Opening night

1977

Voir : les photogrammes, jeu des paires

Avec : Gena Rowlands (Myrtle Gordon), John Cassavetes (Maurice Adams), Ben Gazzara (Manny Victor), Joan Blondell (Sarah Goode), Paul Stewart (David Samuels), Zohra Lampert (Dorothy Victor), Laura Johnson (Nancy Stein). 2h24.

dvd

Sur la scène de l’Orpheum Theater de New Haven, avant la première à New-York, Myrtle Gordon, belle quadragénaire, célèbre actrice de théâtre, est la vedette d’une pièce intitulée "The Second Woman". Cette fois-ci cependant, avant chaque entrée en scène, elle avale une rasade de whisky. Le générique laisse entendre en voix off, Myrtle se plaindra qu'à dix sept ans tout était plus facile. Aujourd'hui, son rôle de femme déchue, angoissée par son âge la révulse.

Un soir, au sortir de scène sous une pluie diluvienne, une admiratrice éperdue nommée Nancy lui crie son admiration. La star lui sourit et s'engouffre dans la voiture. Elle se retourne, la jeune fille meurt, écrasée sur la route. Arrivée à son hôtel, choquée, elle fait monter Maurice Adams dans sa chambre mais celui-ci refuse de la réconforter : pour lui, elle n'est pas une  femme mais une professionnelle qui contrôle tout. Il a un petit rôle dans la pièce et il ne tient pas à ce que les choses aillent plus loin. Il rejoint le taxi où Manny Victor le metteur en scène, Sarah Goode, l'auteure et le producteur vont rejoindre leur restaurant habituel où les attend déjà Dorothée, la femme de Manny. Tard dans la nuit celui-ci lui explique que sa carrière repose sur cette pièce et qu'il s'inquiète plus que tout de l'état de Myrtle. Dorothy refuse de jouer le rôle de l'amie si son mari ne la paie pas pour ce travail. Il envisage qu'elle soit la doublure de Myrtle. Il est 4h30 du matin  et Myrtle appelle Manny au téléphone : elle déclare ne plus vouloir se laisser gifler en scène.

Le lendemain matin la répétition démarre mal, Myrtle refusant d'être giflée. Une série de troubles psychologiques s'empare alors de l'actrice. Elle voit Nancy en hallucination, qui la soutient dans son refus d'être humiliée. Myrtle tente d'improviser échapper par l'humour à son rôle de femme qui vieillit. Les acteurs sortent du théâtre. Myrtle, de retour à l'hôtel, a confirmation par les journaux de la mort de Nancy Stein et se rend à la veillée funèbre juive où elle est repoussée par les parents. Elle fait une pause dans un bar et est de retour au théâtre pour la représentation : elle reste de longues minutes à terre après la gifle. Sarah fait la leçon à Myrtle. En rentrant chez elle, David l'attend. Il lui donne un dernier baiser lorsqu'il aperçoit Manny qui était déjà dans la chambre. Deuxième apparition de Nancy. Manny l'emmène dans sa chambre.

Le troisième soir, Manny conduit Myrtle au théâtre. Ils croisent Dorothy qui, d'un regard, jauge la situation et l'accepte. La représentation est émaillée d'incidents : le briquet ne marche pas, le téléphone sonne à contretemps. Myrtle en profite pour cabotiner, sort de scène laissant son partenaire patauger, improvise si grossièrement que Manny baisse le rideau …que Myrtle lui fait remonter. Elle improvise encore. A l'issue de la pièce, le public, pas très exigent, est partagé. Myrtle est sermonnée par Manny et Sarah. Celle-ci la conduit chez sa voyante lorsque Myrtle avoue ses hallucinations. La séance, où Myrtle se révèle très lucide, est très humiliante (lavage de main, infantilisation, mépris…). De retour chez elle, Myrtle cherche désespérément à susciter l'apparition de Nancy qui apparaît brutalement lorsqu'elle veut se servir un verre. Cette quatrième confrontation est violente. Meurtrie plus que jamais, Myrtle cherche refuge chez Sarah, endormie, et devant elle, se blesse intentionnellement au visage

Sarah conduit Myrtle au théâtre mais la juge folle et incapable de jouer, Manny refuse de la remplacer à la veille de la première. Myrtle, malgré les flatteries de Manny ne peut répéter et elle force Sarah à lui livrer le nom de sa psychiatre qu'elle va consulter. Chez celle-ci, Myrtle suscite un psychodrame en faisant apparaître pour elle seule une cinquième fois le fantôme de Nancy : elle la tue. Elle cherche un réconfort auprès de Maurice qui la repousse une nouvelle fois.

C'est la Première à New York, les spectateurs sont déjà installés et Myrtle n'arrive pas. Elle téléphone puis arrive ivre morte. Manny réussit à la faire se tenir debout et le rideau se lève. Le début de la pièce est chaotique. Myrtle prend en charge tout le dernier acte, échappe aux pièges tendus par Maurice, impitoyable qui lui fait faire des exercices pour prouver qu'elle est saoule. Sarah, David et Manny quittent alternativement le théâtre craignant le pire, ils reviennent. Myrtle tient bon... C'est le succès. Générique de fin.

Opening night est un hymne à la créativité des acteurs et, plus généralement des gens du spectacle, pour échapper à la tristesse et au désespoir devant la fuite du temps et des sentiments. Même Sarah et Maurice qui condamnent Myrtle au désespoir dans sa vie réelle font "partie de la famille" et concourent au succès final.

Comme habituellement chez Cassavetes, l'action est resserrée sur un faible nombre de journées, cinq ici. Le thème du sacrifice consenti à la vie du fait d'être une actrice tout autant que la force que cela permet qui sont travaillés à partir des motifs de l'alcool et du fantôme de la jeunesse. Certes plusieurs fois, avec Sarah et lorsqu'elle rencontre les parents de Nancy, le thème de l'actrice qui ne peut se permettre d'avoir des enfants est abordé mais, Nancy est moins l'enfant que Myrtle aurait voulu avoir que l'amie, le double à la fois proche et démoniaque qui va l'aider à dénouer la crise.

Malgré son ivresse, Myrtle réussit à tenir son rôle et contraint Maurice, son partenaire récalcitrant, à improviser l'ensemble du dernier acte et à donner à la pièce le sens qu'elle souhaite : l'humour et l'espoir triomphent contre la naufrage des sentiments promis par le texte initial. Cette victoire est permise par le démon de la jeunesse qui prend possession du corps défunt de Stein. Ce sera pour Myrtle le fantôme de sa jeunesse. Cette jeunesse se révolte contre l'humiliation subie. La première hallucination de Myrtle a ainsi lieu au retour dans la loge où Myrtle a refusé de se laisser gifler et de subir le mépris de Sarah. En choisissant des très gros plans sur les parties des visages de Myrtle et Nancy, le réalisateur parvient à nous convaincre qu'elles ne font qu'une personne. Les inserts alternants de leurs mains ou d'une partie de leur visage les font se fondre en une même personne irradiante d'espoir... Myrtle est toujours la femme qu'elle a été et pas seulement "la seconde femme".

Très lucide sur ses hallucinations, elle dira plus tard à la voyante : "C'est comme quand on est enfant et qu'on a un ami imaginaire, on sait qu'il n'existe pas".  Nancy est son seul refuge pour affronter la pièce qu'elle résume ainsi " La pièce parle de la diminution progressive de mon pouvoir de femme qui va de paire avec la maturité. A un moment de la vie, la jeunesse meurt et une seconde femme entre en scène. Je crois que Nancy est la première femme de ma vie".

Myrtle cherche donc à maintenir Nancy en vie mais elle se rend compte progressivement que le fantôme a des désirs sexuels qui ne l'intéressent plus guère et qu'elle refuse sa déchéance par l'alcool. La relation devient conflictuelle et elle tue le fantôme qu'elle a créé. L'alcool, omniprésent dans le film (il faudrait compter le nombre de plans dans lesquels apparaissent une bouteille ou un verre) sert de catalyseur pour un retour à la vie qui passe par la capacité à improviser et donc à créer et garder l'espoir.

Jean-Luc Lacuve, le 20/11/2008.

Test du DVD

Editeur : Océan, décembre 2008. 7 DVD-5Films : Shadows, Faces, Une femme sous influence, Meurtre d'un bookmaker Chinois, et Opening night

Suppléments : entretiens inédits avec ses plus proches collaborateurs (Gena Rowlands, Peter Falk, Ben Gazzara, Seymour Cassel, Al Ruban, Lea Goldoni...), des interviews sonores réalisées par les critiques et historiens du cinéma Michel Ciment et Machael Henry Wilson (150 mn), le documentaire inédit "Anithing for John" réalisé par Doug Headline et Dominique Cazenave.