Morse

2008

Thème :

(Låt den rätte komma in). Avec : Kåre Hedebrant (Oskar), Lina Leandersson (Eli), Per Ragnar (Håkan), Henrik Dahl (Erik), Karin Bergquist (Yvonne), Peter Carlberg (Lacke), Ika Nord (Virginia), Mikael Rahm (Jocke), Karl-Robert Lindgren (Gösta). 1h57.

Blackeberg, banlieue de Stockholm, la nuit sous la neige dans les années quatre-vingt. Oskar, douze ans, torse nu dans sa chambre, regarde par la fenêtre. Un homme et une jeune fille aux cheveux noirs descendent d'un taxi. Oskar se saisit d'un couteau et joue une scène d'agression : "Crie, crie comme une truie". Puis, il cache le couteau sous son lit.. Allongé sur son lit, le garçon écoute les bruits des arrivants de l'autre côté de la cloison. L'homme occulte une vitre de l'appartement avec du carton.

Le lendemain, en répondant brillamment à la question d'un policier en visite, Oskar suscite le rire jaune de celui-ci, désarçonné par ce garçon qui dit lire beaucoup. Dans les couloirs de l'école, Oskar est agressé par Conny et sa bande qui le traite de "gentil petit cochon". En rentrant chez lui, Oskar constate que les deux fenêtres de son voisin sont occultées par des cartons

À la tombée de la nuit, Håkan, le nouveau voisin, prépare une sacoche avec une bonbonne d'halothane. Dans le bois de Vällingby, à deux kilomètres de là, il anesthésie un jeune homme, le suspend par les pieds à un arbre pour l'égorger et récupérer le sang. Interrompu par un chien que deux jeunes femmes appellent, il s'enfuit en oubliant son matériel.

Pendant ce temps, dans la cour de sa résidence, Oskar plante son couteau dans un arbre en préparant la vengeance qu'il médite après son agression à l'école. La fille du taxi l'interrompt. Elle le prévient qu'elle ne peut pas être son amie.

Dans le métro du retour, Håkan s'aperçoit qu'il a oublié son matériel. A son retour dans l'appartement, piteux, il essuie les reproches d'Eli.

En classe, l'enseignante revient sur la découverte macabre du bois et conseille une psychologue. Oskar s'enferme dans les toilettes pour éviter les brimades. Chez lui, sa mère, inquiete du meurtre de Vällingby, lui recommande de rentrer à la maison dès la fin des cours. Le soir, Oskar découpe l'article de journal concernant le crime et le range dans sa pochette dévolue aux pires horreurs.

Au Sun Palace, le café du coin, des adultes évoquent le crime et discutent de la peine de mort dans une société de droit. Ils sont intrigués par le "nouveau", Håkan buvant un verre de lait, qui décline l'invitation à se joindre à eux.

Le soir, Oskar sort, laissant sa mère seule. Il joue au Rubik's Cube au pied de son immeuble. La jeune fille fait son apparition. Il s'étonne de son odeur et, la voyant peu couverte, lui demande si elle a froid : "J'ai oublié cette sensation." En la quittant, il lui laisse son cube. la jeune fille se plie en deux, le ventre gargouillant.

Lacke et Jocke se quittent près d'un pont d'où Gösta, dans sa résidence Centrum, les observe. Sous le pont, la jeune fille se jette sur Jocke. Elle boit son sang et lui brise la nuque sous le regard de Gösta. Elle pleure.

À travers la cloison, Oskar essaie d'entendre la conversation entre Håkan et la jeune fille. Gösta, au milieu de ses chats n'en croit pas ses yeux et part raconter à ses amis ce qu'il a vu de son balcon. Sur place, le corps de Jocke a disparu, emporté par Håkan qui s'en débarrasse dans une zone du lac qui n'est pas encore gelée car proche de l'évacuation des eaux usées de la ville.

Le lendemain, Oskar récupère son Rubik's Cube dans la neige, complété. La jeune fille dort. Oskar emporte le Rubik's Cube à l'école et, le soir venu, retrouve sa voisine. Elle lui dit s'appeler Eli, lui montre comment elle a fait pour le cube. Elle a, comme lui, douze ans "plus ou moins" mais ne sait pas quand est son anniversaire.

Oskar reste en classe pour apprendre l'alphabet morse ; il en recopie les bases sur un dictionnaire. À sa sortie, il est agressé par le trio de Conny qui le harcèle. Frappé au visage, il dit à sa mère avoir glissé. Oskar propose à Eli d'apprendre le morse et lui donne un cahier sur lequel il a recopié l'alphabet. Eli remarque sa blessure l'enjoint à riposter et frapper fort pour qu'ils arrêtent. Au cas où ils continueraient, elle promet d'aider Oskar. Tous deux s'exercent au morse de chaque côté du mur qui les sépare.

Au collège, Oskar s'inscrit au cours du soir d'haltérophilie pour être plus fort.

À un autre rendez-vous, il offre des bonbons à Eli. Elle se force à en manger un mais vomit. Alors que le garçon l'enlace, elle lui demande : " Si je n'étais pas une fille, tu m'aimerais quand même ?". Oskar lui répond que oui.

Oskar est chez son père. Håkan part de nouveau en mission. Il sait qu'il pourra peut-être ne pas revenir et demande à Eli de ne pas voir Oskar ce soir-là. Dans un vestiaire, il s'en prend à un certain Matte. Mais tout tourne mal. Résigné, il se verse de l'acide sur le visage en prononçant le nom d'Eli. Eli reste prostrée dans sa chambre.

Après sa séance d'haltérophilie avec M. Avila, le professeur de sport, Oskar récupère son pantalon dans une pissotière. Apprenant à la radio (qui signale que Léonid Brejnev est secrétaire du parti communiste), l'interpellation de Håkan, Eli gagne le septième étage de l'hôpital où il a été transporté. Elle boit le sang de l'homme, selon sa volonté, et le précipite dans le vide.

Lacke se demande pourquoi un enfant s'en prendrait à son ami Jocke. Eli entre dans la chambre d'Oskar par la fenêtre. Elle s'allonge nue contre lui et accepte de devenir sa petite amie, tout en affirmant ne pas être une fille. Le matin, Eli est partie en laissant un mot à Oskar.

Sur le lac gelé, des élèves découvrent le cadavre de Jocke pris dans la glace. Oskar frappe Conny à l'oreille qui le menaçait d'une baignade forcée

La mère d'Oskar le réprimande. Eli retrouve Oskar à la piscine. Au sous-sol de leur immeuble, Oskar veut sceller un pacte avec elle en se coupant la paume de la main. Eli se précipite sur le sang qui goutte au sol. Sa vraie nature dévoilée, elle s'enfuit et se réfugie dans un arbre

Gösta refuse de témoigner et Lacke rabroue sa copine Virginia qui froissée quitte l'appartement. Eli s'abat sur elle et la mord. Lacke libère sa compagne de l'étreinte mortelle. À son réveil Virginia ne supporte pas la lumière du jour.

Heureux, Oskar joue avec son père. Mais un collègue survient et les vieux démons de l'alcool refont surface. Oskar part dans la nuit en pensant au mot que lui avait écrit Eli : "Si je pars, je vis. Si je reste, je meurs". Perdue et en manque, Virginia gagne l'appartement de Gösta où les chats, déchaînés, se jettent sur elle. Elle est transportée à l'hôpital. Oskar rejoint Eli chez elle. A sa question lui demandant si elle est un vampire, elle répond que, oui elle se nourrie de sang et qu'elle est suffisamment riche pour subvenir à ses besoins. Eli laisse partir Oskar qui sait dorénavant tout sur elle.

À l'hôpital, Virginia demande à Lacke de l'aider. Elle n'a plus envie de vivre. Le lendemain, elle s'embrase après avoir demandé à l'infirmier de remonter le store.

Eli se présente à l'appartement d'Oskar. Le garçon la plaisante sur sa demande d'invitation rituelle à entrer. Il refuse de croire que cela a la moindre importance et se contente de signes pour inciter Eli à entrer. Quand Elie rentre, résignée, elle perd son sang par tous les pores. Oskar affolé prononce la phrase clé. Eli fait comprendre à Oskar que, lui aussi aimerait tuer pour se venger. Elle lui demande pour al comprendre, de s'identifier à elle. Oskar comprend alors qu'elle est un vieillard sans âge ce que vient confirmer la vision fugitive qu'il a de son sexe alors qu'elle ôte ses vêtements tâchés de sang : ce n'est qu'une cicatrice.

La nuit, Oskar ne peut dormir chez lui. Il va chez Eli et, au matin, trouve un mot d'elle lui disant être dans la salle de bain et lui donnant rendez-vous le soir.

Lacke torturé par la mort de Jocke erre dans le quartier et soupçonne que l'appartement du nouveau pourrait servir de refuge au vampire. Oskar n'a pas fermé la porte à clé la veille au soir et Lacke entre sans encombre puis découvre Eli, cachée de la lumière dans la salle de bain. Il veut tuer la tuer. Oskar tente de l'en empêcher avec son couteau, ce qui n'effraie pas l'homme. Heureusement, Eli se jette Lacke et le tue. Oskar remercie Eli. Celle-ci doit quitter la Suède. Elle donne à Oskar un baiser d'adieu. Rentré chez lui, il est copieusement réprimandé par sa mère qui s'est aperçue qu'il avait découché. Oskar, tout à son chagrin, n'en a que faire. Ni ses jouets, ni ses coupures de presse de crimes ne l'intéressent plus. La nuit, Il regarde le taxi partir et constate que l'appartement d'Eli est vide.

Oskar est tiré de la vitre de sa chambre où il semble avoir veillé toute la nuit par l'appel de Martin qui lui demande s'il sera là au cours de gym aquatique. C'est un piège. À la piscine, le grand frère de Conny oblige Oskar à rester sous l'eau trois minutes sous peine d'avoir l'œil crevé. Eli sauve le garçon de la noyade en tuant trois des agresseurs.

La neige tombe à nouveau. Dans un train, Oskar répond en morse à Eli réfugiée dans une malle à ses pieds.

Des très nombreuses versions consacrées au mythe de Dracula, celle-ci est la seconde après Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994) où le vampire prend la forme d'une enfant de douze ans. Si d'autres versions sont transplantées hors de l'Angleterre et la Transylvanie, celle-ci est néanmoins caractérisée par un cadre géographique et temporel inédit : une banlieue suédoise sous la neige dans les années 80. Autre élément formel original, l'emploi systématique de la variation de mise au point dans le plan comme alternative au champ contrechamp ou au mouvement d'appareil. Eli est ici moins un être effrayant qu'un damné qui rencontre un frère en la personne d'Oskar. Celui-ci, redoutant moins de voir apparaitre le sang sous la neige que les agressions dont il est perpetuellement victime de la part de ses camarades de classe, sera finalement exclu de la communauté et condamné à vie au rôle de paria.

Oskar et Eli, enfants condamnés, enfants co-damnés

Les premiers plans laissent subsister un doute sur l'enfant le plus terrifiant du film. Oskar d'une inquiétante blancheur, torse nu et armé d'un couteau parait bien plus vampirique qu'Eli, l'étrangère avec ses cheveux noirs dans ce pays de blonds. Oskar dédoublé dans le reflet de la glace et nimbé d'une lumière blanche au milieu des reflets d'une forêt (en fait la décoration de sa chambre) apparait comme un jeune héros fantastique. Par la suite la première attaque de Haken d'un jeune homme seul au bord d'uen route ressemblera beaucoup au début de celle dont sera victime Oskar.

Oskar, jeune héros fragile condamné par la violence sociale

Partout, affleure la menace du sang sous le neige ; discrètement avec les bourgeons des arbres sous la neige, ou la griffure sur le visage blanc d'Oskar ou encore avec la fragile figurine du jeune guerrier rouge face à l'alcoolisme du père. La menace est plus directe avec le bidon blanc et le pull rouge de Haken ou le sang versé sur la neige ou bien encore le sang sur les lèvres blafarde d'Eli.

Un film en rouge et blanc. Voir : les autres occurrences du rouge sous le blanc

Plus encore que la couleur, c'est l'emploi systématique de la variation de mise au point dans le plan qui suggère la douleur affleurant derrière une apparente douceur. Son emploi est tout d'abord classique dans le cadre d'un film fantastique. Elle indique que la situation est plus mystérieuse qu'on ne le croit : neige flou dès la fin du générique, visage de Haken progressivement net dans le taxi, de Lacke assis à Haken progressivement net qui occulte la fenêtre ou bien encore Oskar se détournant pour voir Eli, perchée sur le jeu d'escalade. La variation de mise au point prend aussi en compte la mise en parallèle entre la dimension fantastique et la situation de victime d'Oskar : il n'est pas seul dans la classe mais avec des camarades hostiles. C'est ce que dit la mise au point allant de lui à eux.

Une utilisation systématique de la variation de mise au point. Voir : 16 exemples

Alfredson systématise son emploi en provoquant d'autres effets. C'est l'effet de surprise avec le matériel de Haken jeté violemment sur la table ou la brusque intrusion de Conny dans le plan. C'est l'efficacité narrative lorsqu'Oskar répond à sa mère dans le même plan ou lorsque la mise au point sur Gösta révèle une présence qui sera témoin du crime. Cet emploi systématique de changement de mise au point est utilisé de préférence au champ contrechamp sauf pour l'apparition en gros plan du vampire qui se fait alors d'autant plus inquiétante.

La fusion entre Oskar et Eli se fait au moment où elle lui demande d'être elle un moment. Une première étape avait été franchie quand Oskar prend conscience des règles imposées au vampire et a dû se résoudre à prononcer la formule magique qui permet au vampire d'entrer (chez Bram Stocker le professeur Van Helsing déclare : "Toutes les portes ne lui sont pas ouvertes, il faut au préalable qu'on l'ait prié d'entrer, alors seulement il peut venir quand il le désire. Chapitre XVIII : Journal de Mina Harker 30 septembre).

Mais ce n'est qu'en fusionant avec elle qu'Oskar découvre la vraie nature d'Eli, vieillard torturé et fragile, auquel il finira par consacrer sa vie. Eli de son coté a reconnu un frère en Oskar. Elle renonce à le tuer alors qu'elle est en manque de sang lors de leur deuxième rencontre. S'il y a bien amour entre Oskar et Eli celui-ci n'est pas de nature sexuel. Oskar aime Eli pour cette fragilité qu'il trouve en elle et l'aime même si elle n'est pas une fille. A douze ans, les jeunes gens sont ici plus des enfants que des adolescents. Ils aiment sans que viennent les perturber encore les pulsions sexuelles. Age d'un amour absolu qui s'incarne dans une sexualité au mieux barrée au pire souffrante, telle la cicatrice horizontale qui remplace le sexe d'Eli.

Eli, monstre hors d'âge à la sexualité barrée

Eli, frère de sang d'Oskar, lui manifeste une fidélité à toute épreuve. Elle revient quand Oskar est menacé mais lui impose par la même occasion une fin tragique. Oskar est condamné à être un nouvel Haken qui se sacrifie à l'acide pour que l'on ne l'identifie pas et que l'on remonte ainsi à Eli.

Eli, prophète, léopard russe, vampire et Juliette

Morse synthétise autour du motif du vampire plusieurs autres motifs tirés des cultures les plus diverses.

Eli est le prénom féminisé du prophète Elie qui, avec Moise incarne l'ancienne loi, celle de l'ancien testament. Eli se révèle bien l'ange de la vengeance exécutant Conny, son grand frère et Martin qui ont continué d'attaquer Oskar en dépit du courage de se dernier pour se révolter.

La première attaque d'Eli sous le pont ressemble beaucoup à celle de L'homme léopard de Jacques Tourneur : même signalétique du pont avant que n'ai lieu l'agression (un premier passage chez Tourneur, début de la séquence ici et passage du métro remplacé par celui d'un train). Le roman dont est tiré le film insistait davantage sur l'ancrage dans les années 80 et le rôle possible de vampire de la Russie. Ici le thème est presque éteint et une seule allusion est faite au cadre historique. Juste avant d'annoncer l'interpellation de Håkan, la radio termine en précisant que Léonid Brejnev est secrétaire du parti communiste.

C'est donc bien la thématique associée au vampire qui est prédominante. L'arrivée nocturne d'Elie en taxi est l'écho de l'arrivée de Dracula en bateau en Angleterre. Depuis le Nosferatu de Murnau, la lumière du soleil qui n'avait que des pouvoirs affaiblissant chez Bram Stocker tue le vampire. Au lieu du petit tas de cendre chez Murnau, Virginia est ici transformée en torche vivante et Eli doit se cacher dans la journée dans la baignoire de la salle de bain. Le vampire terrorise les autres animaux, notamment les chats. Celui du vendeur de bonbons hérisse son poil, ceux de Gösta sont assez nombreux pour passer à l'attaque de Virginia. Eli grimpe aux murs (de l'hôpital) ou aux arbres sans problèmes. Deux nouvelels caractéristqiues ont été ajoutées par Alfredson : lorsque le vampire est en manque de sang, il dégage une mauvaise odeur. Eli n'est pas non plus sensible au froid , sans doute parcequ'elle possede une grande proximité avec la mort.

Avant de partir au matin, Eli a écrit un message pour Oskar sur la boîte de bonbons achetée la veille. Celui-ci est très proche du triste : "Il faut vivre et partir-ou mourir et rester" adressé au matin par Roméo à Juliette dans de l'acte III, scène 5 de la pièce de Shakespeare Ici aussi Eli, devenue la petite amie d'Oskar doit fuir le jour comme Roméo devait fuir les Capulet.

Le film balaye ainsi un large spectre de références : la bible, Shakespeare, le cinéma muet, le cinéma de genre, le film politique et même le cinéma gore contemporain avec l'égorgement de la première victime. Ces références fonctionnent comme des harmoniques émouvantes sur la mélodie douloureuse de la damnation douce et éternelle de deux enfants.

Jean-Luc Lacuve le 11/11/2011

Bibliographie :