Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Nouvelle donne

2006

(Reprise). Avec : Anders Danielsen Lie (Phillip), Espen Klouman-Høiner (Erik), Viktoria Winge (Kari), Odd Magnus Williamson (Morten), Pål Stokka (Geir), Christian Rubeck (Lars), Sigmund Sæverud (Sten Egil Dahl), Rebekka Karijord (Johanne), Silje Hagen (Lillian),Thorbjørn Harr (Mathis Wergeland). 1h45.

Depuis l'enfance, Erik et Phillip, unis par une profonde amitié, ont pour ambition de devenir écrivains. Ils envoient leur manuscrit le même jour dans la même boite aux lettres. Que pourrait-il arriver ? Hypothèse : Leurs deux romans sont publiés. Mais Phillip, en amour déçu, quitte Oslo. Il visite Lascaux, Hiroshima et est victime du syndrome de Stendhal. Après un séjour à l'hôpital le désir d'écrire lui revient. Erick, bloqué par le départ de Phillip suit le conseil de Sten Egil Dahl qui le convainc de quitter le pays. A Paris, il a une histoire d'amour avec la fille d'un éditeur qui se défenestre le 24 octobre rue Baudelaire. Erik aurait eu honte de sa créativité revenue. Erik et Phillip se seraient rencontrés par hasard à Paris se rendant compte qu'ils écrivaient le même livre : Nullpunktet.

Dans la réalité, le manuscrit d'Erik est rejeté, celui de Phillip, Images fantômes, est publié et le jeune homme devient du jour au lendemain une figure de la scène culturelle norvégienne.

Pourtant, six mois plus tard, Erik et ses amis vont chercher Phillip à l'hôpital psychiatrique. Lors du voyage de retour vers Oslo, ils s'arrêtent à Bigdoy, une péninsule à l'ouest de la capitale. Phillip, apathique se souvient de la constitution de leur groupe autour de leur admiration pour le groupe punk Kommune dirigé par Heaning. Autour de Phillip et Erik, il y avait là Geir, le jeune frère de Heaning, Lars et Morten. Erik trainait un amour pesant avec Lillian. Certains aiment les films de Marguerite Duras, d'autres seulement le rock. Erik se souvient de l'attitude suicidaire de Philip. En rentant, Phillip est attendu par sa mère qui a enlevé toutes les photos de Kari.

Un cheveu sur un pull rappelle le souvenir de Kari : leur rencontre fantasmée enfant, le décompte ayant décidé de leur amour, le voyage à paris. Un stupide choc avec une voiture avait envoyé Phillip à par terre. Il s'était relevé apparemment indemne mais tout avait commencé à se détraquer et il était devenu autodestructeur. C'est pourquoi, il avait du être interné à l'hôpital où on avait dit que sa passion pour Kari avait entrainé une psychose

Kari est toujours amoureuse de Phillip, elle aimerait tout recommencer, le lui dit-elle. Erik rencontre un éditeur prétentieux. Sten Egil Dahl viendra à un cocktail où il est invité. Leur amitié en littérature aimé dès 17 ans (La seconde nuit) ami de Duras et Blanchot.

A Bigdoy, Johanne l'éditrice, retrouve Erik par hasard avec ses amis. Ils la font fuir. Le cocktail est un échec. Interpellé par un écrivain, il fuit avant l'hypothétique arrivée du grand écrivain. Celui-ci arrive mais l'insupportable écrivain Mathis Wergeland gâche la rencontre.

Phillip envoie un billet d'avion à Kari pour revivre un an après leur voyage. Il tente refaire ce qu'ils avaient fait. C'est un échec. Erik s'ennuie sans son ami.

A l'automne, le livre d'Erik est publié, petit plateau télé. Ils se rendent chez une amie de Lars qui fait médecine puis dans une fête où Geir se fait embrasser par une femme en mal d'amour. Heaning embrasse Johanne. Phillip décompte dangereusement en vélo puis se met à écrire. Erick n'aime pas. Il s'en veut reçoit un coup de Sven pour déclencher une alarme de voiture et se fait renverser par le chien de Sten Egil Dahl, histoire d'Erik fuyant Oslo et écrivant à Paris attendre l'oubli; Heaning écrit le succès rond point

Six mois plus tard, Phillip a du mal à écrire alors que Erik est publié mais sans grand succès. Tous deux cherchent à rencontrer leur idole, l'écrivain Sten Egil Dahl. Phillip revoit Kari et tente avec elle la reprise ou une nouvelle donne de leur amour à Paris. Il s'obstine à décompter depuis 10 le moment du coup de foudre ou du changement pour un nouveau départ allant jusqu'a fermer les yeux dans la rue pour un nouvel accident. Erik encouragé par Phillip continuera d'écrire.

Le premier film du plus grand des cinéastes norvégiens interroge la possibilité de produire une seconde oeuvre après une première publication. Cette histoire d'une dépression durant une année possède assez peu d'éléments dramatiques mais les dispositifs formels extrêmement lyrique du jeune cinéaste contribuent à en faire une ouvre émouvante.

Un feu d'artifice formel

Le grand-père de Joaquim Trier est est le cinéaste Eric Lochen auteur de La chasse (1959) et Objection (1972) dont il reprend en partie les dispositifs formels. L'omniprésence de la musique permet de glisser d'un registre à l'autre : onirisme de la séquence introductive mais aussi quotidien des plages de Bigdoy, à l'ouest d'Oslo.

La musique permet aussi de lier les nombreux flashes-back qui donnent son allant au film alors que le présent raconte la longue sortie d'une dépression. Ces flashes-back sont plus ou moins longs : (1) flashes mentaux d'Erick sur l’attitude suicidaire de Phillip sur le chemin de l'hôpital ; (2) constitution de la bande en 1999 lors du concert de Kommune, dans le souvenir de Phillip lors de l'arrêt à Bigdoy; (3) Le souvenir des jours heureux avec Kari : décompte de 10 à 0 lors du concert, regards dans la bibliothèque, voyage à Paris; (4) épisode d'Erik enfant avec sa mère et ; (5) méchanceté d'Erik en 1991 qui provoque le renvoi de Sven pour attitude hostile envers l'homosexualité ; (6) histoire de leur passion commune pour l'écrivain Sten Egil Dahl, ami de Duras et Blanchot ; (7) réunion publicité chez Henning où se révèle "Porno Lars" ; (8) l'étudiant en chimie brillant, largué par sa copine.

Joaquim Trier reprend aussi de La chasse la voix off et et les voix intérieures qui commentent l'action. Il y introduit un élément plus moderne: le décalage des dialogues où s'exprime la pensée avant les mots.

Prégnance de la littérature française

Nouvelle donne est le titre que les distributeurs français ont imposé en 2012 à la reprise du prmier film de Joaquim Trier après le succès d'Oslo, 31 aout. Le sens y est : il s'agit bien de relancer sur une autre voie un destin littéraire et amoureux qui s'est enlisé. Il aurait toutefois été préférable de garder le titre original, français, Reprise.

Le film est en effet imprégné de culture littéraire française. Dans la séquence introductive Phillip et Erik voyagent en France, Lascaux pour l'un, Paris pour l'autre avec une petite amie qui se défenestre rue Baudelaire. Les deux amis regardent à la télévision Césarée (1978, 11') où sur des images du jardin des Tuileries, Marguerite Duras évoque Césarée, ville antique détruite et sa fameuse phrase : "Tout détruire. Il n'y a plus rien à voir que le tout". Sten Egil Dahl, est l'ami de Marguerite Duras et de Maurice Blanchot. Lorsqu'Eric publie Prosopopeia, il place l'exemplaire entre La peste d'Albert camus et un roman de l'écrivain norvégien Tor Ulven qui sert de modèle à Sten Egil Dahl.

Cette passion pour la littérature française, Trier la poursuivra avec son film suivant, Oslo,31 aout, adaptation du Feu follet de Drieu la Rochelle via son adaptation par Louis Malle.

Une fin à interpréter

La courte introduction lyrique et humoristique qui précède le générique donne une version courte de ce qui pourrait arriver une fois les deux manuscrits postés. Cette version est démentie par le film où se confrontent difficilement amour des femmes et créations littéraire. Dans ce corps du film, Phillip et Erik sont auteurs chacun d'un roman publié et écrivent un second texte : quelques pages jugées sévèrement par Erick et un roman posté pour Erick. Mais lorsque celui-ci quitte Oslo sur les conseils de Sten Egil Dahl et après une dernière démarche à l'hôpital voyant Phillip de nouveau amorphe ; tout n'est alors, comme dans l'introduction, qu'hypothèse.

Le film ne donne ainsi aucune fin consolante : les combats pour l'amour et la créativité sont toujours à gagner, sans certitude.

Jean-Luc Lacuve, le 22 novembre 2019