Lou Andreas Sand vit seule, en ermite, dans une maison de bois isolée, sur une dune qui domine une plage déserte de la Côte Atlantique. Modèle célèbre et adulé, elle s'est retirée, afin de faire le point sur son existence, de s'adonner à la peinture et à la sculpture ou d'écrire des poèmes.
Un jour, elle reçoit la visite d'un de ses amis, amant d'occasion, Aaron Rhinehardt, ancien photographe de mode devenu réalisateur. Il ambitionne de faire un film sur la vie de Lou et, à cet effet, est venu s'entretenir avec elle. Lou se remémore son itinéraire, non sans difficultés ni hésitations...
Remarquée pour sa beauté par le patron d'une agence de mannequins, elle participa à une première séance de pose au cours de laquelle le photographe lui imposa, comme accessoire, un faucon, malgré sa peur. Elle en conçut un profond mépris pour celui-ci, mais se lia d'amitié avec son assistant, Aaron, au point de poser pour lui afin de l'aider dans sa carrière; ce qui lui valut de se faire rabrouer par son agent... Elle fut peu après engagée pour présenter une nouvelle ligne de vêtements devant l'objectif d'un des plus grands photographes de mode : Pauline Galba, qu'elle rencontra avec son mari avant de s'envoler en jet privé pour la Jamaïque, où devaient avoir lieu les séances de pose... Il s'ensuivit le succès, puis, au cours d'un repas avec les Galba, l'amour, en la personne de Mark, qui, la demanda ensuite en mariage. Cependant, elle quitta la mairie avant la cérémonie, suivie par Mark qui la frappa au terme d'une dispute. Bien qu'ils se fussent réconciliés, leur liaison devint aléatoire et chaotique.
Sa carrière aussi se détériora progressivement : désillusions, tension, alcool, calmants eurent tôt fait d'avoir raison de son équilibre mental. Elle commit une tentative de suicide. Quand elle put, au bout de plusieurs mois, quitter la clinique psychiatrique, ce fut pour s'installer, loin de tous, dans ce chalet, au bord de l'océan.
Marchant sur la plage en compagnie d'Aaron, Lou s'étonne qu'ayant travaillé ensemble de manière aussi harmonieuse, ils ne soient pas devenus amants. Aaron lui rappelle qu'ils le furent, et qu'ils eurent, en tant que tels, de bons moments ensemble. Lou retourne à sa maison, un sourire illuminant son visage.
Portrait de femme en forme de puzzle. Jerry Schatzberg s’inspire de la vie tourmentée du top model Ann Saint Marie pour y associer ses souvenirs personnels de photographe de mode à travers une construction narrative morcelée. En filmant la fabrication des images en même temps qu’il montre leur envers, Schatzberg saisit le tournant des années 60-70 avec tout ce que l’époque comporte de fraicheur, d’excitation, mais aussi de vacuité.
Faye Dunaway, qui était déjà une icône depuis le succès de Bonnie and Clyde et de L’Affaire Thomas Crown, trouve ici l’un de ses rôles les plus marquants : en incarnant une cover-girl déchue à deux âges de son existence, elle mêle à la sophistication une fragilité bouleversante. Resté invisible depuis longtemps, Portrait d’une enfant déchue est restauré par Universal en 2011 et distribué par carlotta-Films en France.
Jerry Schatzberg déclare à cette occasion : "Alors que j’étais photographe, j’ai décidé de devenir réalisateur d’abord parce que j’avais un sujet dont je voulais parler. Il s’agissait de mon mannequin préféré et du drame qui lui arrivait. D’une manière ou d’une autre, je souhaitais enregistrer ce qui se passait et la seule façon, pour moi, était de faire un film. Parallèlement, à l’époque, je filmais régulièrement avec une caméra 16 mm pour m’amuser.
Ann Saint Marie fut le mannequin qui a inspiré l’histoire de Portrait d’une enfant déchue. Quand j’ai commencé comme photographe de mode, c’était déjà un mannequin très important et elle m’intimidait beaucoup. Au fur et à mesure des années, les créateurs, entre autres, dirent régulièrement, à propos d’elle, qu’ils souhaitaient avoir des "mannequins plus jeunes", des "nouveaux visages" pour leurs collections. Cela l’affecta énormément car elle était toujours jeune et n’avait même pas trente ans. Alors qu’elle traversait ces difficultés, je l’ai vue sombrer dans la dépression. J’ai toujours pensé qu’il y avait une histoire à raconter. Mais mon premier film est vraiment une métaphore pour de nombreux secteurs, pas seulement la mode.
À ce stade, Faye Dunaway était déjà impliquée dans le projet car je lui en avais parlé et le sujet du film lui avait particulièrement plu. Elle avait déjà fait Bonnie and Clyde et était alors très connue. Je la connaissais car je l’avais photographiée pour Esquire avant qu’elle fasse ce film. J’avais des idées différentes sur le personnage de Lou. J’ai d’abord pensé prendre une actrice mûre pour jouer le personnage adulte, et une jeune fille pour le personnage enfant. Puis je me suis dit que Faye pouvait tout à fait jouer les deux. Ce serait d’ailleurs plus intéressant. J’ai pu lui présenter Ann Saint Marie, de sorte qu’elle a pu voir comment elle était dans la vie et repérer des détails importants comme sa façon bien spécifique de s’exprimer.
Je n’ai pas la sensation d’avoir consciemment fait partie du mouvement appelé Nouvel Hollywood. J’ai toujours travaillé seul. De même, je suis devenu ami avec les Stones, Bob Dylan et même Andy Warhol, je passais du temps avec eux, mais je n’ai jamais fait partie intégrante de leur entourage. J’étais solitaire. Je n’avais pas conscience de faire partie de quelque mouvement ou groupe : je voulais juste faire mon premier film. Ce que je crée reflète, de toute évidence, mes envies et aspirations." Propos recueillis à New York en décembre 2010.