DÉCRIRE, CONSTRUIRE LE CINÉMA
17 et 18 mars 2011 : 9H-18H / ENTRÉE LIBRE
Amphi Buffon – Université Paris Diderot
15 rue Hélène Brion – 75013 Paris
Colloque organisé par : CERILAC-TLESH et CEAC Direction scientifique : Diane Arnaud (LAC, Paris Diderot) et Dork Zabunyan (CEAC, Lille 3)

Avec la participation de : Emmanuelle André, Jacques Aumont, Raymond Bellour, Pierre Berthomieu, Frédérique Berthet, Patrice Blouin, Christa Blümlinger, Camille Bui, Teresa Castro, Florence Dumora, Jérôme Game, Mélissa Gignac, Hervé Joubert-Laurencin, Jessie Martin, Camille Mattéi, Jean-François Rauger, Jérôme Sackur, Peter Szendy, Jean-Philippe Tessé, Charles Tesson, Barbara Turquier, Marc Vernet et Pierre Zaoui.

Diane Arnaud (LAC, Paris Diderot) et Dork Zabunyan (CEAC, Lille 3) :

"Il y aurait une crise de la description des images du cinéma, dont une déclaration de Godard serait le témoignage : "le meilleur quotidien en France est L’Équipe ; les cinéphiles devraient s’en inspirer : au moins, les journalistes sportifs décrivent les gestes et les actions qu’ils voient au stade ; c’est de moins en moins le cas pour les critiques de cinéma quand ils rendent compte des films » (2001).

L’ironie du propos doit nous conduire à dépasser la plainte qui l’enveloppe, et à examiner dans le détail les manières dont la fonction descriptive s’établit devant un film ou une séquence filmique : pour le critique de cinéma, mais aussi pour le théoricien des images, pour l’historien, pour le philosophe, pour le psychologue de la perception ou pour l’écrivain. Il s’agit de penser le geste descriptif dans sa relation à la construction de concepts cinématographiques, solidaires d’idées propres au cinéma, en s’écartant sensiblement des différentes étapes de l’iconologie consacrées par Panofsky.

Dans une époque où le discours sur le cinéma est confronté à d’importantes mutations (critique indifférenciée de la circulation des images, profusion des commentaires via les blogs internet), ce colloque répond à la nécessité de penser les protocoles de description filmique.

L’idée est de faire appel aux spécialistes de l’esthétique filmique pour apprécier avec eux comment s’est construite et développée leur pensée du cinéma à travers certaines opérations descriptives. Si le colloque entend par ailleurs proposer une mise en perspective historique des différentes formes qu’aura prises la description, de l’ekphrasis au régime descriptif des images diagrammatiques, il aimerait en outre montrer que la description du cinéma comme régime théorique ne saurait être comprise sans réfléchir aux limites de l’objectivité comme de la singularité dans la formation du discours.

Dans cette perspective, l’articulation entre l’objet et la méthode de description sera-t-elle constamment interrogée, inventée, à travers des communications sur des objets filmiques spécifiques : fictions, remploi d’images, gestuelle des corps en action, dimension sonore, archives d’entretiens filmés, etc. La défense d’une pratique descriptive toujours singulière et jamais définitive nous a conduits à porter une attention particulière à la forme du colloque pour faire se confronter des positions différentes, éventuellement antagonistes. En plus d’un espace de réflexion sur le motif choisi, cet événement de la recherche sera le lieu de pratique en direct de la description filmique : penser ensemble le caractère objectivable de la description filmique par rapport aux données perceptives visuelles et sonores, mais relier aussi, sur un mode subjectif et spectaculaire, processus d’écriture et pensée du cinéma."

JEUDI 17 MARS 2011

 

VENDREDI 18 MARS 2011

 

 

Frédérique BERTHET : Décrire le " bruit du monde " : histoire de mots, histoire de voix. Du recueil de paroles sources enserrées dans le récit historique à de récents essais de portraits oratoires, l'histoire dite orale a fait coexister des projets à même d'éclairer la description filmique : écouter les mots de ceux sur qui l'écrit faisait silence, donner à entendre " la chair de la voix ", se placer du côté de l'enargeia. Avec Alumbramiento (V. Erice, 2002), je propose ainsi de placer la description du côté de cette culture (de l'oralité, de la gestualité et de la sensation) qui rend le passé presque présent par l'évocation du " bruit du monde ".
Frédérique Berthet, Maître de conférences (Université Paris Diderot), Membre de la commission de recherche historique de la Cinémathèque Française, a d'abord porté ses recherches sur l'histoire de producteurs et de distributeurs de cinéma (Souvenirs de Pascale Dauman, Ramsay, 2008) ; ses travaux actuels portent sur les sources orales et la figure de témoins au/du cinéma.

Peter SZENDY : Ekphrasis et boniment : le Procès, de Kafka à Welles. Lorsque Orson Welles filme Le Procès de Kafka, on retrouve à l'écran une scène qui, dans le roman, se présente sous le signe de l'ekphrasis : il s'agissait en effet de décrire le tableau - une allégorie de la Justice - que le peintre et K. regardent. En passant dans le film, cette scène semble en revanche faire écho à la pratique du boniment, que je serais tenté d'inscrire dans l'héritage lointain de celle de l'ekphrasis. Mais dans les deux cas, la description est véritablement une dé-scription (pour reprendre ce mot de Philippe Lacoue-Labarthe dans un texte posthume), c'est-à-dire une destitution de la prise ou de l'emprise de l'image. C'est à partir de cette déprise que l'on tentera de penser que décrire l'image (au risque inévitable de la méprise), c'est différer la cristallisation imaginaire de sa loi.
Peter Szendy, Peter Szendy est maître de conférences au département de philosophie de l'université de Paris Ouest Nanterre La Défense et conseiller pour la programmation à la Cité de la musique. Parmi ses derniers ouvrages: Sur écoute. Esthétique de l'espionnage (Minuit, 2007); Tubes. La philosophie dans le juke-box (Minuit, 2008); Kant chez les extraterrestres. Philosofictions cosmopolitiques (Minuit, 2011).

Christa BLÜMLINGER, Comment décrire la seconde main ? À partir de l'expérience des analyses faites au cours d'une série d'études sur l'esthétique du remploi dans l'art du film et des nouveaux média, il s'agira de dresser un éventail de problèmes rencontrés face aux films réalisés à partir des images préexistantes. Sans aucune prétention d'exhaustivité, le but sera de distinguer différents niveaux de problèmes (niveaux de sens, de structure, de montage, de figuration ou de configuration).
Christa Blümlinger est professeure en études de cinéma à l'Université Paris 8 (UFR Arts, Philosophie, Esthétique). Ses travaux actuels portent sur la mémoire et la temporalité des images. A paraître (chez Klincksieck) : Cinéma de seconde main. Esthétique du remploi dans l'art du film et des nouveaux média (en allemand: Kino aus zweiter Hand. Ästhetik materieller Aneignung im Film und in der Medienkunst, Vorwerk 8, 2009).

Jessie MARTIN : La description à l'épreuve de la sensation. À l'aide de différents types d'images cinématographiques, on tentera d'exposer quelques questions méthodologiques et problèmes théoriques qui se posent à l'analyste lorsqu'il tente de décrire non ce qu'il identifie mais ce qu'il voit, c'est-à-dire cet écart entre la perception et la sensation qui laisse poindre du sensible. La plastique dynamique de l'image de cinéma renvoie la description non seulement à ses limites terminologiques, à sa finalité, mais également à la pensée du cinéma qu'elle implique.
Jessie Martin, enseignant-chercheur de l'Université Paris 3, est l'auteur de Vertige de la description (Forum Editrice) et Décrire le film de cinéma (Presses de la Sorbonne Nouvelle), à paraître prochainement. Ses recherches portent également sur la couleur et le cinéma d'animation.

Jérôme SACKUR : Coupes - masques - raccords. Au cinéma, comme en laboratoire, on crée des situations perceptives exceptionnelles. Le masquage en est une : quand une image oblitère la perception d'une autre image, qui la suit ou la précède. En laboratoire, le masquage permet de maintenir une image sous le seuil de conscience, ou sert à révéler les mécanismes visuels d'intégration et de ségrégation. Au cinéma, chaque coupe devrait masquer la fin du plan qui précède. Et pourtant, quelque chose semble faire échec à cela. Est-ce parce que nous manquons d'un référent pour savoir "ce que nous aurions pu voir" en l'absence de masque? Ou parce que le temps du récit déjoue les syncopes de la perception? À comprendre les coupes comme des masques en puissance, nous espérons jeter quelques lumières sur les constructions d'objets visuels.
Jérôme Sackur, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d'Études Cognitives, École Normale Supérieure, Paris. Après une thèse de philosophie (Formes et Faits, Paris, Vrin, 2005) se consacre à la psychologie cognitive expérimentale, notamment à l'étude de l'introspection et de la conscience perceptuelle, masques et stimuli au seuil compris. Parmi les articles récents :"An oblique illusion modulated by visibility: Non-monotonic sensory integration in orientation processing" de Gardelle, V. Kouider, S. et Sackur, J. Journal of Vision, 2010.

Jacques AUMONT : Raison de la comparaison. Aucune description ne saurait être exhaustive, et l'acte de décrire, condamné à la sélection de ses données, se voit aussitôt rapproché de l'interprétation (laquelle est l'accomplissement ultime de ce choix). Le geste descriptif se trouve dès lors pris entre les deux extrêmes de l'exactitude et de l'invention, avec leurs apories respectives : décrire littéralement une image, c'est presque un oxymore (l'image n'est pas écrite) ; laisser libre jeu à l'intuition, c'est courir le risque d'oublier ce qu'on décrit. À partir de ces difficultés bien connues, je souhaite proposer, non pas exactement une procédure, mais une opération, fondée sur un point de méthode : la comparaison (et la méthode analogique). Le recours à d'autres images pour décrire une image, s'il écarte décisivement de toute littéralité, peut jouer un rôle utile de " cadre " de l'intuition. La comparaison (qui " n'est pas raison ") n'est généralement pas très bien vue. Il ne s'agit pas de la réhabiliter qua talis, mais d'en proposer un usage aussi rationnel que possible. Entre autres, et dans la mesure où il n'est pas possible de tout comparer, on se demandera ce qu'il est possible de rendre descriptible, de l'image filmique, par ce biais.
Jacques Aumont, directeur d'études à l'EHESS, professeur aux Beaux-Arts de Paris. Auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur le cinéma, notamment dans ses rapports aux autres arts et à l'esthétique. Dont, récemment : Matière d'images, redux (La Différence, 2009) ; Notre-Dame des Turcs - Carmelo Bene, 1968 (Aléas, 2010) ; L'Attrait de la lumière (Yellow Now, 2010).

Raymond BELLOUR : Décrire, écrire. À partir d'une expérience personnelle qui a commencé dès les débuts de l'analyse détaillée des films (en 1969 avec l'analyse d'un fragment des Oiseaux de Hitchcock), Il s'agit d'évaluer comment les modalités d'écriture des analyses se sont progressivement déplacées et ont varié dans leur forme, selon les nécessités d'approfondissement méthodologique d'une sous-discipline aux frontières indécises, mais surtout au gré des transformations que des outils successifs (cassettes vidéo, DVD, ordinateur) ont rendu possible, dans les procédures de description et par là jusqu'au cœur de l'écriture même. Quelques exemples seront mis en perspective, de la séquence des Oiseaux à un plan de Miss Oyu de Kenji Mizoguchi.
Raymond Bellour, chercheur et écrivain, directeur de recherche émérite au CNRS, membre de la revue Trafic, il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma, parmi lesquels : L'Analyse du film (1979, Calmann-Lévy, 1987) ; L'Entre-Images. Photo, Cinéma, Vidéo (La Différence, 1990) L'Entre-Images 2. Mots, Images (P.O.L, 1999) ; Le Corps du cinéma. Hypnoses, Émotions, Animalités (P.O.L, 2009).

Camille BUI : Décrire le documentaire comme un lieu de rencontre. Dans le cadre d'une thèse portant sur le cinéma documentaire participatif, dans la filiation de Chronique d'un été (1960) de Jean Rouch et Edgar Morin, l'enjeu est de saisir les modalités de l'interaction se produisant entre le cinéaste et le monde social qu'il habite ou explore. Comment décrire le film comme lieu de rencontre entre le cinéaste et ceux qu'il filme, entre le cinéma et le monde ? Pour tenter de décrire les liens qui se tissent de part et d'autre de la caméra, des outils théoriques spécifiques à l'étude du cinéma documentaire doivent être forgés. La pratique descriptive proposée ici cherche à rendre compte de la réalité du film documentaire, né d'un travail conjoint du cinéma et du réel.
Camille Bui est allocataire de recherche et monitrice d'enseignement à l'Université Paris 7. Membre du GRHED (Groupe de Recherche en Histoire et Esthétique du cinéma Documentaire, Paris 1 CERHEC), elle prépare une thèse sur le cinéma documentaire direct en milieu urbain, sous la direction de Jacqueline Nacache.

Mélissa GIGNAC : Avec quels mots décrire le cinéma des années 1910 ? Travailler sur le cinéma des années 1910 implique de participer à une Histoire non encore écrite, en chantier, en prenant pour objet d'étude un cinéma lui-même en train de se constituer. Ce double processus de construction, historique d'une part, industriel et esthétique d'autre part se heurte à un certain nombre de problèmes à commencer par celui du vocabulaire : comment nommer aujourd'hui avec des termes modernes - tels que " scénario ", " scène ", " plan ", etc. - un cinéma qui ne correspond pas au cinéma de l'institution ? Et comment composer avec des outils théoriques et méthodologiques qui ont pour référent le cinéma narratif classique lorsque l'on traite d'un cinéma qui le précède ?
La difficulté se double par ailleurs d'un problème de traduction, d'écart culturel, pour des documents en langue anglaise qu'il faut décrire en français avec des termes adéquats. Enfin, les grandes possibilités de citations, tant au niveau de la quantité de documents disponibles qu'au niveau du type d'archives - papier, film, photographie - ne dispensent pas d'un travail de description, de " transcodage " du document, nécessaire à toute analyse. Un type d'archive en particulier, le continuity script, cristallise ces difficultés historiographiques. Nous tenterons d'en décrire la teneur, en prenant pour exemple des films signés Monte M. Katterjohn, scénariste supervisé par Thomas H. Ince au sein de la Triangle Film Corporation en 1916-1917.
Mélissa Gignac, doctorante en 1ere année (Université Paris 7) sous la direction de Marc Vernet. Sujet de recherche : Du scénario au film : création du long-métrage de fiction aux Etats-Unis et en France dans les années 1910.

Camille MATTEI : Décrire le devenir imaginaire du défilement dans Elephant
" J'aimerais que le film soit assez élastique pour prendre les contours de chacun de ses spectateurs ", tel est le projet du cinéma de Van Sant. Comment décrire, caractériser cet état latent, entre l'enveloppement et la contemplation, si ce n'est dans un mouvement qui tente de retracer l'expérience, miroir des effets esthétiques et donc des variations du film en cours de projection. La description d'Elephant va ainsi s'attacher à ce qui, dans le défilement, tantôt nous transit et nous prend, puis nous déprend, nous décroche. Notre parcours descriptif s'arrêtera sur les disjonctions visuelles, sonores et les associations libres pour interroger en quoi ces mises en suspens amènent à penser les liens entre le concept de musement et l'esthétique du film.
Camille Mattei, doctorante à l'université de Paris 7 sous la co-direction de Diane Arnaud et Evelyne Grossman, entame une thèse consacrée au concept de musement et aux théories esthétiques du spectateur. Elle est membre de REsSen, laboratoire junior de l'ENS sur la sensation. Ses communications portent, entre autres, sur Kubrick, Lynch et Van Sant.


Barbara TURQUIER : Décrire le cinéma expérimental, l'exemple des notes de description Dans une thèse sur le cinéma expérimental, la question de la description se pose avec autant d'acuité - dans un contexte de rareté des films -, qu'elle peut être difficile à résoudre à l'endroit de films aux procédés formels sophistiqués. La prise de note au visionnage est alors un moment crucial, et donne lieu à des pratiques descriptives souvent élaborées ad hoc, évoluant entre le compte-rendu des procédés techniques (souvent complété des dires de l'artiste) et celui des formes perçues, alors que certaines notions conventionnelles de l'analyse esthétique du cinéma (les termes liés au montage ou à l'échelle des plans par exemple) sont parfois difficiles à appliquer, ou inaptes à rendre compte de certains effets créés par les films. Quels protocoles descriptifs peut-on alors adopter pour rendre compte de ces spécificités ?
Barbara Turquier, Doctorante en civilisation américaine à l'université Paris-Diderot et Paris-Ouest Nanterre. Sujet : " La rédemption de la ville : New York et le cinéma expérimental américain (1960-1975)". Ancienne élève de l'ENS de Lyon. Membre de la revue Tracés, a co-dirigé le n°18 Improviser, de l'art à l'action (printemps 2010).

 

Emmanuelle ANDRÉ : La description immanente. Comment décrire "ce qu'un papillon de nuit pourrait voir de sa naissance à sa mort si le noir était blanc et le blanc noir ", soit Mothlight, réalisé par Stan Brakhage en 1963 sans caméra mais par collage de papillons, de fleurs et de brins d'herbe sur deux rubans de pellicule transparents ? De la description, on retiendra ici le tracé d'une histoire visuelle, qui rencontre l'histoire des sciences naturelles attachées à la description du visible et à sa classification. Alors même que Brakhage invente une forme de description immanente, détachée des limites de l'observation concrète et élargie à de plus vastes régimes de sensorialité, la phytographie, ou l'art de décrire les végétaux considérés selon différents points de vue (Alphonse de Candolle, 1880), héritière des thèses de Linné et de Cuvier, servira paradoxalement à réactualiser le concept d'enargeia, utilisé par les rhétoriciens de l'Antiquité pour montrer du doigt, faire voir, rendre palpable, en quelque sorte, ce qui est vrai.
Emmanuelle André, MCF études cinématographiques à l'université Paris-Diderot. Auteur de Esthétique du motif. Cinéma, musique, peinture (PUV), 2007 et d'un ouvrage à paraître intitulé Le choc du sujet. De l'hystérie au cinéma. Ses travaux récents portent sur les liens entre l'esthétique du cinéma, l'histoire de l'art et l'anthropologie culturelle.

 

Marc VERNET : Comment décrire un signifiant imaginaire ? Si hier (en 1970), le texte du cinéma était introuvable et nécessitait une pratique de la description, aujourd'hui (en 2015) les capacités d'illustrer et de citer sont telles qu'on pourrait croire l'exercice désormais vain. Mais ce serait croire ou faire croire que les images parlent d'elles-mêmes. La difficulté vient de ce que l'image cinématographique (mais aussi photographique) est à la fois signifiante et muette, synoptique et discursive, isolable et résillée, matière et sens. Si l'on croise aujourd'hui quelques enseignements de l'histoire de l'art (ici, Panofsky) et de la sémiologie, on tentera de montrer que le numérique permet de reprendre le chantier d'une iconographie cinématographique où décrire est mesurer avec d'autres images pour retrouver à la fois une pratique artisanale de compétition et une pratique disciplinaire de construction historique et esthétique, en se fondant sur des films et des images des années 10.
Marc Vernet, Professeur en études cinématographiques à l'UFR LAC, Université de Paris Diderot, et conseiller pour le patrimoine cinématographique à l'Institut national du patrimoine, Marc Vernet est coordinateur du programme de recherche ANR Cinémarchives (décembre 2007 - juin 2011) et directeur scientifique du colloque annuel Archimages.

Pierre ZAOUI : Décrire à/du nouveau. À propos d'Inglourious Basterds. Partir du poncif classique, aussi vrai que paresseux : tout film digne de ce nom excède tout protocole commun de description et exige d'en inventer un nouveau. Et essayer d'en montrer à la fois la vérité et la limite à propos du dernier film de Tarantino. Car celui-ci transgresse d'abord les protocoles techniques de description des films antérieurs de Tarantino (longs plans séquence et montage cut ultra rapide, série B et palimpseste savant de l'histoire du cinéma, humour et violence contenues,...) puisqu'il s'agit, en un sens, d'un film à propos du nazisme et de la Shoah, c'est-à-dire d'un propos qui transcende radicalement ses fictions antérieures et touche à l'indescriptible. Et il transgresse bien plus encore tous les protocoles plus normatifs et plus controversés des films sur la shoah (singularisation des personnages, interdiction de l'obscénité, non-esthétisation,...) puisqu'il s'agit, en un autre sens, de tout autre chose que d'un film sur la Shoah : un film sur le fantasme d'un jeune adolescent vaguement ignorant d'aujourd'hui. Du coup, comment décrire un tel film? Nécessairement en sortant de toute dialectique stérile entre technique et éthique pour viser un autre protocole descriptif. Mais lequel ?
Pierre Zaoui enseigne la philosophie à la l'Université Paris Diderot. Membre du comité de rédaction de la revue Vacarme, il vient de faire paraître : La Traversée des catastrophes (Seuil, 2010).

Hervé JOUBERT-LAURENCIN : Décrire l'indescriptible / Le Salò-Sade de Pasolini. " Ce qui touche, ce qui a de l'effet dans Salò, c'est la lettre. Pasolini a filmé ses scènes à la lettre, comme elles avaient été décrites (je ne dis pas : " écrites ") par Sade ; ces scènes ont donc la beauté triste, glacée, exacte, de grandes planches encyclopédiques. " (Roland Barthes, 16 juin 1976).
Hervé Joubert-Laurencin dirige le Centre de Recherches en Arts de l'université de Picardie à Amiens (Arts plastiques et nouveaux médias, archéologie, histoire de l'art, théâtre et cinéma). Derniers travaux, actions et ouvrages en date : Opening Bazin, collectif dirigé avec Dudley Andrew, Oxford University Press : mars 2011 ; onze entrées du futur Dictionnaire de la pensée du cinéma : PUF, 2011 ; Salò ou les 120 journées de Sodome : La Transparence, octobre 2011 ; recherche sur Glauber Rocha-Pasolini : UFRJ et Tempo Glauber, Rio de Janeiro, août 2010, Collège International de Philosophie, décembre 2011.

Patrice BLOUIN : L'œil sportif. N'en déplaise à Godard, la relation entre journalistes sportifs et critiques de cinéma n'est pas unilatérale. Si les premiers peuvent rappeler aux seconds le rôle capital de la description, ces derniers perçoivent du moins une donnée essentielle qui échappe souvent aux premiers: que, depuis cinquante ans, le lieu principal du sport contemporain n'est plus simplement le stade mais aussi l'image télévisuelle. Et que si l'on veut vraiment décrire les gestes et les actions des sportifs, il faut également le faire à partir des règles spécifiques de cette image.
Patrice Blouin est critique de cinéma et professeur en école d'art. Il a écrit deux essais sur les images du sport : Faire le tour / Voir les Jeux (Lanceur, 2010) et Une Coupe du monde, télégénie du football (Actes Sud, à paraître avril 2011).

Teresa CASTRO : La description inventive, ou le cinéma diagrammatique. Le diagramme est lié à une façon particulière de penser et de représenter visuellement la pensée, trouvant des exemples dans des domaines aussi différents que les mathématiques, la géographie, la linguistique, ou l'architecture. Outil à la fois conceptuel et technique, il permet de décrire des phénomènes en fonction de la mise en évidence des corrélations entre les éléments d'un ensemble. Dans le diagramme, l'acte de décrire est inséparable de l'activité créatrice de la pensée : la description devient inventive, créant des nouvelles réalités. Cette communication s'intéressera à la possibilité d'un " cinéma diagrammatique " : un cinéma où il ne s'agit pas de garder les traces du réel, mais de faire émerger à partir de lui, notamment par le biais du montage, un nouveau plan de réalité, qui n'existerait pas si on ne l'avait pas filmé et pensé.
Dans le cadre de cette enquête, appuyée sur des exemples très différents de l'histoire du cinéma et des images, l'action de décrire concerne ainsi non pas la construction discursive des connaissances sur l'image (et donc le travail de l'analyste), mais les images elles-mêmes.
Teresa Castro, Docteure en Études cinématographiques et audiovisuelles de l'Université de Paris III - Sorbonne Nouvelle, où elle est chargée de cours, est actuellement chercheuse post-doctorante au Musée du Quai Branly, Paris.

Jérôme GAME : Flip-Book Reset. Flip-Book Reset est une performance qui transcrit la fluidité de l'esthétique cinématographique (notamment du cadrage et du plan-séquence) avec les moyens de la poésie sonore, interrogeant ce que la perception/description de l'image mouvante est capable de faire à la sensibilité littéraire. Comment la description du cinéma, de ses images (en face de l'écran ou par resouvenir), de son historicité, de ses opérations, peut-elle se faire opération littéraire ? Ecrire comme on sent qu'on voit : c'est cette écriture sous influence, laissant toutes ses chances à la production de nouveaux effets poétiques, à même d'offrir un sens frais, que tentera Flip-Book Reset.
Jérôme Game est écrivain. Il a publié neuf livres de poésie depuis 2000 et donné de nombreuses lectures-performances en France et à l'étranger. Sonore et performative, son écriture se développe au travers de collaborations avec des plasticiens, des musiciens et des danseurs. Dernières publications: ça tire (livre + CD) Al dante, 2008; Flip-Book (livre + CD), L'Attente, 2007 ; Ceci n'est pas une légende ipe pe ce, DVD de vidéo-poèmes, Incidences, 2007. Dernières performances: dé/cadrage, Printemps de Septembre, 2010; Departure Lounge, Fondation Cartier, 2010. Site: http://www.al-dante.org/content/view/54
Il est par ailleurs Maître de conférence en Philosophie et Etudes cinématographiques à l'Université Américaine de Paris et chercheur à l'Université Paris 8 ainsi qu'à l'ENS-LSH (http://www.aup.edu/faculty/dept/film/game.htm). Il a dirigé plusieurs volumes sur l'esthétique contemporaine et le cinéma (Porous Boundaries. Texts and Images in 20th Century French Culture (Peter Lang, 2007), Jacques Rancière. Politique de l'esthétique (Archives Contemporaines, 2009), Images des corps/Corps des images au cinéma (ENS Editions, 2010), L'Art de la syntaxe (Presses Universitaires de Vincennes, à paraître en 2011)). Son livre, Poetic Becomings. Studies in Contemporary French Literature, paraîtra chez Peter Lang en 2011.