La Vie et l'art d'Albrecht Dürer est l’un des livres majeurs d'Erwin Panofsky. Et peut-être, comme le pensait un esprit aussi critique que Ernst H. Gombrich, la plus achevée des monographies écrites sur un artiste au XXe siècle.
Publiée en 1943, alors que Panofsky, réfugié aux États-Unis, enseignait à l'Université de Princeton, elle s'est tout de suite imposée comme un véritable monument. De fait, plus de soixante ans après sa publication, la plupart des travaux sur Dürer continuent à se définir par rapport au texte de Panofsky, bien plus, il faut le souligner, qu'à celui d'Heinrich Wölfflin écrit, en 1905, dans une perspective plus formaliste. À bien des égards, l'image de Dürer construite au fil du livre, celle d'un créateur virtuose mais surtout d'un véritable« penseur ", reflète largement la propre conception que Panofsky se faisait de l'activité intellectuelle.
La longue analyse de Melencolia 1 ou le chapitre sur Dürer théoricien pourraient à eux seuls faire l'objet de publications séparées. Mais, pour Panofsky, contraint à la fuite par le régime nazi, revenir à distance sur l'artiste emblématique qu'est Dürer -avec Grünewald -, dans l'historiographie allemande, avait forcément la valeur d'un acte éminemment symbolique. Il faut en définitive lire La Vie et l'art d'Albrecht Dürer de Panofsky comme ce que, d'emblée, ce livre se déclare : une réflexion critique sur la contribution des nations à la formation des styles ; une méditation intellectuelle d'un exilé sur le rapport de son pays, l'Allemagne, à l'histoire de l'art ; une volonté aussi d'opposer une sorte de contre-narration aux travaux sur l'art allemand les plus marqués par l'idéologie nationaliste ou fasciste.