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Démocrite

1629

Démocrite
Diego Velázquez, 1628-29
huile sur toile, 101 x 81 cm
Rouen, Musée des Beaux-Arts

Un homme planté à mi-corps de profil regarde le spectateur avec un rire moqueur, en indiquant du doigt une sphère terrestre posée sur la table. Une mise en scène théâtrale, orchestrée par la lumière appuie sa présence et le fixe dans l’espace. Le personnage est habillé à la mode du XVIIe siècle avec un pourpoint noir sur lequel se détache un col de dentelle, peint de façon esquissée. Peu d’objets complètent le tableau mais leur choix suggère la culture du modèle: un globe terrestre sur lequel apparaissent les lignes de longitude et le dessin des continents et deux livres. Pourtant, sa moustache en bataille et ses ongles sales laissent imaginer sa condition modeste.

Le Démocrite de Velázquez, fournit l’exemple du travail des historiens de l’art, véritables limiers, pour attribuer les peintures à leurs véritables auteurs. La première mention faite de cette œuvre à Rouen date de 1792. Celle-ci figure dans les collections du musée des Beaux-Arts de cette ville dès 1822 et passe alors pour un portrait de Christophe Colomb attribué à Jusepe de Ribera (1591-1652), un artiste espagnol établi à Naples.

L’attribution passe à Velázquez en 1880 et s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui au regard de la facture de la toile. La matière de l’accroc dans la manche noire du philosophe, les coups de pinceau visibles dans le visage, qui donnent la forme de la pommette, les rides du coin de l’œil et le tendon du cou, sont révélateurs du style du peintre. Les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour dire que le tableau a été exécuté en deux temps. Une radiographie est venue confirmer l’hypothèse émise dès 1893, selon laquelle le personnage a été un Homme au verre de vin, dont deux copies anciennes conservent le témoignage (Museum of Art, Toledo; Musée Anders Zorn, Mora, Suède), avant de devenir Démocrite. La main pointée vers le bas et le globe ont été ajoutés dans un deuxième temps par l’artiste. Velázquez a d’abord peint vers 1627-1628, un modèle riant de buveur, inspiré par le naturalisme des maîtres nordiques et auquel un bouffon de la cour d’Espagne, nommé Pablo de Valladolid, a sans doute prêté ses traits. Puis, il a décidé de modifier son tableau vers 1639-1640, au moment où le peintre flamand Rubens vient de terminer en 1638 son Démocrite pour le pavillon de chasse de Philippe IV, la Torre de la Parada près de Madrid.

Le philosophe mendiant Démocrite est d’origine grecque (vers 460 - vers 370) et son caractère rieur l’oppose à celui mélancolique d’Héraclite. Les deux philosophes sont souvent peints par paire au XVIIe siècle. Dans l’œuvre de Velázquez, Démocrite rit à la pensée de la place dérisoire de l’humain bien minuscule et insignifiant vu de haut, par rapport à l’échelle de la planète. Il se moque du spectateur mais aussi de lui-même en incitant à prendre conscience de l’existence passagère des hommes. Velázquez a composé deux autres portraits de philosophes : Esope et Ménippe. Ces toiles, destinées au souverain et à sa cour, illustrent avec ironie le regard de ces penseurs sur la condition humaine. C’est un autre peintre espagnol, Jusepe de Ribera, qui a établit à Rome avant 1616, ce thème du portrait imaginaire de philosophes antiques moralistes. Au début du XVIIe siècle il est souvent associé à Héraclite « le philosophe qui pleure », ce binôme invitant à méditer sur deux attitudes opposées face à la même médiocrité du monde.

Le recours à ce modèle du penseur, détaché des biens matériels, à la recherche de sagesse et de vérité, s’impose à un moment où il est nécessaire de poursuivre la quête du savoir, née avec l’humanisme à la Renaissance, tout en affirmant la dimension spirituelle et la foi. Bien que réaliste, le tableau de Velázquez n’a pas le caractèretrivial que l’on peut observer chez les maîtres néerlandais abordant ce thème, comme Johannes Moreelse (vers 1602-1634), par exemple. L’expression du personnage ici, reste mesurée et le drapé de sa cape lui donne une allure monumentale. Ce style adouci suit l’exemple du caravagisme, vu lors du séjour du peintre à Tolède en 1622

Ce tableau est, avec le Saint Thomas du musée d’Orléans, la seule œuvre de Velazquez conservée en France.