Manuel de survie est le premier livre d’entretien avec Werner Herzog publié en français. L'interview a été réalisée le 4 octobre 2008 à Valencia en Espagne dans la grande cafétéria du Paula des arts Reina Sofia quelques semaines avant la première de Parsifal, de Wagner. Cet entretien est encadré d'une introduction d’Emmanuel Burdeau et une postface d’Hervé Aubron.

L'introduction d'Emmanuel Burdeau parcourt l'ensemble de l'oeuvre du cinéaste et donne de très pertinentes clés d'analyse.

Emmanuel Burdeau voit dans les dix minutes d'Heracles l'essentiel de l'œuvre à venir : des visions du début (l'hygiène grecque) et de la fin du monde (les ruines), la prouesse sportive et la catastrophe moderne, l'exploit et son revers de démence ou de cauchemar.

La grande question de Herzog est en effet "Qu'advient-il de la puissance ?" qu'il retranscrit dans son oeuvre aussi bien par la brutalité du montage et le gag potache, la parodie et la charge.

Certes chez Herzog, la puissance se désintègre, l'air du dehors la corrompt, l'univers des applications concrètes n'est pas pour elle. Mais il se pourrait aussi que la ruine soit présente d'emblée dans les intestins de l'homme comme le suggère le zoom sur les abdos et son enchaînement sur une vue de décombres dans Heracles.

La puissance elle-même est fatale, immanente et irrésistible. On ne peut rien contre l'éveil de la puissance. Celle-ci n'a pas besoin de raisons au besoin elle en inventera. L'homme peut être rebelle à tout sauf l'appel de la puissance en lui.

Le spectre de la guerre hante le cinéma de Herzog avec l'obsession de comprendre pourquoi de grandes civilisations ont fini dans le chaos. Invincible premier et seul film à traiter du nazisme. Herzog y raconte moins le mythe nazi de la force que les mythologies et mésaventures de la force juive. La puissance n'est pas condamnable tout dépend de ses moyens et de ses fins. Placé en ouverture, l'apologue d'un prince qui se prend pour un coq qui à son tour se fait passer pour un prince aurait dû nous avertir : pour survivre et pour opérer, il faudra toujours, ici bas, que la puissance ruse.

Mais le désir de nullité est fragile, les leçons de l'histoire sont plus amères et dans Echos d'un sombre empire, Herzog montre comment un troufion d'opérette Jean-Bedel Bokassa, est devenu dictateur de Centre Afrique

Le roi ne peut être nu, il lui faut un déguisement, les conquérants de l'inutile que sont Herzog lui-même, Aguirre, Woyzeck, Fitzcarraldo, Walter Steiner, le sauteur à ski ou Reinhold Messner, l'alpinistes. Herzog aime les rois mais pas les trônes, ses héros n'homologuent pas des records mais avertissent.

Werner Herzog n'est pas seulement le cinéaste de l'irrésistible puissance, il est aussi celui des démunis, des moins que rien, sourds ou aveugles, aphasiques ou illettrés. Herzog avec amour et pitié examine comment force et faiblesse cohabitent et alternent en chacun.

Ce n'est pas alors le déguisement qui compte mais à l'inverse aller vers le plus nu avec la marche, l'écriture ou le vol. Chaque pas est le même et pourtant chaque pas est une avancée. Marcher ou écrire, le combat est le même alors que le vol serait l'absolu d'une écriture sans le support de la page.

Le cinéma de Herzog, conclut Emmanuel Burdeau, pratique un exorcisme par lequel la catastrophe est en même temps écartée et maintenue à l'état de virtualité, imminente. Recueillir et conserver, redoubler et conjurer, il n'y a plus de rapport de causalité et de chronologie. C'est sans cesse la hantise du désastre revécu. La puissance de l'image clignote, fragile, invincible.

 

Le coeur de l'interview aborde de nombreux points : Seuls les poètes peuvent faire tenir un pays séparé de lui-même — J’ai prédit la plupart des champions du monde de saut à skis — Comment faire ressortir un film par la fenêtre, par le sous-sol, par la cheminée — Le comique de L’Énigme de Kaspar Hauser, d’Ennemis Intimes, de Grizzly Man — Je filme pour la mémoire de la race humaine — Le point commun entre le cinéma porno, Fred Astaire et le kung-fu — Le droit naturel du marcheur à trouver un abri — Tite-Live, Hannibal, Fabius Maximus Cunctator — Les expériences qu’il faut avoir vécues pour savoir lire le cœur des hommes — Comment j’ai sauvé Joaquin Phoenix et comment l’on m’a tiré dessus pendant un entretien — Nous sommes une espèce plus vulnérable que les éponges — Travailler la neige, grimper, écrire — La Marche de l’empereur, les pingouins, l’obscurité de la grotte Chauvet — Comment rester un être humain habitable — Ma longévité en tant que cinéaste et comment en sortir.

J.-L. L. le 12/01/2009

 

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Manuel de survie
Format : 12.2 x 19 cm, 112 pages. Editions Capricci et Centre Pompidou. Parution : 10 décembre 2008. 14,5 €
2008
Emmanuel Burdeau et Hervé Aubron