Jeudi 20 septembre, 20h15. La salle est pleine pour assister au film, La question humaine et les trois-quarts resteront pour le débat animé par Vincent Amiel. Celui-ci remercie Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval pour ce film qui permet de parler à la fois de thèmes sociaux importants et des choix de mise en scène, des choix de représentation. Il rappelle aussi l'intérêt de la préparation du film réalisé avec le CRIF qui a réuni philosophes, politiques et cinéphiles pour parler du film avant le tournage


Naissance d'un film noir

Elisabeth Perceval raconte que le film est parti du roman de François Emmanuel. Le film est né après que Klotz ait entendu l'auteur lire des extraits de son livre à la radio dans une émission de Gérard Lefort. Nicolas s'enthousiasme, descend acheter le livre en pleine nuit et enjoint Elisabeth à le lire. Mais celle-ci ne voit pas un récit de cinéma dans ce texte. Le roman est une réflexion mentale où le personnage se remémore son enquête alors qu'il vient d'être viré de l'usine. Le récit est une enquête du personnage sur lui-même. Pour en faire un film elle ajoute au roman la vie de Simon avec son amie et les amis se celle-ci ainsi que ses rapports avec ses collègues, jeunes cadres de l'entreprise.

Elisabeth Perceval : Le film résulte d'une longue quête menée depuis Paria et La blessure. Il ne se veut pas une réflexion intemporelle mais en phase avec le monde d'aujourd'hui. L'extermination des juifs ne peut être représentée. Peut par contre l'être la mécanique de la société du profit. Elle fractionne les taches de chacun jusqu'à ce que personne ne se sente responsable du processus global.

Nicolas Klotz : C'est un film noir, mais c'est beau le noir comme chez Lang ou Tourneur. Nous avons travaillé la lumière, la durée du plan, les choses qui s'insinuent dans le plan. La mort, le meurtre qui rode. Ce qui hante le film c'est le meurtre de masse.

Vincent Amiel : Ce qui frappe dans le film c'est l'analyse politique mêlé à ce qu'il faut bien appeler une atmosphère fantastique.

Nicolas Klotz : L'époque hallucine. Il faut bousculer l'indifférence. Nous voulions traiter du monde riche. Pour cela inclure l'histoire du cinéma français avec trois générations de comédiens.

Vincent Amiel : Dans la liste des personnes que vous remerciez, on voit figurer plus de philosophes de l'image, Didi Huberman, Marie-José Monzain que de philosophes de la Shoah

Nicolas Klotz : Je suis plus inspiré par l'histoire du cinéma. Monzain analyse surtout l'image télévisuelle, le flux des images. Dans l'image malgré tout Didi Hubeman travaille sur comment faire venir l'irreprésenable dans une image

Elisabeth Perceval : Nous les avons écoutés mais ce sont surtout des compagnons de route. L'irreprésentable est une phrase connue à propos de la Shoah cela nous poursuit aujourd'hui. Une scène y fait référence, celle du cauchemar de Simon. On y voit des femmes qui trient des chaussures et des militaires avec des chiens

Nicolas Klotz : Nous ne voulons filmer qu'au présent sans se donner le doit de filmer une chose passée. C'est pourquoi les costumes des militaires s'inspirent de la guerre en Bosnie pas des costumes nazis. Les masques africains dans le bureau de Kalfon renvoient l'envoûtement.

 


Monde des riches et monde des pauvres

Elisabeth Perceval : Depuis Paria nous enquêtons sur des gens qui risquent d'être exclus de la visibilité, les SDF ou les sans papiers qui sont comme un sous-monde broyé par notre monde. A ce monde s'oppose celui des riches avec la musique classique

Vincent Amiel : Vous travaillez l'opposition froid chaud. La mécanique froide du monde de l'entreprise contre l'amitié, l'art, la musique et le sentiment. Pourtant le patron appartient au monde chaud : peut être parce qu'il est incarné par Lonsdale mais il fait aussi de la musique, c'est lui qui soulève la question humaine.

Elisabeth Perceval : c'est vrai que dans le roman, il est psychorigide, violent et brutal. Le fait qu'il soit interprété par Lonsdale a modifie ce personnage.

Nicolas Klotz : Son bureau est une réplique de celui conçu par un designer célèbre du Berlin des années 30.Tavara sort du conservatoire de paris. On l'a vu dans les amants réguliers de Garrel. Il est le représentant de la valeur cosmique qu'aujourd'hui le libéralisme pour les jeunes et qui est bien loin de notre mythique mai 68. Face au libéralisme, la langue, le chant, la parole relèvent de la résistance, de ce qui transgresse

Elisabeth Perceval : La musique de la rave partie a été composée par un groupe de rock sur les paroles de Hercule furieux de Seneque. Elles évoquent des têtes coupées. Les cadres, tous interprétés par de vrais étudiants sortant de grandes écoles ne rêvent que d'être performants. Ils sont parfaitement aptes à la fluidité de la consommation et pourtant, ils portent une angoisse profonde qu'ils ont besoin d'exorciser.

Elisabeth Perceval : Simon accepte la mission puis l'atmosphère de délation qu'il ne dénonce pas. C'est un obsessionnel de la performance. Il y a un besoin d'un retour brutal vers la liberté incarnée par la musique.

La note technique ne rappelle pas ce qu'il a fait mais le fait qu'il aurait pu l'écrire. Dans une société qui n'a pas pour finalité le progrès social mais la rationalité du profit, les individus sont superflus donc certains risquent de disparaître.

Question : On voyait déjà dans Dossier 51 tout le mal qu'on peut faire aux hommes. Vos franchissez une étape supplémentaire

Nicolas Klotz : Primo Levy dans "si c'est un homme " répondait à la question de savoir pourquoi les juifs ne se sont pas révoltés. Il l'expliquait par leur état de fatigue du à la faim ou a la dépression. Dans un état de terreur, de sidération, ils n'en avaient pas la force physique. Nous avons travaillé sur le bruit du gaz que l'on entend, qui contamine.

Un biologiste que nous avons rencontré dans nos débats nous disait son extrême gêne d'être amené à faire des prélèvements dont les résultats n'iront pas au patient mais à la police. Avec ce genre de contrôle, on sait où l'on va. Le film renvoie à cette violence contemporaine, celle que connaissait Fritz Lang avec la montée du nazisme, au moment du testament du docteur Mabuse, M le maudit.


Des voix et des corps

Elisabeth Perceval : Ce que voulait le régime nazi, c'est l'éradication de ce qui aurait pu être une présence autre que la leur; leur souhait : un seul mode de représentation avec une technique de contrôle de l'humain.

Ce que fait Amalric à la fin c'est abandonner le document de 42 pour redonner un sens avec en énumérant des noms, ceux des morts, leur redonner un corps.

Suite à une dernière remarque d'un spectateur, Nicolas Klotz conclut sur l'importance de la voix. La voix de Lonsdale, de Amalric ou de Lou Castel. Chez ce dernier, paroles avec trous et béances. Faire résonner la parole, faire surgir le sensible. Les dialogues sont comme des adresses, des missions, celle que donne Lonsdale à Amalric dans l'hôpital psychiatrique : le père transmet au fils ; Dans une synagogue, on sépare les hommes et les femmes parce que la voix des femmes évoque le corps nu. Lou Castel doit prendre en charge le langage, éliminer celui qui déshumanise pour que, enfin surgisse l'image du camion. Klotz rappelle qu'il est au cadre et qu'Elisabeth ne regarde pas l'image. Dans un coin du plateau, avec les écouteurs, elle surveille le son. Pour elle, comme chez Breson, la vérité est dans le son. Avec Lou castel et son long monologue final, il s'agissait davantage de filmer un chanteur qu'un acteur.