Les Faux-monnayeurs

André Gide

1925

Adapté par Benoit Jacquot dans Les faux-monnayeurs

L'histoire centrale est celle de quatre personnages, Bernard et Olivier, deux jeunes lycéens ainsi qu'Édouard et Robert de Passavant, deux écrivains homosexuels, et leur rivalité à la fois littéraire et pour s'attacher l'amour des jeunes gens.

Bernard, qui est sur le point de passer son baccalauréat, tombe par hasard sur des lettres d'amour adressées à sa mère et découvre qu'il est le fruit d'un amour interdit entre cette dernière et un amant de passage. Il en conçoit un profond mépris pour l'homme qui l'a élevé sans être son géniteur et qu'il pense alors n'avoir jamais aimé. Pourtant, ce père adoptif, Albéric Profitendieu, a malgré lui une préférence pour celui-ci parmi ses autres enfants. Après avoir écrit la lettre d'adieu la plus cruelle et la plus injuste qu’on puisse imaginer, Bernard fuit la maison et se réfugie chez un de ses amis et camarade de classe, Olivier. Ce dernier est un jeune homme timide qui cherche à combler son manque d'affection auprès de ses amis proches ou de son oncle Édouard, pour qui il a un penchant réciproque mais que ni l'un ni l'autre ne parviennent à exprimer. Édouard ayant déposé sa valise à la consigne de la Gare Saint Lazare et inconsciemment laissé tomber à terre le ticket, Bernard le ramasse et en profite pour s’emparer de la valise. Il fait main basse sur son portefeuille et prend connaissance de son journal intime, ce qui lui permet de savoir où le retrouver, dans un petit hôtel où séjourne sa grande amie Laura. Cette jeune femme se trouve enceinte des œuvres de Vincent, frère d’Olivier, qui l'a abandonnée et la laisse dans la plus grande détresse. Nullement rancunier, Édouard s’amuse de l’aventure de la valise disparue et retrouvée et invite Bernard à un séjour en Suisse avec Laura, lui proposant également d’être son secrétaire. De ce séjour en montagnes, Bernard éprouve un bonheur ineffable, il est épris également de l’écrivain et de la femme délaissée.

Le récit enthousiaste qu’il fait à son ami Olivier rend celui-ci terriblement jaloux et par dépit, celui-ci se laisse séduire par le comte de Passavant, écrivain à la mode, riche, dandy et amateur de garçons mais également cynique et manipulateur. Il convoitait le garçon depuis un moment et profite de ses états d'âme pour se l'accaparer. L'influence du comte sur le garçon est pernicieuse : Olivier devient mauvais, brutal, détestable même aux yeux de ses meilleurs amis. Il finit par s'en rendre compte et sombre dans une dépression noire, sans savoir comment faire machine arrière. Au cours de la soirée d'un club littéraire, les Argonautes, il se saoule et se ridiculise devant tout le monde puis sombre dans une torpeur éthylique. Il est rattrapé et soigné par l'oncle Édouard. Au matin, il tente de se suicider, non pas par désespoir dira-t-il, mais pour des raisons qu'il garde secrètes. Il finira par rester chez son oncle, grâce à la bienveillance de sa mère Pauline qui devine bien les relations affectueuses liant son demi-frère à son fils et qui ne veut pas les détruire. Bernard, quant à lui, au cours d'une discussion avec Laura et Édouard à Saas-Fee en Suisse, comprend que le lien du sang est une fausse valeur, et qu'il doit accepter Profitendieu comme celui qui l'a élevé, et donc comme père.

 

Autour de cette histoire centrale gravitent plusieurs intrigues secondaires.  Celle du grand frère d'Olivier, Vincent, qui connaît avec une cousine éloignée (Laura, l'amie d'Édouard) une aventure adultère au fruit amer puisqu'il la rend enceinte. Lâchement, il abandonne ses responsabilités pour se perdre auprès de lady Griffith, amie du comte de Passavant mais plus cynique encore. Celle du petit frère d'Olivier, Georges, jeune garçon calculateur qui n'a pas froid aux yeux et vire à la délinquance, manipulé par un sous-fifre du comte de Passavant. Celle d'un ami d'Olivier, Armand, désabusé et dépressif, qui vire au nihilisme absolu dans ses attitudes et ses idées. Il finit par trouver sa voie auprès du cynisme du comte de Passavant. Enfin, Boris, le petit-fils de l'organiste, jeune enfant fragile rencontré dans un sanatorium en montagne par Édouard et Bernard est ramené à Paris afin de l'éloigner de la maladie de Bronja, fille de sa doctoresse, qu'il vénère, mais aussi de ses penchants à la masturbation avec ses petits amis, attitude jugée honteuse et maladive à cette époque. Perdu, désespéré, abandonné de tous, y compris d'Édouard, qui s'était pourtant juré de s'en occuper, maltraité par Georges et ses camarades, il sera la victime expiatoire, en se suicidant, d'un drame épouvantable qui clôt le roman sur une note extrêmement sombre.

 

Les adultes du roman ont aussi leurs histoires : le père de Bernard, juge d'instruction qui suit une affaire de fausse monnaie, où Georges se trouve mêlé ; le père d'Olivier, tiraillé entre sa femme, sa famille et sa maîtresse ; La Pérouse, vieil organiste rempli d'amertume qui rêve de retrouver son petit-fils perdu mais se trouve terriblement déçu lorsqu'il le rencontre.

Le roman est construit sur une mise en abyme puisque l'oncle Édouard, écrivain, est présenté en train d'écrire un roman intitulé Les Faux-Monnayeurs, dans lequel il cherche à s'éloigner de la réalité, et qui a pour personnage principal un romancier. La construction du roman est très complexe et loin de la narration linéaire classique.
Les différentes histoires s'enchevêtrent, les points de vue sont multiples et variables, le narrateur lui-même change régulièrement. Les genres narratifs sont, par ailleurs, multiples : journal intime, lettre... Il arrive même que l'auteur s'adresse directement au lecteur. La narration est ainsi fondée sur une ambiguïté constante.
À travers cette œuvre, l'auteur montre les limites du roman traditionnel et son échec dans sa prétention à décrire la complexité du monde réel. Il souhaite libérer ainsi la littérature de son carcan narratif pour faire du roman une œuvre d'art créatrice à part entière, plutôt que le simple réceptacle d'une histoire racontée.