Odilon Redon et Paul Gauguin se rencontrèrent probablement en 1886, à l’occasion de la dernière exposition impressionniste, à laquelle ils participèrent tous les deux. Ils entretinrent par la suite une relation basée sur le respect mutuel et les mêmes idées sur l’art.

Alors qu’il échafaudait ses projets de voyage lointain, Paul Gauguin prit conseil auprès de madame Redon, qui était née à l’île de La Réunion, non loin de Madagascar. Redon voulut dissuader Gauguin de partir, mais celui-ci était déterminé comme en témoigne la lettre qu’il lui adressa en 1890 : “Ma résolution est bien prise […]. Madagascar est encore près du monde civilisé. Je vais aller à Tahiti et j’espère y finir mon existence. Je juge que mon art que vous aimez n’est qu’un germe et j’espère là-bas le cultiver pour moi-même à l’état primitif et sauvage. […] J’emporte en photographies, dessins, tout un petit monde de camarades qui me causeront tous les jours. De vous j’ai un souvenir dans ma tête de tout ce que vous avez fait à peu près […].” Redon admirait cependant la décision de son ami, parti en laissant femme et enfants, et l’estimait courageuse.

Lorsqu’en 1903 la nouvelle de la mort du peintre à Tahiti arriva en France, l’heure de la reconnaissance avait enfin sonné pour Redon, très entouré par ses amis artistes et mécènes. Aussi la fin solitaire de Gauguin dut-elle lui paraître en contraste particulièrement tragique. Il réalisa alors plusieurs tableaux dédiés à son ami, cas unique dans son œuvre d’hommage à un artiste contemporain. Parmi ces œuvres se trouvent un tableau de fleurs qui rappelle les vases anthropomorphes de Gauguin, un Hommage à Gauguin où s’épanouissent deux pavots rouges, et ce Profil noir.

La tête de Gauguin, représentée de profil, apparaît en effet très sombre, se détachant sur un fond doré et isolée dans une sorte de médaillon entouré de fleurs. Cette représentation, qui évoque les Primitifs et d’autres œuvres de Redon, place Gauguin à part du monde réel, absorbé dans sa vie spirituelle et s’élevant après sa mort. La texture du fond doré, émaillé d’orange et de brun, évoque le grès et rappelle que Redon admirait particulièrement les céramiques de son ami.

Texte : Cécile Thézelais