Un soir de Juin. Le médecin Colin répète sans conviction avec sa femme Kathlyn une pièce de théâtre amateur. Celle-ci, irritée de son peu d'implication, finit par lui soutirer qu'il sait que les jours d'un de ses patients sont sans doute comptés. Pipelette et rusée, Kathlyn lui fait lâcher par mégarde qui s'agit de l'instituteur George Riley. Bouleversée par cette nouvelle tout autant qu'empressée de la répandre, Kathlyn prévient immédiatement Jack, le meilleur ami de George. Avant d'être prévenu par Kathryn au téléphone, Jack était rentré d'une "conférence" de deux jours que sa femme Tamara, soupçonne d'être une escapade avec sa jeune maitresse. Ainsi, lorsque Colin et Kathlyn arrivent chez eux pour répéter Jack est-il effondré... A la grande surprise de Colin, irrité que sa femme ait déjà trahi ce qui aurait dû être un secret professionnel.
Les deux couples persuadent George de se joindre à eux. Cela permet à George, entre autres, de jouer des scènes d'amour appuyées avec Tamara. Jack, éploré, tente de persuader Monica, l'épouse de George qui s'est séparée de lui pour vivre avec le fermier Simeon, de revenir auprès de son mari pour l'accompagner dans ses derniers mois. Au grand désarroi des hommes dont elles partagent la vie, George exerce une étrange séduction sur les trois femmes : Monica, Tamara et Kathryn. Laquelle George Riley emmènera-t-il en vacances à Ténérife ?
L'attrait irrésistible envers le modèle cérébral fait de Resnais un cinéaste de la composition plus que de l'intrigue et du développement. Ses personnages errent dans un labyrinthe à la recherche d'une harmonie qui eut lieu, qui pourrait avoir lieu encore s'ils se souvenaient de ce qu'ils furent avant d'être soumis à la grande dégradation du temps. La combinatoire entre le groupe d'amis ici réunis, proche du vaudeville, est néanmoins transcendée par une mise en scène qui en appelle à la puissance des fantômes du passé.
Des marionnettes sur une scène de théâtre.
C'est la troisième fois qu'Alain Resnais adapte au cinéma un texte du dramaturge britannique Alan Ayckbourn. Smoking/No smoking (1993) s'inspirait de Intimate Exchanges (1982); Curs (2006) de Petites peurs partagées (2004). Aimer, boire et chanter (2014) s'inspire librement de The Life of Riley (2010).
La combinatoire mise en uvre réunit trois couples : Colin-Kathlyn, Jack-Tamara et Monica-Siméon. Mais il y aussi deux couples symboliques : le couple d'acteurs qu'on ne voit jamais, le fameux Georges et la metteuse en scène, Peggy, plus un couple complémentaire, la jeune Tilly au rôle muet et le révérend dont on n'entend que la voix.
Le rôle central est donc tenu par le couple absent à l'écran, incarnation du travail et du message du metteur en scène et le couple complémentaire : le révérend qui fait l'éloge bien naïf de Georges et la jeune Tilly, qui le trouva si fun, rendent hommage au mort et donnent la morale du film.
Les couples d'acteurs-personnages sont très typés : l'alcoolique et frustrée Kathlyn vit avec la maniaque et rigide Colin ; la parfaite Tamara vit avec l'infidèle Jack et Monica, fatiguée de Georges, vit avec le gentil Siméon. Au bout du compte, chacun retrouvera sa chacune en lui demandant avec un peu de conviction de rester avec lui. Au cours des quatre saisons durant lesquelles se déroule le film, on ne peut pas dire que Georges ait ouvert les yeux à qui que ce soit. Il aura su néanmoins, comme tout bon personnage de vaudeville, mettre un peu de piquant dans la vie de ces couples qui avaient oublié pourquoi ils s'étaient aimés.
Resnais croit tant au théâtre qu'il filme sans champ-contrechamp mais en observant ses acteurs de face dans des plans assez longs. L'ensemble du film comporte en effet environ 150 plans soit quatre fois moins qu'en moyenne pour cette durée. La relative similitude des couples, usés et fatigués d'une jeunesse perdue que seul Georges maintient dans leur esprit, est illustrée par le même type de décors, faits de panneaux de plastiques imprimés.
La jeunesse salue l'ange disparu
Resnais multiplie pourtant les ruptures visuelles dans une forme de distanciation qui vient contredire le propos à la fois sérieux et banal du film. Les intermèdes entre les scènes ou les actes sont illustrés par des portions de paysages vus depuis une voiture, la transition vers les scènes de théâtre est illustrée par les dessins de Blutch, l'absence de Georges est illustrée par le phonographe. Le cinéma comme cinéma intervient dans ces plans d'espaces déterritorialisés où les acteurs sont filmés en gros plan derrière un fond texturé.
Très répétitifs, ces procédés scandent le cheminement vers la mort. A la fin du premier acte surgit une petite taupe curieuse des actions de ces humains et qui retournera en terre lorsqu'on apprendra la mort de Georges. Un split-screen des trois hommes les avaient laissé perplexes à la veille du départ de leur femme pour des vacances et il leur a fallu une ultime rection pour éviter le pire quand, filmés pour uen unique fois dans leur intérieur (et non dans leurs jardins, notamment les maisons aux horloges de Colin et Kathlyn), ils ont suppliés leur femme de rester
La dernière image du cinéma de Resnais est une photographie d'ange funèbre, déposée sur la tombe de Georges par Tilly. La musique du phonographe de Georges qui appelait à aimer, boire et chanter trouve alors enfin ses paroles dans le générique final. Resnais comme la petite taupe s'en est allé sous terre en espérant sans doute que l'on retienne la puissance des fantômes du passé.
Jean-Luc Lacuve le 30/03/2014.