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(1460-1526)
Renaissance

Peintre narratif, dont les compositions, d'une étrangeté onirique, lui firent occuper une place un peu marginale dans l'art de la Renaissance. Il fut l'un des peintres les plus compétents du début de la Renaissance à Venise qui refusa d'adapter son style à l'évolution picturale du début du XVIe siècle. Par la présence de l'architecture dans ses toiles, Carpaccio s'imposa également comme un grand peintre de paysages urbains.

Le Miracle de la relique de la Croix au pont du Rialto 1520 Venise, Galerie de l'Academie

Vittore Carpaccio ou Vittore Scarpaccia fut l'un des premiers à utiliser la présence de l'architecture, préfigurant un genre, les vedute (paysages urbains). Il traitera invariablement de manière grave et naïve, parfois pittoresque, la réalité vénitienne, en marge de la mode picturale de son époque.

Il fut toute sa vie au service des Scuole (écoles), confréries charitables et de bienfaisance qui employaient des artistes dont les mécènes étaient d’illustres familles vénitiennes, ce qui explique que leurs emblèmes figurent en bonne place dans ses œuvres. Le système des commandes, s'organise à l'intérieur d'un réseau complexe d'échanges et de conflits, d'intérêts économiques corporatifs et contributions patriciennes occasionnelles. Dans ce processus très élaboré, le parti pris décoratif compte peu au regard de la volonté d'affirmation du prestige d'un particulier, d'un groupe ou d'une institution. Cela explique l'abondance des portraits dans les grands cycles, commanditaires, bienfaiteurs et figures de l'autorité en place.

Carpaccio nait  vers 1465. Jusqu’à la fin du siècle Venise, joue encore un rôle prépondérant en Méditerranée grâce à sa flotte. Le long du Grand Canal, marchés et « fondachi » étrangers prospèrent, et la ville prend son aspect définitif. Les jeunes patriciens ne se contentent pas de fréquenter l’antique université de Padoue, mais ils suivent également les cours de l’École de logique et de philosophie naturelle ouverte au Rialto et d’une autre école d’orientation humaniste, florissante depuis le milieu du XVe siècle près de Saint Marc.

Le goût de Vittore Carpaccio pour les histoires peut se développer librement dans le cycle de peintures consacré aux épisodes de la vie de Sainte Ursule, destiné à la Scuola di Sant'Orsola. On sait grâce aux dates des cartouches, qu'il a peint les différents épisodes dans le désordre entre 1490 et 1495. Selon la Légende dorée, cette princesse bretonne, fiancée au Prince d'Angleterre, fut tuée à Cologne par les Huns, à son retour d'un pèlerinage.

Il a collaboré avec Gentile Bellini et deux autres représentants de la tradition narrative vénitienne, Lazzaro Bastiani et Giovanni Mansueti, au cycle de tableaux réalisé pour la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista, conservé aujourd'hui aux Gallerie dell'Accademia. Il était à l'époque très occupé par le cycle de Sainte Ursule, mais il a dû trouver le temps de répondre à l'appel de Gentile Bellini dont il était peut-être l'élève. Il réalise en 1500 le Miracle de la relique de la croix (guérison miraculeuse d'un possédé au Rialto). L'événement est décentré à gauche dans le tableau, comme une scène qui s'inscrit dans la vie quotidienne de la ville.

Entre 1501 et 1503 il exécute pour la Scuola Dalmata di San Giorgio degli Schiavoni, consacrée à Saint Georges et à Saint Tryphon, deux grandes toiles représentant Saint Georges et le Dragon, les deux peintures de saint Jérôme et le Lion et Les Funérailles de saint Jérôme, ainsi que La Vision de saint Augustin. Quelques années plus tard, il termine le cycle par un Baptême des Sélénites et réalise Saint Tryphon exorcise la fille de l'empereur Gordien, confié pour une grande part à un peintre de son atelier.

Entre 1510 et 1520 il exécute un certain nombre de retables d'autels et réalise en particulier le retable de la Crucifixion et apothéose des Dix Mille Martyrs du mont Ararath en 1515. Cette scène ornait autrefois l'autel élevé en l'honneur des martyres par Ettore Ottobon, neveu du prieur Francesco, dans l'église de Sant'Antonio di Castello. Ce tableau très particulier, construit à la verticale représente l'épisode de soldats romains convertis au christianisme et exécutés par leur propre empereur allié pour l'occasion aux rois païens d'Orient. Il a une importance historique car il a été commandé au moment où l'empereur Maximilien cherche à s'allier avec le sultan ottoman Sélim Ier pour attaquer Venise.

La force créatrice du maître, fidèle aux conquêtes et aussi aux limites de la vision du xve siècle, semble s'atténuer, au cours de la deuxième décennie du siècle, comme s'il était écrasé par la modernité des gloires naissantes du cinquecento vénitien. D'autre part, l'intervention toujours plus fréquente de l'atelier, déjà perceptible dans la série des six scènes de la vie de la Vierge peintes pour la Scuola degli Albanesi (aujourd'hui, partagée entre l'Académie Carrara à Bergame, la Brera, le Museo Correr et la Ca' d'Oro à Venise), alourdit souvent ses œuvres. Les scènes de la vie de saint Étienne de la Scuola di Santo Stefano  (1511-1520), partagées entre la Brera, le Louvre, les musées de Stuttgart et de Berlin, gardent toutefois, surtout dans certains épisodes (Dispute de saint Étienne parmi les docteurs au Sanhédrin), 1514, Brera ; La Prédication de saint Étienne à Jérusalem, 1514, Musée du Louvre), un chromatisme lumineux, un sens concret de l'espace, une netteté formelle et une limpidité aérienne qui désignent encore le meilleur Carpaccio. Cependant, sa production tardive, réservée en partie à la province et partagée avec ses fils Benedetto et Piero, révèle que la parabole de Carpaccio décline désormais dans le sens de la sécheresse et de la faiblesse académique (œuvres à la cathédrale et au musée de Capodistria).

Carpaccio fit preuve au cours de la plus grande partie de sa carrière d’une extraordinaire indépendance d’expression par rapport à la tradition figurative vénitienne, et il garda un attachement profond à la culture de la fin du XVe siècle. Dès le début de la dernière décennie de ce siècle, son langage figuratif atteignit une conscience pleine et originale, résultat des expériences vécues dans les milieux humanistes les plus cultivés. Son choix difficile de se mettre volontairement en concurrence avec les nouvelles tendances, se contentant de traduire la réalité objective en rêves enchantés de grande valeur symbolique, étrangers au naturalisme moderne, explique l’absence d’un atelier organisé ou de disciples de valeur. Et qui explique aussi, en partie, les rôles de narrateur épidermique et de peintre de genre dans lesquels l’historiographie artistique confina longtemps Vittore Carpaccio, avant que la critique moderne n’en reconnût la grandeur créatrice, géniale et solitaire.