Une longue introduction sur une musique de piano signée Arvo Pärt présente en plan large une voiture sur les routes du désert californien. Le conducteur et son passager arrivent dans le parc naturel et empruntent un sentier de grande randonnée. Dérangés dans leur promenade par des touristes en famille, ils décident de s'éloigner du sentier balisé. De toute façon, affirme Gerry en bleu, tous les chemins mènent au but de leur ballade. Ils discutent d'un jeu télévisé où la malheureuse candidate a répondu par la lettre "P" au lieu du "G " attendu pour compléter l'expression "A fond la gomme", font une course puis, fatigués, décident de rebrousser chemin alors que l'après-midi se termine. Ils s'aperçoivent alors qu'ils sont perdus.
Ils se dirigent vers les montagnes au loin, espérant apercevoir des lieux habités. Ils se perdent, se retrouvent. Gerry en noir se trouve bientôt incapable de descendre d'un bloc de pierre qu'il a précédemment escaladé et doit demander à Gerry en bleu de lui faire un matelas de sable pour amortir sa chute. Ils passent leur première nuit dans le désert. Devant un feu, Gerry en noir raconte comment, dans un rêve précédent, il était devenu roi de Thèbes mais que, suite à une série de catastrophes naturelles, il lui avait manqué un cheval pour faire face à ses ennemis conjurés contre lui.
Le lendemain et les jours suivants défilent sans que
l'on n'arrive précisément à rythmer l'alternance des
jours et des nuits. L'errance se transforme en un acte de survie des plus
tragiques, au fur et à mesure que les deux jeunes gens s'enfoncent
toujours plus profondément dans un décor de plus en plus hostile.
Gerry et Gerry se chamaillent quant à la route à suivre, vers
l'eau ou les montagnes et sont confrontés aux mirages. Après
une dernière nuit où ils avancent d'un pas lent sur le sel,
ils assistent au lever du soleil et s'écroulent. Pour abréger
ses souffrances, Gerry en bleu étrangle Gerry en noir qui agonise sous
le soleil. Attendant lui-même la mort, il revoit en flash mental et
en accéléré la route qu'ils ont pris pour arriver là.
Mais soudain, Gerry entend un grondement sourd. Au bout de leur marche, les
deux garçons étaient arrivés à proximité
de la route qui traverse la Vallée de la mort. Gerry se traîne
en courant jusqu'à la route et se laisse embarquer dans une voiture
familiale.
Qu'est-ce que ces jeunes gens sont venus chercher dans le désert ? Adolescents banals, spectateurs de télévision consommant du coca cola, ils sont pourtant en quête d'absolu comme en témoigne le rêve de Thèbes. Ils cherchent probablement à échapper à leur condition. En s'écartant de la route balisée fréquentée par les touristes, ils trouvent une expérience mystique qui les conduit presque volontairement à la mort, celle-ci étant comme naturellement engendrée par une trop grande beauté.
L'obstination des personnages - à l'image des profils butés des jeunes garçons, marchant côte à côte et du même pas forcé- entraîne le spectateur dans une démarche assez semblable. Délesté de toute psychologie, évacuée par Gus van Sant, le spectateur ne souhaite qu'aller toujours plus loin dans l'absolu du désert. Dépouillé d'imaginaire scénaristique - à aucun moment on ne souhaite voir les personnages sauvés- le film l'est également de tout poids symbolique. L'étoile de Gerry en noir, symbole de direction céleste ou de position sur une carte, est évidement ironique alors que les personanges sont perdus dans le désert.
Une fois encore, Gus van Sant nous embarque dans une histoire d'adolescents. Rarement comme ici pourtant l'irréductible marginalité, l'irréductible mystère de cet âge n'avait pu être partagé par le spectateur dans cette expérience qu'il fait avec eux de cette quête mystique et mortelle. Difficile d'oublier ce parcours en boucle partant d'une route pour se terminer sur une autre où l'attention aura été focalisée par les plans des nuages se délitant ou caressant les montagnes, par les courbes des montagnes par un canyon pierreux balayé par le vent, par le sable du désert, un levé de soleil mortuaire et la course des nuages films en accéléré, par la Vallée de la mort et son sel blanc omniprésent.
Notes : Film allégé de tout poids superflu, focalisé sur cette quête mystique, physique et mortelle, Gerry comporte aussi quelques clins d'ils cinéphiliques aux maîtres revendiqués de Gus van Sant. La longue introduction en voiture avant l'entrée dans la fiction rappelle celles de Kiarostami dans Au travers les oliviers ou Le goût de la cerise. Le long travelling des adolescents est une figure reprise de Bela Tarr telle qu'on peu la voir dans Les harmonies Weismaster. Enfin, la marche finale dans la Vallée de la mort et le corps à corps final des deux garçon évoque Les rapaces de Eric von Stroheim.
Encensé par la critique dans plusieurs festivals (Sundance, Locarno, Deauville), le film est resté longtemps inédit en France et n'a finalement été distribué que parce qu'Elepant a reçu la palme d'or à Cannes.
Jean-Luc Lacuve le 13/03/2004