Prise de la smalah d'Abd-El-Kader
Horace Vernet   1844
 
 
Prise de la smalah d'Abd-El-Kader à Taguin. 16 mai 1843
Horace Vernet, 1844
Huile sur toile, 489 x 2139 cm
Musée national du Château de Versailles
 
   

L’émir Abd el-Kader avait été l’âme de la résistance à la colonisation française de l’Algérie, dont la conquête avait été entreprise en 1830. D’abord installés sur la côte autour des villes, les Français cherchèrent à étendre leur implantation vers les campagnes, malgré l’insécurité entretenue par les musulmans commandés par l’émir. Le 16 mai 1843, vers onze heures, chasseurs, gendarmes et spahis aux ordres du duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, qui le poursuivaient depuis plusieurs semaines, arrivaient à Taguin au sud d’Alger. Un éclaireur musulman, Ahmar ben Farrath, aperçut la smalah d’Abd el-Kader. Les spahis du colonel Yousouf furent les premiers à attaquer, suivis par les chasseurs d’Afrique du duc constitués en réserve. En une heure et demie, les tentes de cette capitale ambulante qui abritait environ 20 000 âmes et 5 000 combattants étaient détruites, les membres de la famille de l’émir capturés (Lilla-Zarah sa mère, Mohammed bel Karoubi son chancelier), son trésor emmené. Malheureusement, Abd el-Kader était absent, étant à la poursuite de la division de Mascara aux ordres du général Lamoricière. Il ne se rendra qu’en 1847 et sera incarcéré à Pau puis à Amboise. Cependant, cette victoire sonna le glas de l’indépendance algérienne, malgré certaines résistances locales.

Ce tableau, l’un des plus grands jamais réalisés, est une composition aérée où Vernet a réussi à éviter la frise et qu’il a su rythmer. Par une succession de triangles dont les deux plus importants se situent à gauche autour du duc d’Aumale et à droite autour des palanquins, seuls éléments à se détacher sur le ciel – ce ciel dont le bleu fut étalé avec des sabres –, Vernet est parvenu à montrer l’attaque française, la résistance algérienne et la fuite des musulmans. Ces triangles sont d’autre part rythmés par des percées en direction du spectateur qui anticipent sur les panoramas, ancêtres directs du cinéma. Si au fond on voit l’attaque des spahis de Yousouf, c’est le premier plan, en arrière du duc assis sur son cheval blanc et donnant ses ordres, qui focalise cependant le regard. C’est là que l’artiste a regroupé les protagonistes français et les anecdotes destinées à donner vie au tableau, comme le juif qui s’enfuit en emportant ses biens. Parmi les personnages, qui forment une galerie de portraits, se trouvent le sous-lieutenant de Canclaux dont la charge permet de dégager les soldats du sous-lieutenant Delage, au centre de la composition, environné de musulmans, et dont le cheval est tué, le lieutenant-colonel Morris du 4e chasseurs, le capitaine d’Épinay à l’extrême gauche, et le capitaine Dupin, célèbre plus tard pour son action expéditive au Mexique. On remarquera que l’axe du duc d’Aumale permet de glisser vers un marabout du nom de Sid-el-Aradj qui avait sacré Abd el-Kader, personnage aveugle lisant le Coran, et dont la présence permet de montrer le côté religieux de la scène. Topographiquement, l’œuvre est très exacte, avec le petit ruisseau au centre de la vallée, l’emplacement du fort turc ruiné et les montagnes arides au fond. De même pour la situation des tentes blanches de l’émir et les positions des troupes, sauf sans doute en ce qui concerne l’emplacement des personnages qu’il fallait montrer en gros plan.
D’un point de vue stylistique, l’artiste a multiplié les sources d’inspiration tout en affirmant sa propre manière, particulièrement dans la représentation des chevaux dont il était un spécialiste comme son père et maître Carle Vernet. Reprenant la mode orientalisante initiée avec les tableaux napoléoniens (Girodet), il s’applique à peindre des figures de musulmans dont certains ont des costumes exacts, mais dans des cas comme les femmes grimpant sur les palanquins, il s’inspire visiblement de la Mort de Sardanapale (Louvre) de Delacroix. C’est aussi chez ce peintre qu’il puise l’inspiration de ses Arabes combattant à cheval comme dans des fantasias endiablées. Quant aux animaux, il semble que ce soit à Rosa Bonheur que Vernet a emprunté les bœufs du centre de sa composition. Mais il a sans doute copié ses gazelles et dromadaires, à l’exemple de Barye ou de Cain, au Jardin des Plantes. Plus intéressante est la femme qui implore le duc d’Aumale au pied de son cheval. Directement inspirée du soldat russe au pied du cheval de l’Empereur dans le Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau de Gros (Louvre), elle révèle la référence à laquelle Vernet s’est attaché pour composer son œuvre. Mais si chez Gros la sacralité de Napoléon est accentuée par cette anecdote, il ne reste rien de cela chez Vernet. Son duc d’Aumale n’est plus qu’un général donnant ses ordres et il ressort à peine de l’ensemble des figures. Ce tableau semble relever de la conception de la scène de bataille selon Gros, mais la vision militaire et topographique reprend plutôt la formule de Lejeune et Bacler d’Albe. Vernet a voulu dans cette toile immense synthétiser les deux conceptions de la peinture de bataille, tout en annonçant la peinture de panorama.

 

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