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Genital Panic

VALIE EXPORT
1969

Genital Panic
VALIE EXPORT, 1969
6 sérigraphies sur papier, 65,8 x 45,9 cm, chacune
Londres, Modern Tate, Feminism and Media (level 4 Room 4)

"Cette performance ne fut connue, jusqu’à récemment, qu’à travers son mythe. Celui-ci veut que l’artiste autrichienne pénètre dans un cinéma pornographique avec un fusil ou une mitraillette à la main, vêtue d’un pantalon découpé à l’entrejambe et exposant son pubis, avant d’annoncer à l’assistance que de réels organes génitaux sont désormais à leur disposition. Cette version des faits domine l’essentiel de la littérature consacrée à l’oeuvre. Elle s’appuie sur un entretien entre Valie Export et Ruth Askey qui fut publié en 1981, et dans lequel sont données les grandes lignes de ce qui deviendra un récit générique, mais inexact, de Genital Panic. Les informations erronées de cet entretien mal retranscrit ou mal traduit, seront constamment reprises jusqu’à ce que Kristine Stiles, s’avisant de contacter Valie Export en 1999, découvre l’erreur, et rétablisse la vérité.

Si la performance repose bien sur l’exhibition de l’artiste et le pantalon ajouré devant les spectateurs d’un cinéma, elle fut en réalité menée ‘‘dans un cinéma d’art à Munich, où des réalisateurs montraient leurs oeuvres’’ (Kristine Stiles, « Corpora Vilia, Valie Export’s Body », in Valie Export: Ob/De+Con (Struction), Philadelphia, The Galleries at Moore, 2000, note 7, p. 32), et sans arme.

La différence est de taille. Certes, les spectateurs imaginaires d’un Genital Panic qui aurait eu lieu dans un cinéma pornographique n’auraient probablement pas été moins abasourdis que les professionnels du cinéma qui assistèrent réellement à la scène. Mais l’image d’un public de fiction abruptement interrompu dans sa rêverie par une femme surgissant de nulle part, à la fois offerte à la vue et belliqueuse, induit une confrontation directe, une réelle agression, ainsi que le risque potentiel d’un retournement de situation au détriment de la seule femme de l’assemblée. Par contraste, la soudaine exhibition de Valie Export dans le cadre particulier d’un festival d’art, si elle reste chargée d’agressivité, revêt la forme d’une performance, d’une déclaration artistique que les cinéastes en réunion étaient censés être aptes à appréhender comme telle.

Le mythe de Genital Panic repose avant tout sur le malentendu qui conduisit Askey à retranscrire des renseignements erronés et, à la suite de la publication de son entretien, sur l’exploitation de cette source d’information qui demeura longtemps l’une des rares disponibles sur l’oeuvre de Valie Export. Mais ce sont des photographies qui donnèrent de la consistance à cette légende, et la firent perdurer. Si nulle photographie ne fut prise de l’action qui constitua Genital Panic, en revanche, des clichés de l’artiste dans la tenue qui fut la sienne pendant la performance furent composés à partir de l’interprétation. L’image la plus célèbre montre Valie Export assise sur un banc, portant un pantalon ouvert sur son pubis, les jambes résolument écartées, le visage cerné par une tignasse ébouriffée à la façon d’une crinière, les dents serrées, empoignant à deux mains un fusil, le regard visant froidement l’objectif. L’image semble rétrospectivement corroborer la légende. En réalité, c’est le spectateur qui extrapole à partir de la photographie. Une narration est déduite de l’image parce que celle-ci est regardée dans le contexte de la performance et que son statut est trouble : elle fait figure de trace de l’acte alors qu’elle est une pose."

« […] Lorsque Valie Export, au lieu d’inviter un photographe à capturer son irruption dans un cinéma, prend la pose d’après sa performance, elle donne l’échelle d’une part d’ombre à partir de laquelle chacun a loisir d’imaginer la scène originelle. » 

(Pierre Saurisse, « La performance des années 60 et ses mythes », in Janig Bégoc, Nathalie Boulouch & Elvan Zabunyan, La Performance. Entre archives et pratiques contemporaines, Rennes, Presses universitaires de Rennes & Archives de la critique d’art, 2010, p. 37-38 et 39)

En 1968, à l'âge de vingt-huit ans, l'artiste autrichienne Waltraud Hollinger a changé son nom en VALIE EXPORT, en toutes lettres majuscules, pour annoncer sa présence sur la scène artistique viennoise. Désireuse de contrer la compagnie dominée par les hommes du groupe d'artistes connu sous le nom d'activistes viennois - dont Günter Brus, Otto Mühl, Herman Nitsch et Rudolf Schwarzkogler -, elle chercha une nouvelle identité qui, disait-elle, n'était pas liée à son père. »(Lehner), ou le nom de son ex-mari (Hollinger).» Elle s'est transformée en VALIE et s'est approprié EXPORT, le nom d'une marque de cigarette populaire, comme nom de famille.

Cet acte de provocation caractériserait ses futures performances, en particulier Action Pants: la panique génitale, pour laquelle elle est la plus connue. Pour cette performance, l'artiste a pénétré dans une maison de cinéma d'art expérimentale à Munich, portant un pantalon crotchless et une veste en cuir serrée, avec ses cheveux taquinés sauvagement. Elle parcourait les rangées de spectateurs assis, son niveau de parties génitales exposées avec leurs visages. Contestant le public à s'engager avec une «vraie femme» plutôt qu'avec des images sur un écran, elle a illustré sa notion de «cinéma élargi», dans lequel le corps de l'artiste active le contexte de visionnage en direct. Née de la révolte de 1968 contre la société moderne de consommation et technique, son action féministe défiante a été commémorée dans une photo prise l'année suivante par le photographe Peter Hassman à Vienne. Comme vous pouvez le voir, sur cette photo, l'artiste tient aussi une mitraillette. EXPORT a fait sérigraphier l'image dans une grande édition et l'a affichée sur des places publiques et dans la rue. Le regroupement de six affiches anciennes que le MoMA a acquises en 2010 préserve l'idée de son installation originale de style guérilla.