Le Portrait de Félix Fénéon par Signac est celui de son ami critique d’art et activiste politique. Il est une célébration exubérante et fantaisiste de cette célèbre personnalité du monde culturel progressiste du Paris fin-de-siècle.
Vu en profil, Félix Fénéon regarde hors champ. Vêtu d’un costume trois pièces, il porte sa barbichette caractéristique et tient dans la main gauche un chapeau haut-de-forme, des gants et une canne. De la main droite, il tend avec précaution un lys à un destinataire invisible. La pose du sujet implique le mouvement, pourtant son corps semble d’une immobilité étrange par contraste avec le fond contre lequel il se détache, sorte de tourbillon kaléidoscopique de motifs et de bandes de couleur émanant d’un point central. La figure de Fénéon est tout à la fois en contraste et en continuité avec cet environnement dynamique dont elle se détache tout en étant comme «émaillée» à sa surface.
Les motifs, les symboles et les couleurs qui constituent le fond font visiblement référence à des sources variées, dont les textiles japonais (cf. le motif violet et jaune à gauche) et l’occultisme mystique (les globes astraux qui tournent autour du corps de Fénéon) . Le motif du vortex renvoie aux théories énoncées dans l’ouvrage Cercle chromatique, publié en 1888 par le théoricien de l’esthétique et de l’optique Charles Henry. Signac et Fénéon partageaient l’intérêt excentrique de Charles Henry pour l’établissement de diagrammes expliquant les correspondances entre les propriétés élémentaires des formes et des couleurs et l’expression des émotions.
Dans ce "Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890, Opus 217", la multitude de points, tout comme les mesures et les angles, les tons et les teintes rappelés dans le titre, déploient et illustrent le modèle empirique développé par Charles Henry dans son Cercle chromatique.
Dans une lettre de 1889 à Vincent van Gogh, Signac salue «la grande portée sociale» des théories d’Henry, qui selon lui sont de puissants outils pour enseigner l’art de « voir juste et beau aux ouvriers apprentis, etc. » Dans Portrait de Félix Fénéon, Opus 217, Signac célèbre la capacité qu’a l’art, par son attrait, d’attirer un vaste public vers de nouvelles découvertes scientifiques. Ce tableau témoigne de ces enjeux ambitieux de l’art ; c’est à la fois un portrait de Fénéon et une évocation du sens de la vue — un portrait du sujet utilisant sa faculté de voir et une représentation symbolique des nouveaux modes de conception du monde moderne.
Portrait de Félix Fénéon, Opus 217 est une peinture obtenue de haute lutte. Félix Fénéon commença par éluder les premières demandes de Signac de poser pour lui et n’accepta au final qu’à la condition que l’artiste le représente «en effigie, absolument frontalement ». Mécontent que Signac ait ignoré sa demande, Fénéon accrocha tout de même ce portrait de profil chez lui jusqu’à son décès en 1944.
Après la mort de sa femme, trois ans plus tard, le tableau sera vendu au premier d’une série de collectionneurs privés, jusqu’à son achat aux enchères par David Rockefeller, trustee de longue date du MoMA, en 1968. Estimant que ce tableau est destiné au MoMA, Rockefeller et sa femme Peggy promettent généreusement l’œuvre au musée en 1970 et en font un don partiel officiel en 1991, dans le cadre d’une donation historique qui comprend des chefs-d’œuvre de Cézanne, Matisse et Picasso, entre autres. À la mort de David Rockefeller, en mars 2017, ces dons intègrent les collections du musée de façon plénière.
Cara Manes (Dossier de presse, Etre Moderne, Le MoMA à Paris)