Une vie

2016

D'après Une vie de Guy de Maupassant. Avec : Judith Chemla (Jeanne), Jean-Pierre Darroussin (Le Baron), Yolande Moreau (La Baronne), Swann Arlaud (Julien), Nina Meurisse (Rosalie), Clotilde Hesme (Gilberte de Fourville), Olivier Perrier (L'abbé Picot), Alain Beigel Alain Beigel (Georges de Fourville), Finnegan Oldfield (Paul à 20 ans), Père François-Xavier Ledoux (L’abbé Tolbiac). 1h59.

1819, Jeanne, 17 ans, fille unique  du baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds et d’Adélaïde a regagné après son éducation au couvent, le château des Peuples, sur la côte normande, près  d’Yport, l’ancienne propriété familiale. Jeanne goûte avec son père la joie de redécouvrir le château de son enfance et de planter des salades. Elle passe son temps à rêver an prince charmant.

Un après-midi, l’abbé Picot, l’abbé du village, vient faire une visite de courtoisie aux Peuples avec le vicomte Julien de Lamare, jeune, libre mais pas très fortuné. Le père de Jeanne lui annonce que le vicomte lui a demandé sa main. La jeune fille accepte.

La nuit de noces offre à Jeanne ses premières désillusions. Julien la possède avec brutalité puis s’endort grossièrement. Jeanne se souvient d'une promenade en mer en voilier où elle avait posée sa main prés de celle de Julien. Une prémonition d'elle abandonnée en plein hiver la saisit

Apres le mariage jeanne et Julien vivent aux Peuples. Les parents ont généreusement abandonné pour vivre à Rouen La vie de Jeanne est monotone. Elle s’ennuie et se dit que le bonheur tant désiré est déjà du passé. Julien règne en despote et se montre perfide, avare et vaniteux.
Souhaitant fréquenter la noblesse locale, Julien fait peindre de nouvelles armoiries sur la calèche familiale. Ils rendent des visites de courtoisie aux représentants de l’aristocratie locale : les Fourville avec lesquelles jeanne s'entend bien.

La servante Rosalie, la sœur de lait de Jeanne qui  est à leur service est enceinte d'un petit garçon dont elle souhaite taire le nom du père. Julien, au nom de la morale, souhaite sanctionner Rosalie en la congédiant, mais Jeanne s ‘y oppose. Par une sinistre nuit d’hiver Jeanne, malade, appelle Rosalie qui ne l’entend pas. Elle découvre alors sa domestique dans le lit de son mari. Elle s’enfuit, prête à se suicider sur la falaise. Elle est rejointe par son mari et est ramenée chez elle dans un état de profonde prostration.

Ses parents sont rappelés à son chevet. Le médecin de famille apprend à Jeanne qu’elle attend un enfant. L’abbé Picot tente d’apaiser la situation et de réconcilier les époux. Rosalie est évincée. Le prêtre promet de lui trouver un époux à condition qu’on lui offre une dot assez importante.

Une nouvelle période de bonheur s'offre à Jeanne. Les époux partent en Corse Lors d’une promenade en montagne, charmée par l’ardeur du climat méditerranéen, Jeanne découvre l’amour physique. Au Peuples, Julien et Jeanne reçoivent la visite des Fourville. Jeanne sympathise avec la jeune femme. Elle accouche de son fils, Paul. Mais Jeanne découvre que Julien est l’amant de Gilberte de Fourville. A la douleur de l’infidélité de son mari, s’ajoute la déception d’avoir été trahie par la Comtesse.

La baronne Adélaïde a beaucoup vieilli et est très faible. Elle meurt quelques semaines après son arrivée aux Peuples. Durant la nuit de la veillée funèbre, Jeanne trouve dans les papiers de la défunte des lettres prouvant que sa mère a entretenu une liaison durable, alors qu’elle était mariée, avec un ami de la famille. De peur que son père ne trouve cette correspondance compromettante, Jeanne brûle ces lettres. Son idéalisme de jeune femme est une nouvelle fois blessé.

Jeanne s'en ouvre à l’abbé Tolbiac, un jeune mystique intransigeant qui a remplacé  l'abbé Picot. Comme elle lui avoue aussi l'infidélité de son mari, l’abbé Tolbiac exige  qu'elle la dénonce auprès du comte de Fourville. Comme Jeanne s'y refuse, c'est l'abbé qui le fait. Il provoque ainsi l'assassinat de Julien et Gilberte et le suicide du mari qui les a abattus avec son fusil de chasse.

Des années s'écoulent.  Paul, est mis en internat au couvent où il est très malheureux, désespéré de l'absence de sa mère et  de l'éducation rigoriste; qu'on lui impose. Lorsqu'il est presque majeur des dettes de jeux le contraignent à revenir aux Peuples mais toujours entiché de la femme qui lui a fait mener la grande vie. Il ne tarde pas à partir avec elle à Londres. Il se contente d’écrire  annonçant régulièrement sa venue prochaine et demandant à chaque fois de l’argent. Jeanne vit aux Peuples avec son père. Le baron meurt. Il meurt. Jeanne se retrouve seule. Après vingt quatre ans d’absence, Rosalie, en pleine forme, revient s’installer auprès d’elle. Jeanne a pardonné à Rosalie. L’ancienne servante ne tarde pas à découvrir l’épouvantable situation financière de sa maîtresse. Ruinée, Jeanne est contrainte de vendre le château des Peuples. Avec Rosalie, elle se retire dans une modeste demeure à Batteville, emportant avec elle quelques souvenirs du château de son enfance.

Jeanne tente vainement de faire revenir son fils qui lui demande pourtant toujours de l'argent. Jeanne se cloître dans sa solitude. Une lettre lui apprend que la femme de Paul est gravement malade et qu'il a une petite fille.  Rosalie va la chercher à Paris et la ramène chez Jeanne. Grâce à l'arrivée de ce nourrisson et la promesse que son fils lui fait de la rejoindre très bientôt, Jeanne retrouve le goût de la vie. Et Rosalie de conclure : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit."

En ne quittant presque jamais le point de vue de Jeanne, Brizé reste fidèle au personnage qui, selon Maupassant, n'imagine sa vie qu'au travers "du prisme idéalisant de ses rêves". Ni l'attitude de son mari, de son amie, de sa mère ou de son fils ne la feront changer d'avis. Film en costume extrêmement soigné, c'est pourtant aux saisons que Brizé fait jouer le rôle

Dans la tête de Jeanne

Le film est en grande partie fidèle au roman. Dans celui-ci toutefois, le meurtre accompli par M. de Fourville et pour lequel il ne sera pas inquiété consiste à précipiter la roulotte où se sont refugiés sa femme et Julien de haut en bas de la falaise et à laisser croire à un accident. Ici, il les tue à coups de fusils de chasse et à se suicide ensuite. Brizé explique qu'il a voulu rester à l'intérieur de la tête de Jeanne. C'est elle qui voit cette image mentale du meurtre qu'elle sait que M. de Fourville va accomplir. De même, le format carré accentue l'enferment mental de Jeanne dans ses rêves puis sa dépression grave. Seul les plans sur le voyage en Corse laisse apparaitre une profondeur de champ alors que la marche sur la plage ne dégage aucun horizon tant les  grosses vagues menaçantes qui s'échouent sur le rivage occupent tout l'écran.

Dans le roman, les rêves de Jeanne sont contrebalancés par de grandes scènes naturalistes (l'orgasme dans la nature en Corse, les marins sur le bateau, l'accouchement à même le sol de Rosalie, les coups de bottes mortels de l'abbé Tolbiac en rage devant la vitalité naturelle de la chienne qui met bas en l'écrasant à coups de talons ainsi que ses chiots) qui ne compte ici que la scène inventée du meurtre au fusil de chasse avec le grand trou rouge sang dans le dos de Gilberte.

La dynamique du récit tient tout entière à une structure en flashes-back et,  plus exceptionnellement en flash-forward où Jeanne ne cesse de se rappeler les bons moments et d'anticiper sa déchéance à venir. Celle-ci intervient dès sa rencontre avec Julien avec ce plan d'elle en hiver et vieillie. Il annonce le destin funèbre de ce mariage. Ce même flash-forward intervient encore deux fois pour marquer l'inexorable vie brisée qui sera celle de Jeanne.

Pour marquer son incurable croyance en ses rêves, Brizé déplace le voyage en Corse de la lune de miel au séjour de réconciliation après la naissance de l'enfant de Rosalie.

Le souvenir des saisons

La lumière diaphane qui tombe sur Jeanne, les salades que l'on plante puis arrose au printemps, les jeux avec Gilberte en été, le voyage en Corse, les courses en brouettes avec Paul sont autant de moments à fabriquer des souvenirs. L'automne avec ses feuilles qui tombent est la saison  des désillusions avec la mort des amants, la mort de la mère, le père s'en allant vers sa fin en cueillant des champignons. L'hiver, saison de l'ennuie puis de la folie avec Jeanne permet de retrouver ce plan d'elle errant dans le vent devant un arbre sans plus de feuilles.

Au bout du compte pourtant, l'espoir demeure avec la célèbre dernière phrase du roman. "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit." Parce que semble dire Brizé, après la pluie vient le beau temps.

Jean-Luc Lacuve le 11/12/2016