Editeur : E. D Distribution, juin 2008. 22 €.

Supplément :

  • livret de 30 pages où Edward Burtynsky explique son travail et commente les photographies vues dans le film.

 

Lors d'un voyage en Chine, le photographe canadien Edward Burtynsky documente les effets néfastes de la pollution et de l'industrialisation sur les paysages naturels.

 

Edward Burtynsky, né en 1955, travaille depuis 1985 sur les lieux de conflit entre activité humaine et la nature, avec un accent sur son action dégradante et les cicatrices monumentales de la terre : carrières, chantiers de chemins de fer, lotissements, mines.

Son intention documentaire est sans cesse contredite par les moyens mis en œuvre, qui le rangent parmi les pictorialistes : recherche de la belle image, composition sophistiquée, mise en scène maîtrisée, couleurs éclatantes et concordantes d'un cliché à l'autre.

Cette contradiction (qui lui a été reprochée dans Les inrocks) est tout à fait conforme à la profession de foi qu'il livre sur son site : travailler sur la contradiction insoluble entre la recherche d'un niveau de vie élevé et notre dépendance de la nature, soit une "métaphore du dilemme de notre existence : chercher un dialogue entre attirance et répulsion, séduction et peur."

A la fin du film, Burtynsky dit refuser d'orienter son travail vers des fins plus politiques. Il préfère laisser ses spectateurs s'interroger d'eux même sur ses paysages où la part de l'homme ne s'y révèle pas sous sont meilleur jour mais qui sont l'image de notre monde.

Roland Barthes disait que l'émotion de la photographie, son punctum, était le "ça a été". La force de l'image de Burtynsky est plutot de nous dire le monde d'aujourd'hui "c'est ça". Pour ce faire, à la manière de Bernd et Hilla Becher , il répertorie les éléments déterminant de la modernité économique (énergie et transport) et lui applique les effets répétitifs que l'on retrouve chez Alex MacLean.

C'est la violence le choc de ce "c'est ça" dont rend compte Jennifer Baichwal. Pour décrire l'usine, le cinéma a besoin de ce long plan séquence de 7mn45 sous forme de travelling latéral. A cette démarche longue et patiente du cinéma, elle oppose la photo double, magistrale, prise sous un axe perpendiculaire. Pareillement, alors que les ouvriers abattent sans fin les murs de leurs anciennes maisons dans un noir et blanc sans éclat, apparait sous un autre axe, la photo de ce qui pourrait être le dernier ouvrier abandonnant ce terrain bientôt englouti.

Jennifer Baichwal utilise aussi d'autres moyens pour mettre en valeur le travail du photographe : sur un son off mécanique, elle suit un à un les ouvriers de la photographie qui travaillent sur une chaîne de montage. Elle recourt au procédé général de l'élargissement de champ qui fait disparaître la notion de cadre de la photo, et partant de ses dimensions, pour retrouver l'idée que la caméra est un cache que l'on promène sur le monde. Elle donne ainsi l'impression d'une photo beaucoup plus grande qu'elle ne l'est en réalité retrouvant par la grandeur de l'écran de cinéma les effets que recherche Andreas Gursky dans ses immenses photographies. L'utilisation du noir et blanc, parfois un peu maniéré notamment lorsqu'il repasse à la couleur dans l'épisode au Bangladesh est surtout une utilisation modeste de la caméra vidéo pour faire exploser, par opposition, le lyrisme de la photo.

Paysages manufacturés a donc comme premier mérite de se mettre au service de la photographie pour en révéler toutes les potentialités

Le discours politique de Edward Burtynsky est un peu convenu par rapport à l'ambiguïté bienvenue de son travail photographique. Jennifer Baichwal relaie par les moyens du cinéma ce discours sans être guère plus originale. On notera toutefois la constance du propos qui consiste à opposer deux paroles : celle de ceux qui subissent des conditions de vie difficiles (les ouvriers des usines, l'ouvrière soudeuse au Bangladesh, la vieille femme de Shanghai) aux discours formatés des petits chefs (chefs d'équipe dans la première usine, dans la décharge de fer à repasser, jeune chargée des relations publiques chez Sentai electronical , la jeune agent immobilier, fière de sa maison de Shanghai).

J.-L. L.

 

Ed Distribution
 
présente
 
Paysages manufacturés de Jennifer Baichwal