Les chants de Mandrin

2011

Avec : Jacques Nolot (le marquis de Levezin), Christian Milia-Darmezin (Jean Sératin), Kenji Levan (Court-Toujours), Rabah Ameur-Zaïmeche (Bélissard), Salim Ameur-Zaïmeche (Malice), Sylvain Roume (Ma Noblesse), Nicolas Bancilhon (Blondin), Abel Jafri (La Buse), Sylvain Rifflet (La Flûte), Sylvia Albaret (Mandrinette), Xavier Pons (Le sergent), Jean-Luc Nancy (Jean-Luc Cynan), Yann-Yvon Pennec (Le brigadier-chef). 1h37.

Après l'exécution de Louis Mandrin, célèbre et populaire hors-la-loi, sur la grande place de Valence en 1755, ses compagnons continuent l'aventure d'une nouvelle campagne de contrebande dans les provinces de France.

Un jeune déserteur fuit le sergent et deux soldats à ses trousses. Grièvement blessé, il s'écroule au pied d'un arbre. Bélissard vient-il à peine de le trouver qu'il est pris à partie par les soldats qui veulent exécuter le déserteur sur le champ. Bélissard les abat de trois coups de feu et transporte el corps du blessé au camp des mandrins dont il a pris la direction. Il y retrouve Malice, Ma Noblesse, Blondin, La Buse et Mandrinette. Bélissard extrait la balle du corps du déserteur et, lorsque celui-ci il est capable de se mettre debout, le baptise Court-Toujours et l'initie à la vie de contrebandier proche de la nature et dormant sous la tante.

Le colporteur Jean Sératin trouve difficilement un chemin dans la forêt et est tout heureux de trouver un carrosse qui veut bien le conduire au prochain village. Le marquis souhaite que Jean Seratin qu'il sait diffuser le populaire Livre de Mandrin lui obtienne un entretien avec Bélissard. Sératin que le trajet en carrosse a rendu malade se méfie du marquis et préfère continuer sa route à pied. Le marquis s'obstine à le poursuivre dans l'espoir de tomber sur Bélissard mais finit par se faire mal aux pieds. Sératin le masse et le réconforte tout en soulignant ce qu'à d'ambiguë la position politique du marquis.

Sératin cherche le camp des mandrins dans la forêt et finit par trouver la prairie où ils campent. Apres un moment de méfiance, il est bien accueilli par la petite troupe et leur annonce que le marquis souhaite leur parler. Bélissard débusque celui-ci dans la nuit qui, obstiné, suivait Sératin. Lui aussi finit par convaincre les mandrins de sa bonne fois. Il souhaite faire imprimer le Testament de Mandrin dont celui-ci lui a parlé lorsqu'il l'a visité en prison. Le marquis a la surprise d'entendre Bélissard lui apprendre qu'il a composé quatre chants en vers burlesques en l'honneur de mandrin qu'il souhaite aussi faire éditer.

Ainsi s'en vont-ils tous deux voir l'imprimeur de Milhaud, Jean-Luc Cynan, qui accepte avec joie d'imprimer l'œuvre de Bélissard. Il ne eux toutefois pas livrer davantage que 500 exemplaires sous quinze jours puis 500 quinze jours plus tard. Bélissard donne au marquis l'exemplaire manuscrit du Testament de Mandrin pour qu'il l'imprime.

C'est Sératin qui est chargé de ramener le premier lot des 500 Chants de mandrin. Il est hélas arrêté par une patrouille menée par un brigadier. Les livres sont brulés. Emprisonné, Sératin attend son jugement. Les mandrins parviennent à le libérer en massacrant la garnison.

Sous la protection de leurs armes, les contrebandiers organisent aux abords des villages des marchés sauvages où ils vendent tabac, étoffes et produits précieux. Ils vendent aussi les chants de mandrin dont 500 exemplaires sont maintenant en circulation.

Alors qu'à Rodez, les mandrins ont retrouvé leurs femmes. Les dragons s'organisent. A la fin du marché, la ville est bouclée. Les mandrins sortent néanmoins victorieux de leur affrontement avec les dragons.

Belissard, revenu près du marquis, l'entend réciter la complainte de Mandrin.

Jamais la grande histoire, les forces militaires en présence, les enjeux économiques ne vient peser sur la joyeuse aventure des mandrins, épris de liberté, jouissant de la nature, de l'amitié, de la bonne table, des beaux tissus, de l'amour peut-être. Ces plaisirs simples et naturels s'opposent à la violence des soldats et à la violence économique des accapareurs que sont les fermiers généraux, ceux d'hier et d'aujourd'hui.

Une petite chanson vaut mieux qu'un testament politique

Bélissard confie au marquis le long testament politique de Mandrin que celui-ci promet d'imprimer. De ce testament il ne sera plus question. Le marquis de Levezin, personnage inventé, n'est pas Ange Goudar (1708-1791), aventurier et littérateur français qui, en 1755, s'attaque à la Ferme générale avec le Testament de Louis Mandrin, Généralissime des troupes de contrebandiers, écrit par lui-même dans sa prison. Ange Goudar met en avant les abus commis par les fermiers au nom du roi de France qui affaiblissent le pays. En 1756, il récidive avec plus de succès et propose ses idées en matière d'économie, de politique, critique le clergé et les dépenses royales dans Les Intérêts de la France mal entendus, dans les branches de l'agriculture, de la population, des finances, du commerce, de la Marine et de l'industrie. Ici, plus modestement mais bien plus efficacement le marquis (Levezin pourrait signifier "le voisin") compose la célèbre ballade de Mandrin qui connaitra une grande postérité. Là encore la petite forme, la chanson burlesque, est préférée à la grande, le pamphlet politique.

La complainte de Mandrin jouée sur instruments anciens et réorchestrée comme un slam est dite avec force de conviction poétique par Jacques Nolo. Il suffit alors que Bélissard vienne reprendre avec violence : "Du haut de ma potence, je regardais la France" pour que la chanson résonne avec la rage de celui qui voit aujourd'hui l'état d'un pays miné par les valeurs bêtes et bourgeoises... De quoi se mettre en colère vraiment !

Surtout si elle est collectivement mise en musique

Cet éloge de la petite forme, ce sont ces fameux Chants de Mandrin, vers burlesques apocryphes, composée par RAZ lui-même comme il le fait apparaitre bien évidence sur la couverture du livre, et symbole du film puisqu'il lui donne son titre. Le cinéma, les chants de mandrin, est une œuvre collective qui nécessite l'intervention d'un imprimeur et la troupe d'acteurs habituelle de RAZ pour la diffuser. Le recours au film de genre permet d'être plus franc et radical dans la désignation de l'ennemi. Bélissard affronte ainsi les dragons sous le double cri de "Pour Mandrin et pour la beauté de nos rêves" et de "Pas de quartier".

Le souci pédagogique et moderniste s'exhibe dans la joie de montrer la fabrication du papier. RAZ rejoint parfois les leçons d'histoire de Rossellini, sa Prise de pouvoir par Louis XIV ou Descartes. La sensualité de la nature, de la lumière, des tissus délicats à même la douce peau féminine évoquent aussi les embardées lyrique d'un Ken Loach dans Black Jack (1979) situé dans le XVIIe anglais ou celles d'un René Allio dans Les Camisards (1972) où les protestants cévenols combattaient les dragons de Louis XIV après la révocation de l'Edit de Nantes.

Souvent joyeuse, l'aventure est aussi menacée par le crépuscule. Ainsi de ces longs plans mélancoliques à contre-jour sur le ciel bleu. La jouissance de la simplicité, le refus de la richesse nécessite la vigilance. Lorsque Bélissard dit au déserteur. "Être hors-la-loi nous oblige à être plus vertueux que les scélérats qui nous gouvernent", c'est moins au nom de l'hédonisme qu'au nom d'une nécessaire cohésion collective.

Jean-Luc Lacuve le 31/01/2012

 

La complainte de Mandrin
Nous étions vingt ou trente
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc
A la mode des, vous m'entendez,
Tous habillés de blanc
A la mode des marchands.

La première volerie
Que je fis dans ma vie,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un, vous m'entendez,
C'est d'avoir goupillé
La bourse d'un curé.

J'entrai dedans sa chambre,
Mon Dieu, qu'elle était grande,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main, vous m'entendez,
J'y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.

J'entrai dedans une autre
Mon Dieu, qu'elle était haute,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois, vous m'entendez,
De robes et de manteaux
J'en chargeai trois chariots.

Je les portai pour vendre
A la foire de Hollande
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien, vous m'entendez,
J'les vendis bon marché
Ils m'avaient rien coûté.

Ces messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt, vous m'entendez,
Et leurs bonnets carrés
M'eurent bientôt jugé.

 

Ils m'ont jugé à pendre,
Que c'est dur à entendre
A pendre et étrangler
Sur la place du, vous m'entendez,
à pendre et étrangler
Sur la place du marché.

Monté sur la potence
Je regardai la France
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un, vous m'entendez,
Je vis mes compagnons
A l'ombre d'un buisson.

Compagnons de misère
Allez dire à ma mère
Qu'elle ne m'reverra plus
J' suis un enfant, vous m'entendez,
Qu'elle ne m'reverra plus
J'suis un enfant perdu.