Malgré une hiérarchie des genres rigides, où la nature morte occupe le dernier rang, Chardin s'acquiert dès sa jeunesse une réputation de grand artiste, détenteur de cette "magie" du faire qui enthousiasmera tant Diderot. C'est ainsi que l'Académie, en 1728, contre la coutume, agrée et reçoit Chardin le même jour parce que La Raie, retenue comme morceau de réception avec Le Buffet, égale en qualité les plus beaux exemples flamands (Jan Fyt). Magnifique morceau de peinture, l'oeuvre évoque déjà, la sobriété en moins, la rigoureuse construction des petites natures mortes de la maturité (La tabagie, La brioche, Le gobelet d'argent).
Au-delà de la simple représentation de lobjet, Chardin vise avant tout la peinture et ses lois. La silhouette blanche en losange de la raie se déploie dans un jeu dobliques et de diagonales par lesquelles elle simpose dans lespace, les effets de texture sont aussi présents. La blancheur si particulière de ce curieux poisson fait face au spectateur et lintroduit dans la dimension prégnante de ce qui devrait rester caché et qui se montre : la mort béante nous faisant face et prenant la place dun objet qui pose sous le regard du peintre. Sentiment de fascination et dengloutissement.