La série de photographies prises par David Douglas Duncan lorsque Picasso peint Baigneurs à la Garoupe sont saisissantes par la maîtrise qui s’en dégage. Le peintre «attaque» sa toile en haut à gauche pour la terminer, moins de dix minutes plus tard, exactement en bas à droite, sans interruption, sans interrogation, d’un flux unique et régulier. Ainsi qu’il le déclare à Duncan médusé: «D’autres peintres peuvent passer une année à peindre et à repeindre un centimètre carré de toile. Moi, je pense à cette toile depuis un an. Maintenant je dessine pendant quelques minutes et c’est assez pour la terminer!»
Le tableau a en effet été largement ébauché en septembre 1956, au terme d’une longue recherche, ponctuée de nombreux dessins, sur le thème de la plage, d’une part, et sur les relations entre peinture et sculpture d’autre part. Il existe en effet une version sculptée de Baigneurs à la Garoupe, conservée à la Staatsgalerie de Stuttgart, fabriquée à partir de morceaux de bois de rebut, ramassés ça et là, et qui comprend chacun des six personnages du tableau: «L’homme-Fontaine», «La femme aux bras écartés», etc.
Dès 1912, avec ses tableaux reliefs, ses assemblages, Picasso a remis en cause la question de la planéité du tableau en y intégrant des objets réels. Dès lors, et tout au long de sa carrière, il revient sur ces assemblages en leur donnant une dimension de plus en plus sculpturale. Avec Baigneurs à la Garoupe cependant, Picasso prend à rebours le problème qu’il a lui-même posé, en réalisant un groupe sculpté tellement plat qu’il se transpose aisément en un tableau en deux dimensions. Comme s’il portait une conclusion à son questionnement du début des années 1910 en émancipant ses assemblages de bois du cadre du tableau pour en faire un groupe sculpté, puis en revenant, avec Baigneurs à la Garoupe, à la stricte planéité du tableau.