hedlund (Johnny Five), F. Murray Abraham (Bud Grossman), Stan Carp (Hugh Davis). 1h45.

The Gaslight Cafe, Greenwich Village, hiver 1961. Llewyn Davis interprète Hang Me, Oh Hang Me à la guitare devant un public plus poli que conquis. Il s'excuse auprès de Pappi Corsicato, le patron du club, d'avoir été bien saoul la veille. Pappi est indulgent envers lui et lui indique qu'un type en costard le demande à l'extérieur, dans l'arrière-cour. Llewyn s'approche de l'homme qui l'interpelle violemment sur son attitude de la veille et le frappe jusqu'à le faire tomber à terre. En se relevant, Lewin le voit s'éloigner.

Les pas de l'homme se lient, par un fondu-enchainé, aux pattes d'un chat roux qui s'en vient jusque dans la chambre de Llewyn. L'appartement est luxueux mais appartient à une connaissance de Llewyn, les Gorfein qui le lui prêtent. En sortant, Llewyn claque la porte sans pouvoir empêcher le chat de sortir... Ce qui le contraint à le garder avec lui après une vaine tentative de le laisser au liftier. Les stations de métro défilent de l'upper-west side au sud de Manhattan où Llewyn, le chat sur son épaule, vient chercher refuge chez des amis, absents. Il est cependant assez connu ici pour que le concierge le laisse pénétrer par la fenêtre en attendant leur retour.

Llewyn est chez Jim et Jean, son ancienne petite amie, guère heureuse de le revoir et ce d'autant plus qu'elle a promis le canapé à un chanteur de passage, Troy Nelson, le temps de sa permission et de son audition au Gaslight Cafe. Llewyn obtient toutefois la permission de dormir par terre avec son chat

Le soir, au Gaslight cafe, Troy interprète le doucereux The Last Thing on My Mind qui ravit le public. Troy veut partager son succès avec un auditeur connu de la salle. Llewyn est persuadé que ce sera lui ; mais non, c'est Jim et Jean que Troy appelle sur scène pour jouer Five Hundred Miles, repris en chœur par la salle. Pappi ne se fait pas d'illusion sur ce succès, affirmant qu'il est dû, pour la moitié des spectateurs à l'envie de coucher avec Jim et, pour l'autre moitié, dans laquelle il s'inclut, de coucher avec Jean.

Le lendemain, Troy s'en va et le chat des Gorfein en profite pour fuir sans que Llewyn ne puisse le rattraper. Llewyn donne rendez-vous à Jean pour discuter dans un café. Il lui reproche ses désirs petits bourgeois. Jean déverse alors sa hargne sur lui, le considérant comme un raté. Elle est enceinte et, craignant que l'enfant ne soit pas de Jim mais de Llewyn, demande à celui-ci de lui trouver un docteur et de lui payer les frais d'avortement ; ce que celui-ci accepte. Llewyn s'en va chercher refuge chez sa sœur, Joy, hors de Manhattan. Celle-ci, qui élève seule son fils, ne se fait aucune illusion sur le talent de chanteur de son frère et lui reproche de ne pas aller voir leur père dans un hospice de vieillards.

Llewyn rend visite à son impresario, Mel Novikoff. Celui-ci regrette qu'il ne soit plus en duo avec un nouveau partenaire depuis que l'ancien, Mike, se soit suicidé. Il ne peut que constater qu'aucun engagement ne parvient pour Llewyn. Mel se laisse apitoyer par le désarroi de Llewyn, lui propose son pardessus et lui concède 40 dollars.

Llewyn téléphone aux Gorfein pour repousser la date du retour espéré du chat. Il apprend que Jim est à sa recherche pour l'accompagner sur une chanson dans le studio d'une prestigieuse maison de disques. Il s'agit d'un Please Mr. Kennedy, composé par Jim et accompagné d'un hurluberlu nommé Al Cody. Comme il n'est plus sous contrat avec Mel, les formalités pour lui faire signer un engagement avec droit d'auteur seront très longues. Llewyn préfère que la maison de disque lui verse 200 dollars pour solde de tout compte. Llewyn trouve refuge chez Al Cody chez lequel il retrouve la mêmes piles d'invendus qu'il est allé lui-même chercher chez Mel.

Llewyn se rend chez le docteur pratiquant les avortements et a la surprise d'apprendre que Diane, son ancienne petite amie pour laquelle il avait déjà réglé un avortement, y a finalement renoncé pour garder son enfant qui doit aujourd'hui avoir deux ans.

Llewyn retrouve miraculeusement le chat des Gorfein et leur demande de nouveau l'hospitalité. Mais il craque et s'emporte quand les Gorfein l'obligent à interpréter une chanson et de claquer la porte alors que Lillian Gorfein pleure car le chat n'est pas le leur puisque celui-ci est une femelle

Al, lui ayant indiqué que son hospitalité ne pouvait durer alors qu'il avait par ailleurs la possibilité de faire un covoiture vers Chicago pour rencontrer le grand manager Bud Grossman, Llewyn embarque avec Johnny Five, conducteur poète qui s'occupe de Roland Turner, gros homme délabré et imbu de lui-même qui se drogue pour maintenir son statut d'artiste. Johny s'étant emporté vis du vis d'un policer qui le contrôlait, Llewyn quitte la voiture et prend le bus pour arriver à Chicago devant le mythique The gate of Horn. Mais Bud Grossman, qui gère avec difficulté son studio, n'a que peu de temps à lui consacrer. Il écoute Llewyn jouer le déchirant The death of queen Jane. Il lui propose un poste d'accompagnateur auprès de ses chanteurs mais Llewyn décline se sachant peu doué pour ce travail dont Mike, son partenaire suicidé, s'était fait une spécialité.

Désespéré, Llewyn rentre sur New York grâce à un conducteur fatigué qui lui laisse le volant pour pouvoir dormir. Llewyn néglige de s'arrêter à Akron, ville où Diane élève leur enfant et rentre à New York avec l'intention de reprendre son métier de marin pour lequel, à la suite de son père, il fut formé. Llewyn, qui avait jusque là méprisé son père, tente alors de se réconcilier avec lui et lui rend visite à l'hospice interprétant devant son père muet et ému, The shoals of herring.

Pour pouvoir être engagé, Llewyn doit payer ses arriérés de cotisation soit plus de 160 dollars. Mais sa sœur a aussi jeté, comme il le lui avait imprudemment demandé la semaine précédente, sa carte d'embarquement. Llewyn doit donc trouver 80 dollars supplémentaires.

Llewyn accepte ainsi une dernière soirée au Gaslight Cafe pour le lendemain mais, pour l'heure, alors que Papi lui révèle avoir couché avec Jean, se met à insulter une vieille chanteuse folk interprétant une ballade traditionnelle. Llewyn se réconcilie avec Jean et les Gorfein qui ont retrouvé leur chat dont il apprend enfin le nom : Ulysse. En fermant la porte, Llewyn s'assure que cet Ulysse là restera chez lui.

Ce dernier soir au Gaslight Cafe de Greenwich Village, Llewyn finit d'interpréter Hang me, oh hang me puis laisse sa place au jeune Bob Dylan chantant Farewell. Dans l'arrière cour, Llewyn se fait casser la figure par l'homme au costard, le compagnon de la vieille femme insultée la veille. Alors qu'il s'en va, aucun chat ne vient se superposer à ses pas.

Le déroulé en grande partie linéaire du film prend néanmoins place au sein d'un grand flash-back introduit par le fondu enchainé des pieds de l'homme en costume qui s'éloigne sur les pattes du chat roux. La sortie du flash-back, après une semaine d'errance, vient imposer la nécessité de prendre la mer pour Llewyn, passé juste à côté d'une success story qu'incarnerait son presque frère jumeau, le jeune Bob Dylan, entraperçu à la fin.

Un film musical porté par ses chansons

A la fin du film est reprise la dernière soirée à New York, celle qui précède l'embarquement de Llewyn sur le bateau grâce au rachat de sa carte d'embarquement gagnée avec son cachet du Gaslight cafe. Contrairement à sa première version, au début du film, celle-ci permet d'entendre, le jeune Bob Dylan amorcer sa chanson, Farewell. Ce sera néanmoins la seule chanson du film que l'on n'entendra pas entièrement, la seule aussi chantée en play back, par le vrai Bob Dylan évidemment. Inutile en effet de l'écouter en entier car chacun sait qu'il s'agit là d'une chanson que chacun est en devoir d'aimer puisque consacrée par la critique musicale. Cet académisme, si souvent utilisé dans les films mettant en jeu la musique ou d'autre arts, consistant à imposer au spectateur le génie supposée d'une œuvre par la connaissance qu'il a de sa reconnaissance actuelle, les Coen le refuse. Ils nous laissent prendre position par nous-mêmes lors de l'écoute des nombreuses chansons qui ponctuent le film.

La dramaturgie du mythe de l'artiste délivrant son œuvre géniale dans laquelle s'inscrit habituellement l'écoute écourté d'une chanson s'efface alors pour offrir le temps d'être ému par la chanson elle-même. Il importe assez peu de savoir qu'Inside Llewyn Davis est lointainement inspiré des mémoires du musicien Dave Van Ronk auquel Dylan rendra hommage. Les frères Coen ne se permettent pas de hiérarchiser les chansons en désignant ce qui serait en avance sur son époque, de ce qui serait rétrograde. Toutes les chansons sont jouées in extenso et sans play-back, que leurs interprètes soient professionnels tel Justin Timberlake ou amateurs très doués, comme Oscar Isaac. Si le succès ne vient pas, on ne sait ainsi guère s'il s'agit d'un manque de talent de Llewyn, auquel Grossman reproche son manque du sens des harmoniques que savait si bien palier son partenaire, ou du manque de goût des auditeurs et, partant, du public du film.

Inside Llewyn Davis

Llewyn Davis n'est pas le premier musicien inventé par les frères Coen pour les besoins du récit. Dans O'Brother, les évadés, incarnés par George Clooney, John Turturro et Tim Blake Nelson croisent un guitariste et enregistrent une version du tube Constant Sorrow sous le nom des Soggy Bottom Boys. De O'Brother, on trouvait aussi la figure d'Ulysse sous la grande forme d'une parodie du voyage homérique. L'Ulysse des Gorfein n'a rien d'un héros et cherche seulement à rentrer chez lui. Llewyn Davis, c'est l'autre Ulysse, son clone batard, le chat femelle rencontré dans la rue. Pour avoir attendu son maitre d'emprunt qui lui claque la portière au nez, il finira grièvement blessé par ce même maitre à son retour de Chicago.

C'est au sein de ses douleurs personnelles que Llewyn incarne le mieux la folk dont il est porteur, qu'il réalise l'alliance entre le coté profondément nostalgique de la folk et sa nécessaire adéquation avec les angoisses et les aspirations de celui qui la chante. En ce sens la chanson The Shoals of Herring, entonnée en guise de réconciliation devant le père, est plus émouvante encore que la déchirante The death of queen Jane qui exprime peut-être l'inactualité de la folk à cet instant à Chicago.

L'hiver, le voyage difficile en voiture vers Chicago et son retrour de nuit, les couloirs étroits des appartements pauvres de New York, la tanière de Mel disent toutes les souffrances et les épreuves nécessaires à l'expression d'une chanson. C'est de l'intérieur de lui, de sa souffrance, que Llewyn Davis tire son possible talent. Nécessaire sera donc le dur voyage en mer que va entreprendre Llewyn, le pauvre clone d'Ulyssse. Ce voyage le sauve de la misère et lui permettra peut-être un jour de rejoindre le bercail du Gaslight cafe.

Jean-Luc Lacuve le 11/11/2013