Cézanne avait certainement vu au musée d'Aix-en-Provence, sa ville natale, Les joueurs de cartes attribué aux frères Le Nain. Dans les années 1890, l'artiste traite à plusieurs reprises ce thème d'inspiration caravagesque et donne à l'affrontement une gravité exceptionnelle. Aux subtils jeux de gestes et de regards, Cézanne substitue les silhouettes massives et la concentration silencieuse des personnages.
La bouteille, sur laquelle joue la lumière, constitue l'axe central de la composition. Elle sépare l'espace en deux zones symétriques, ce qui accentue l'opposition des joueurs. Ces derniers seraient des paysans que le peintre observait dans la propriété paternelle du Jas de Bouffan, aux environs d'Aix. L'homme fumant la pipe en terre blanche, portant un curieux chapeau melon et un col empesé a pu être identifié comme étant le "père Alexandre", jardinier du lieu. L'autre coiffé d'un vieux galure cabossé, regarde ses cartes avec attention.
Sur les cinq toiles que le peintre consacre à ce sujet, celle-ci est l'une des plus dépouillées. Ici, tout concoure finalement à donner un aspect monumental à la composition, que vient servir un chromatisme aux accords somptueux.
L'harmonie d'ocres, de bruns et de rouges enveloppe l'oeuvre dans son mystère et nous révèle la beauté de la scène, le calme de la partie de cartes, la gravité de la représentation, sa sacralité, son éternité. L'être humain, le temps d'une partie de cartes, d'un receuillement, d'un silence, est ainsi modeste et magnifique.
Source : Musée d'Orsay