Cette étonnante représentation d’une lissière occupée à faire une tapisserie est l’une des œuvres les plus singulières de Leandro Bassano, fils du célèbre peintre vénitien Jacopo Bassano. La jeune femme, malgré son habit et sa coiffure contemporains de l’artiste, a été identifiée comme étant Pénélope. L’épouse d’Ulysse, le héros grec du roman d’Homère L’Odyssée, est restée fidèle à son mari pendant vingt années d’absence, partagé entre la guerre de Troie et son retour difficile à Ithaque. Pour faire attendre les nombreux prétendants qui veulent se marier avec elle, Pénélope leur promet de prendre une décision lorsqu’elle aura terminé sa tapisserie. Afin que cette dernière ne s’achève jamais, elle défait toutes les nuits le travail accompli pendant la journée. Son attente est finalement récompensée, car Ulysse revient vivant de son périple et met à mort tous ses prétendants.
Le peintre inscrit le personnage dans un contexte qui lui est contemporain. La scène est plongée dans l’intimité de la nuit, seulement éclairée par la lueur d’une lampe à huile. Les yeux presque clos de Pénélope ainsi que la délicatesse du geste de sa main évoquent le silence d’une méditation nocturne et solitaire. L’essentiel de la composition est structuré par la forme imposante et géométrique du métier à tisser, accentuant l’effet poétique et onirique de cette image.
La composition étrangement moderne a soulevé des questions sur l'intégrité de l'oeuvre qui, selon certains, pourrait n'être qu'un fragment et représenter une femme au travail parmi d'autres. A la fin du XIXe siècle, le tableau a même perdu quelque temps son titre, Pénélope devenant une "ouvrière en guipure devant son métier". Ce petit flottement montre bien l'originalité déroutante du sujet. Malgré la célébrité du récit homérique, son iconographie est assez rare et imprécise. Les détails anecdotiques sont d'ailleurs limités ici au strict minimum, à savoir le métier et surtout la lampe, prétexte à un exercice technique saisissant sur le jeu de la lumière. La pénombre envahissante ne sert qu'à intensifier la couleur, posée en empâtements généreux dans la grande tradition familiale. Bien loin des effets de bougie des peintres caravagesques, c'est une dimension poétique et onirique que créent les contrastes inédits de Leandro Bassano.