Composition, 1943
Huile sur toile, 114 x 72 cm
Collection particulière
Lespace est structuré par des lignes sinueuses et enchevêtrées qui sestompent dans la transparence lumineuse du fond de la toile. Linfluence de Magnelli (et même de Domela son ami, élève de Mondrian) se fait encore sentir dans ces lignes. Magnelli qui, comme son «disciple» après lui, na cessé de pratiquer des allers-retours entre abstraction et figuration Mais, à linverse de son aîné, la palette de Nicolas de Staël est sourde. Le gris domine, teinté de brun et de vert, les bleus et les jaunes sont éteints. Lécheveau des traits se perd dans les profondeurs vaporeuses de la toile, donnant au tableau une atmosphère onirique.
De La Danse, 1946
Huile sur toile, 195,5x114,5 cm
Musée national dart moderne, Paris
Sur cette toile, pleine dallégresse, laccent est mis sur les couches épaisses et striées de la pâte. La matière généreuse est irradiée par la couleur, qui perce pour la première fois cette année-là. Sur un fond sombre, le gris se colore de bleu, de vert, docre. La partie gauche de la toile est éclairée par des masses blanches qui donnent à lensemble luminosité et dynamisme joyeux. Les lignes, plus tressées quenchevêtrées, tourbillonnant au centre du tableau, évoquent le mouvement léger dun danseur.
Ressentiment, 1947
Huile sur toile, 100 x 81 cm
Galerie Jeanne Bucher
Les lignes sombres, verticales et obliques, dominent et forment un réseau
dense. Dans lépaisseur de la pâte surgissent des accents
colorés, blancs et bleus, ocre ou brique. Un mouvement, presque une
palpitation, émerge de la profondeur grasse de la matière. Lil
éprouve émotion et plaisir sensuel à voir ces couches
de peinture accumulées, granulées et striées. Derrière
les barres sombres de la grille du premier plan frémissent des tons
délicats, gris irisés, verts déclinés dans une
gamme subtile. Les baguettes ou bâtonnets senfouissent les uns
sous les autres et se perdent comme dans un jeu de mikado.
La structure, dun gris métallique presque noir, encadrant des
plages de couleur bleue et ocre, évoque un vitrail.
Calme, 1949
Huile sur toile, 96,50 x 162,50 cm
CollectionCarroll Janis, New York
Le titre de cette toile est significatif. Arno Mansar (Nicolas de Staël,
La Manufacture, 1990) a perçu dans les toiles de cette époque
une période de repos, «comme une halte indispensable entre lexpressionnisme
des empâtements de la matière de naguère et le prochain
éclatement des champs de couleurs».
Le camaïeu des gris bleuté est empreint dune douceur infinie,
accentuée par la délicatesse des beiges. Sous la pâte
épaisse palpitent, prisonnières, des lueurs rouge orangé,
comme issues dun magma originel.
On retrouve dans les autres compositions «en polygones» de cette
époque ce surgissement de couches enfouies, à la lisière
des masses géométriques colorées. La matière tremble,
cherche à percer, elle devient vivante.
La juxtaposition des formes qui simbriquent les unes dans les autres
font songer, mais en plus dynamique, à Poliakoff.
Composition, 1951
Huile sur contreplaqué, 195 x 98,50 cm
Galerie Jeanne Bucher
Les pavés, irréguliers, sétagent à partir
dune base sombre, dans un camaïeu de bruns et de gris. «La
peinture ne doit pas être seulement un mur sur un mur. La peinture doit
figurer dans lespace» écrit le peintre qui, dans cette
composition, construit en hauteur un pavement de couleurs et de pâtes
en fusion. Cen est fini du fond comme mur, les tesselles flottent, comme
en suspens, dans lespace, et de Staël reconstitue la profondeur
dans les interstices de ces pavés de couleur. Une bande horizontale
délimite le haut du tableau, elle préfigure le ciel et annonce
une présence plus visible de la réalité en 1952.
De Staël peint sur un isorel, à la fois rigide et absorbant, qui
aspire le gras et supporte le poids de la matière somptueuse quil
applique. En travaillant ainsi, par couches successives, entassement de la
pâte, saturation du bloc couleur, il découvre la «couleur-volume».
La matière devient feuilletée et la couleur vibre entre les
joints de la maçonnerie, bleue, ocre ou blanche.
Bouteilles en brun, ocre, et rose, 1952
Huile sur toile, 65 x 81 cm
Collection particulière
Staël a réalisé un grand nombre de tableaux ayant pour
sujet des bouteilles. Bouteilles en brun, ocre et rose, est parmi les premiers.
Ce qui frappe, ici, cest la pâte épaisse de la peinture,
la texture rugueuse, le poids énorme de la matière qui se mesure
à leffort quont les formes à faire surface, à
affleurer de lobscurité du tableau. Le chromatisme se réduit
à la gamme des noirs, bleus foncés, bruns, rose, avec un discret
tracé de rouge. Quatre bouteilles surgissent de lobscurité
du fond, tandis que dautres se devinent derrière les couches
épaisses de peinture, aussi noires que le fond noir. Les formes émergent
à peine du champ chromatique de la toile et sinterpénètrent
avec lespace limitrophe. La composition tient en équilibre précaire,
à la limite du visible et de linforme.
Staël écrit à Jacques Dubourg (juin, 1952): Il faut
se retirer dans lombre des voiles, se cramponner à chaque plan
à peine perceptible, si lon ne veut pas finir en fresque de Pompei,
en platitude. Et ici, tout est jeu subtil entre le visible et linvisible
que la matière picturale recèle, le tableau entier se donnant
à voir comme représentation dun voile, au-delà
duquel on demande à voir.
Sinterrogeant sur lessence de la peinture, Jacques Lacan citait
lapologue antique du concours entre deux peintres grecs: Zeuxis et Parrhasios.
Parrhasios lemporta sur Zeuxis qui avait peint des raisins si ressemblants
que les oiseaux sy étaient trompés. Ce que Parrhasios
peint, sur la muraille, est un voile si ressemblant que les hommes lui demandent
de voir ce quil a peint derrière ce voile. Au-delà de
la représentation de lobjet, la peinture se montre ici dans son
essence: celle de solliciter le désir de voir au-delà, au-delà
dune suite de plans-couleurs-matière, une image impossible. Lobjet
est ainsi, comme le dit encore Lacan, au sujet de luvre dart
en général, élevé à la dignité
de la chose, qui demande de lever le voile des apparences pour pénétrer
dans dautres profondeurs.
La Route dUzès, 1954
Huile sur toile, 60 x 81 cm
Collection particulière
La structure du tableau reprend celle des vues dAgrigente où lartiste utilise, tout en la détournant, la perspective monofocale. Route, collines, ciel convergent en un point de fuite qui noccupe pas la place centrale mais qui est déplacé vers la droite. Le point de fuite se transforme ainsi en point de chute, abîmant avec lui le paysage, et le regard sengouffre dans le vert de la colline. Lespace sanime dun mouvement qui aspire avec lui le spectateur. Jai choisi de moccuper sérieusement de la matière en mouvement, écrit lartiste en 1951 (Lettre à Olga de Staël du 19, 11, 1951). Les tons froids des verts et des gris sétalant en couches minces de peinture, délimitent des formes doucement ondulées. Lensemble de la composition, alliance de froideur et de sensualité, de calme et de vertige, donne à cette vue son côté paradoxal.
Nu couché bleu, 1955
Huile sur toile, 114 x 162 cm
Collectionparticulière
Sur ce nu épuré, dune extrême élégance,
domine le vermillon, couleur emblème de Nicolas de Staël. La violence
de cette couleur, qui occupe la moitié supérieure de la toile,
accentue la douceur bleutée de ce corps de femme. La ligne du visage,
du buste et des jambes repliées dessine un tendre paysage de vallons
et collines comme flottant sur lécume duveteuse des draps.
Le rouge est étiré à la brosse, sans nuances, monochrome.
Le blanc, teinté de gris, sallège et forme un halo autour
des jambes. De cette silhouette alanguie, presque évanescente, se dégage
un sentiment de sérénité comme si, dans cette transparence
progressive de sa peinture, Nicolas de Staël allait bientôt passer
dans sa toile, de lautre côté du miroir.
Atelier fond orangé (Atelier), 1955
Huile sur toile, 195 x 114 cm
Collection particulière
Dans son avant-dernière section, lexposition présente
les dernières natures mortes de Staël, ayant pour sujet latelier
de lartiste: Atelier vert, Coin datelier à Antibes, Coin
datelier fond bleu, Atelier à Antibes, et Atelier fond orangé.
Dans ce tableau, la couleur de plus en plus pure saffirme sur la matière
qui sefface au profit de champs monochromes où baignent des formes,
des rectangles de couleur irradiante aux bords diaphanes qui évoquent
les toiles de Mark Rothko peintes dans les mêmes années aux Etats-Unis.
Même si Rothko na aucun souci de représentation et va de
plus en plus loin dans la conception de ses tableaux comme champs dimmersion
dans la couleur et dans la sensation, son uvre, comme celle de Staël,
évoque la dimension du surgissement, de lépiphanie, donnée
par le visible et allant au-delà du visible, quelque chose de lordre
de la présence.
A lépoque, Nicolas de Staël, très marqué par
Vélasquez quil a revu au Prado en 1954, parle de la suprême
aristocratie de cette pincelada qui, avec un minimum de matière, un
minimum de brio, un maximum dautorité, suscitent un art déconcertant
de simplicité et de présence.
Ici, la couleur saturée et fluide, appliquée en couches de plus
en plus minces répand une lumière orangée où baignent
les outils du peintre que quelques lignes de bleu, accentuant lorangé
du fond, suffisent à rendre. La couleur avec ses contrastes, sa présence
ou son absence dans la toile, est désormais souveraine. Le peintre
joue sur les réserves de la toile blanche, les zones dabsence
de la peinture, qui dessinent la forme dun tiroir, et au loin, peut-être,
dun châssis suspendu. Comme les zip de lumière dans les
tableaux monochromes de Barnett Newman, les réserves de Staël
concentrent toute lénergie chromatique, font vibrer lespace
et changent ces tableaux en véritables drames (au sens littéral
du terme qui est action) de la couleur, avec ses contrastes, ses
dissonances, ses complémentarités, ses transparences, sa lumière.