Les Femmes à leur toilette, collage monumental réalisé pendant l'hiver 1937-1938, a été restauré en 2018.
Choisissant le thème traditionnel de la coiffure, Picasso met en scène trois femmes à leur toilette, évocations des compagnes qui se succèdent alors à ses côtés. Les images d'Olga Picasso, Marie-Thérèse Walter et Dora Maar hantent la composition de ce carton de tapisserie, le seul jamais conçu par l'artiste, qu'il garde tout au long de sa vie. Exécutée dans l'Atelier des Grands-Augustins à Paris, l'oeuvre est un écho direct à la création de Guernica, quelques mois plus tôt. Picasso reprend l'idée d'un très grand format et assemble sur sa toile une multitude de papiers découpés, aux motifs variés. L'artiste, qui avait renoncé à l'idée d'inclure des éléments de papiers peints dans Guernica au début de l'année, laisse ici libre cours à ce procédé inspiré des recherches cubistes sur les papiers collés. Les Femmes à leur toilette incarnent les révolutions plastiques que Picasso orchestre tout au long de sa vie et constitue l'un des chefs d'oeuvre du Musée national Picasso-Paris.
Exécutée dans l’atelier de la rue des Grands-Augustins pendant l’hiver 1937-1938, cette œuvre monumentale s’inscrit, par son format et son traitement plastique, dans la filiation directe de Guernica pour laquelle Picasso songea un temps à intégrer des papiers collés. «A la place qu’occupait la célèbre toile deux ans auparavant, écrit Brassaï en 1939, se dressait maintenant un autre panneau, presque aussi grand : Femmes à leur toilette. […] A ce moment-là, il [Picasso] voulait créer un carton directement conçu pour la tapisserie et eut l’idée de recourir au procédé du collage. Ayant réuni une grande quantité de papiers à fleurs chez les tapissiers, il y taillait les vêtements des femmes, mais aussi leurs mains, leurs visages, tous les éléments du tableau». Annonçant les gouaches découpées de Matisse, Picasso dessine directement avec ses ciseaux dans les différents motifs colorés qu’il a sélectionnés pour leur valeur signifiante. Le papier à motifs de briques est utilisé pour représenter le fond du mur, le faux-bois pour le parquet et le cadre du miroir, les fleurs pour les fleurs… Reprenant la thématique traditionnelle des femmes se coiffant, la composition, tripartite, s’organise autour de figures évoquant les trois compagnes qui se succèdent alors dans la vie de l’artiste: Olga à gauche, agenouillée et déjà absente, la tête tournée vers l’extérieur. Puis Dora, souffrante, assise en tailleurs, les mains crispées comme des serres d’oiseau. A droite enfin, il pourrait s’agir de Marie-Thérèse dont la douceur et l’arrondi des courbes du corps assis tiennent avec délicatesse un miroir. Dans ce miroir, se réfléchit une tête fleurie : double du modèle, reflet fantasmé de la femme aimée ou image du spectateur et hommage aux célèbres Ménines de Velázquez, vers 1656? Ça n’est pas la première fois que l’une des œuvres de Picasso est transposée en tapisserie. Dès 1935 en effet, déjà à l’initiative de Marie Cuttoli, collectionneuse, commanditaire de tapisseries et mécène, les ateliers d’Aubusson réalisent une version tissée du papier collé de 1928 : Le Minotaure, 1928. Cependant, les Femmes à leur toilette sont le seul et unique carton de tapisserie conçu en tant que tel par l’artiste. Aussi, est-il amusant qu’il ait été exécuté à partir de papiers dont la fonction première est, comme la tapisserie, de recouvrir les murs. Pour autant, la transposition effective de la composition ne se fera pas immédiatement, Picasso refusant catégoriquement que la composition quitte son atelier. Il faudra donc attendre presque trente ans, et la rétrospective de 1966 au Grand Palais pour que le projet aboutisse. Sous l’impulsion de Malraux, qui en décide le tissage aux Gobelins, un échantillonnage en laine est réalisé dans les salles d’exposition ainsi qu’un carton photographique qui inspire à Picasso un second tissage en noir et blanc. Véritable défi lancé aux lissiers, le carton des Femmes à leur toilette sera finalement tissé entre 1968 et 1976 en haute lisse, en quatre exemplaires: deux en couleurs et deux en noir et blanc. Sous la direction de Pierre Baudoin, les tapisseries nécessiteront respectivement la teinture de 89 et de 12 couleurs, et entre 12000 et 16 000 heures de travail chacune.
Emilia Philippot, conservatrice du Patrimoine, Musée national Picasso