C’est après avoir achevé L’Enfance d’Ivan que j’eus le pressentiment que le cinéma était à la portée de ma main [...]. Un miracle avait eu lieu : le film était réussi. Quelque chose d’autre était maintenant exigé de moi : il me fallait comprendre ce qu’était le cinéma. C’est alors que me vint cette idée de temps scellé ».

Désormais, Andrei Tarkovski, tout au long de son œuvre cinématographique rédigera des notes de travail, des réflexions sur son art, restituant dans le même mouvement son itinéraire d’homme et d’artiste.

Exilé en Italie où il réalise Nostalghia en 1983, puis en France, il rassemble ses écrits qui seront d’abord édités en Allemagne puis dans les pays d’Europe occidentale. Il y aborde une large réflexion aussi bien sur l’art cinématographique, son ontologie et sa place parmi les autres arts, que sur la civilisation contemporaine ou des objets plus concrets comme le scénario, le montage, l’acteur, le son, la musique, la lumière, le cadrage... Il confère enfin une place particulière à son dernier film, Le Sacrifice, auquel il consacre toute la fin de l’ouvrage

Pavel Sosnovski , le personnage du film a réellement existé. C'était Maximilien Berezovski (1745-1777)

Gortchakov meurt, incapable de surmonter sa propre crise spirituelle et de renouer le lien entre les époques qui, pour lui aussi, de toute évidence a été rompu (238)
Gortchakov se ressent très proche de son idée murie dans la souffrance : celle de la responsabilité individuelle pour tout ce qui se passe autour de nous, et que chacun doit répondre de tout devant tous…
Tous mes films, d'une façon ou d'une autre, répètent que les hommes ne sont pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au passé et à l'avenir, et que chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain en général (
Domenico décide de s'immoler par le feu pour mettre en évidence par cet acte extrême, monstrueux, spectaculaire, son réel désintéressement. Avec l'espoir fou qu'on entendra peut-être son dernier cri d'alarme. A la lumière de cet acte, Gor 's'éprouve comme presque mesquin et prend conscience de son inconséquence personnelle. Sa propre mort, en quelque sorte, le justifie, révélant combien profondes étaient les souffrances qui le torturaient

Dans Nostalghia, je voulais poursuivre mon thème de l'homme " faible", celui qui n'est pas un lutteur par ses signes extérieurs, mais que je vois comme le vainqueur dans cette vie. Déjà Stalker, dans un monologue, défendait la faiblesse comme la seule vraie valeur et l'espoir de la vie. J'ai toujours aimé ceux qui n'arrivaient pas à s'adapter pragmatiquement à la réalité.

Le personnage principal de mon prochain film, le sacrifice, est aussi un homme faible, au sens courant du terme. Il n'est pas un héros, mais un penseur et un homme honnête, capable de se sacrifier pour un idéal élevé. Quand la situation l'exige, il n'esquive pas ses responsabilité ni ne les renvoie vers les autres. Et il prend le risque d'être incompris, car sa façon d'agir n'est pas seulement radicale mais aussi affreusement destructrice aux yeux de ses proches. C'est là que réside la force particulièrement dramatique et véridique de son acte. Néanmoins il exécute cet acte et franchit avec lui le seuil du comportement accepté comme normal. Il prend ainsi le risque d'être qualifié de fou parce qu'il a conscience d'appartenir à un tout, ou, si l'on veut au destin du monde. Mais en réalité il ne fait qu'obéir à sa vocation, telle qu'il l'a ressent dans son cœur. Il n'est pas el maitre de sa destiné mais son serviteur. Et ce sont ainsi des efforts individuels, que personne ne voit ni ne comprend, qui soutiennent très probablement l'harmonie du monde.

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Le temps scellé
Editeur Cahiers Du Cinema. 1989 puis Janvier 2004. Collection Petite Bibliothèque. Format 12cm x 18cm
1989
Andrei Tarkovski