Joseph, père nourricier du Christ 1890 Eglise de Villers sur Mer
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La première rétrospective jamais consacrée à Jean-Joseph Constant dit Benjamin-Constant (1845-1902) est organisée à Toulouse du 4 octobre 2014 au 4 janvier 2015, la ville natale de ce peintre, au Musée des Augustins et s'intitule Merveilles et mirages de l'orientalisme. Les commissaires, Axel Hémery, directeur du lieu, et Nathalie Bondil, son homologue du Musée des beaux-arts de Montréal, où la sélection ira ensuite, mettent bien en valeur les qualités plastiques de cet artiste oublié. Presque disparu: parmi les soixante-dix pièces accrochées, certaines toiles ont été retrouvées roulées dans des réserves.

Ils signalent bien le mirage. Mais ne rappellent guère sa dangerosité. Car avec Benjamin-Constant nous ne sommes plus dans l'Antiquité vivante rêvée par Delacroix ni dans le hammam interdit du voyeur Ingres. Les grands, voire très grands, formats nous invitent à entrer sans nous déchausser dans des intérieurs privés. Ou à investir des horizons comme autant de territoires vierges, fertiles, sauvages donc bons à civiliser.

Les têtes coupées des Derniers rebelles dont les corps gisent au pied des remparts de Marrakech (Besançon, dépôt du Musée d'Orsay) pendent en trophées aux flancs d'un dromadaire. Les Prisonniers marocains (Bordeaux), avec gisant inspiré du Christ mort d'Holbein, endurent des supplices significativement cruels. Qui justifient la «civilisation» contre la «barbarie».

La puissance fantasmatique, l'attirail décoratif fait de minutieux détails architecturaux et mobiliers, l'effet émollient de ces images du Maghreb, les clichés habituels à l'Orient, fatalisme, langueur, tout cela fonctionne à plein. Tel est le talent, toujours actif, de ce peintre propagandiste avant même que d'être artiste. Entre les cadres de sourates magnifiquement ciselés dans le bois, sous la palette d'ultracoloriste et les riches jeux de matière, cette peinture appelle à la conquête. Benjamin-Constant est un des meilleurs faucons de la Troisième République.

En dehors de la lumière méditerranéenne et du chatoiement des damas, ce va-t-en-guerre n'aurait-il donc rien appris à respecter durant ses trois séjours au Maroc? C'était entre 1870 et 1873. Soit environ quarante ans après Delacroix et autant avant Matisse. Au moment où l'Occident commençait à se partager le monde.

La vérité est dans les portraits

Dans ce travail en réalité d'atelier, effectué aux Batignolles puis, le succès aidant, à New York, Benjamin-Constant touille les sociétés autochtones, triture leur histoire. Il y installe par exemple des janissaires, guerriers ottomans n'ayant jamais poussé une babouche à l'intérieur du royaume chérifien. Le pauvre et somptueux Caïd Tahamy (Narbonne) est coiffé d'un turban improbable et vêtu d'une djellaba rose pour le seul plaisir de l'œil. Ailleurs des houris or et ébène essaient de faire avaler une orange à un flamant rose - l'exotisme n'étant pas à une incongruité près. Quant aux Judith et autres Salomé, pareillement belles, pareillement ridicules, elles semblent directement sorties d'un bal costumé chez la comtesse Greffulhe.

Bien sûr on adore ces odalisques nonchalantes, ces danseuses lascives de favorites à tambourin, ces seins offerts sur tapis et sofas devant des émirs somnolant. On rêve d'ailleurs devant ce décor biblique, byzantin, à émaux limousins ou avec, en arrière-plan, des cascades de terrasses tangéroises invraisemblablement vides. Cet univers incite à la razzia, au viol. Exceptées Arabes assis(1877, Dahesh Museum de New York) et deux vues de l'intérieur d'un souk, de telles toiles ne sentent guère le vécu.

La vérité de l'artiste se lit plus volontiers dans ses portraits mondains. Celui d'Emma Calvé (1898, Nice) qui inspira la Castafiore d'Hergé, par exemple. La reine Victoria, le pape Léon XIII ou encore le duc d'Aumale ont passé commande. Benjamin-Constant est également responsable d'hommages pompeux (à Beethoven, à Saint-Saëns). Il se révèle bon praticien des techniques des maîtres anciens (portrait raphaélesque de ses deux fils, tête de Maure à la Rubens…) et enfin c'est un décorateur prolifique. Paris lui doit la coupole de l'Opéra Comique, des fresques à la Sorbonne, à l'Hôtel de Ville, au restaurant du Musée d'Orsay. Quant à Toulouse, elle s'honore de sa gigantesqueEntrée d'Urbain II marouflée au fond de la salle des Illustres du Capitole.

Dans le salon Rouge des Augustins, au cœur des collections permanentes, l'Entrée de Mehmet II à Constantinople est presque aussi grand (six mètres!). Elle claironne la juste vengeance contre le Musulman. C'est une défense et illustration des croisades passées, présentes et à venir. Un étendard pour le colonialisme bientôt triomphant.

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Benjamin-Constant
(1845-1902)
Symbolisme