Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Decision to leave

2022

Genre : Film noir

Cannes 2022 (Haeojil Gyeolsim). Avec : Tang Wei (Song Seo-rae), Park Hae-il (Jang Hae-joon), Go Kyung-Pyo (Soo-wan, le jeune detective),  Lee Jung-hyun (Jung-an, la femme de hea-joon), Yoo Seung-mok (Ki Do-soo, le premier mari), Park Yong-woo (Lim Ho-shin, le second mari), Jung Young-sook (Mamie Hae-dong), Teo Yoo (Lee Joo-im), Jung Yi-seo (Yoo Mi-ji, la collègue de Busan), Kim Shin-young (Yeon-su, la collègue de Ipo), Park Jeong-min (Hong San-oh, le criminel), Lee Hak-joo (Lee Ji-goo, son complice au couteau), Seo Hyun-woo (Sa Cheol-seong, le fils en colère). 2h18.

Busan. Deux policiers au stand de tir se plaignent de l’inaction de leur chef dans la poursuite du criminel du quartier de Jilgok. Hae-joon, flic brillant et réputé, propose à Soo-wan, son jeune collègue impétueux, de prendre les choses en main et de renouveler leur enquête dans les lieux fréquentés par les amis de Hong San-oh, criminel en fuite. Dans un cybercafé, une jeune femme se souvient avoir vu passer Ji-goo, un de ses amis.

Pour le week-end, Hae-joon, est de retour près de sa femme, Jung-an à Ipo, à une centaine de kilomètres au Nord-est, près de la mer, où elle travaille dans la centrale nucléaire, après des études de mathématiques. Ils sont mariés depuis 17 ans et ont un fils collégien en internat. Il lui prépare un plat chaud et elle souhaiterait qu'il obtienne sa mutation.

Hae-joon est rappelé à Busan car un cadavre vient d'être retrouvé. C'est celui de Ki Do-soo, 60 ans, un fonctionnaire de l'immigration à la retraite bien qu'encore employé comme contractuel. Il est tombé du sommet d’une falaise, le pic Bigum du mont Guso, qu’il avait l'habitude d'escalader. Hae-joon, au désespoir de Soo-wan, accroché à son dos, tient à grimper au sommet de la montagne par un câble et non en hélicoptère. Le sac du fonctionnaire contient nombre d'affaires, toutes marquées à son nom dont son téléphone.

A la morgue, Hae-joon et Soo-wan reçoivent sa veuve, Seo-rae, une immigrée chinoise beaucoup plus jeune, modérément éplorée, ce qui la rend immédiatement soupçonnable du meurtre de son mari. Seo-rae déverrouille le téléphone de son mari Ils la soupçonnent en raison de ses manifestations insuffisantes de chagrin et d'une égratignure à la main. Une enquête doit être ouverte. Au commissariat, la médecin de la police l'informe que Seo-rae était battue par son mari: elle a des bleus sur les jambes et le torse, des côtes cassées et Hae-joon remarque sur elle un tatouage des initiales de Ki de la même manière qu'il marquait également ses affaires. Seo-rae est informée de la façon dont son mari est mort.

Pour le week-end, Hae-joon, est de retour près de sa femme à Ipo où il font l'amour ce qui la réjouit, car faire l’amour permet d’être en bonne santé. Lui a la tête ailleurs : il comprend  que Seo-rae apprend le coréen en regardant des feuilletons à la télévision. Le sentant préoccupé, Jung-an n’obtient que l'information qu'il est ému par un  vieux mari dont on vient de retrouver sa jeune femme morte.

Hae-joon de retour à Busan va voir la patronne de Seo-rae qui l'informe qu'elle travaille comme aide-soignante à domicile auprès de personnes âgées auxquelles elle rend visite chaque jour de la semaine. Le lundi c'est chez mamy Hae-dong. C'est la meilleure de l'agence très appréciée des malades car sachant faire des piqûres indolores. Le lundi 26 octobre 2020  elle avait répondu à l'appel de 9h00 de l'agence s'assurant ainsi que leur employée était auprès de leur malade.

Hae-joon planque devant la maison de Seo-rae avec Soo-wan. Ils sont informés par téléphone qu'un ADN étranger a été trouvé sous les ongles de Ki : il faudra faire un prélèvement buccale des cellules épithéliales. Alors que Soo-wan est parti chercher à manger, fasciné par Seo-rae, Hae-joon l'observe à la jumelle et, par la force de son amour, se projette près d'elle. Il l'informe qu'elle doit venir au commissariat. Alors qu'elle sort, il la prend en filature, chargeant Soo-wan d'interroger la mamy qui écoute "brume" de Chung Hoon-he.

Hae-joon est surpris que sa filature le conduise au commissariat où Seo-rae s'est immédiatement rendue pour un long entretien. Elle explique que c'est parce qu'elle refusait de se rendre à la montagne qu'elle s'est griffée et a aussi griffé Ki qui voulait l'empêcher de s'automutiler ainsi. Selon Confucius, les gens sages aiment l'eau et les gens bienveillants la montagne; elle n'est pas bienveillante: elle aime la mer et explique que son mari la battait. Elle montre des griffures sur sa cuisse. Hae-joon se doit de les photographier pour le dossier. Il est néanmoins gêné quand sa collègue entre dans la pièce alors qui est aussi près de la cuisse découverte de  Seo-rae.

Le midi, à la mi-temps de l'interrogatoire, il lui offre un repas de sushi luxueux, ce qui révolte Soo-wan. L'ADN est bien celui de Seo-rae et Soo-wan découvre que Seo-rae a émigré clandestinement en Corée le 17 août 2015 par le port de Pyeongtaek. 37 migrants ont été refoulés sauf elle. Son grand-père, Gye Bong-seok , était en effet membre de l'Armée de libération de la Corée,  Il avait combattu l'envahisseur japonais en Mandchourie dans les années 30, commandant, il était surnommé le lynx de la Mandchourie). Grâce à Ki, il a été honoré de l'ordre national du mérite et la naturalisation a été accordée aux descendants des patriotes, dont Seo-rae.

Alors que l'entretien se termine, Hae-joon et Soo-wan sont appelés sur les traces de Ji-goo dans le quartier des jeux au cybercafé Oppa. Soo-wan est vite distancé par lui mais Hae-joon le traque jusque sur les hauteurs de la ville et le force à lâcher le couteau avec lequel il se battait. Seo-rae, qui a entendu l'adresse où se rendait Hae-joon, l'a suivi en voiture et le voit mettre brillamment Ji-goo hors de combat.

Hae-joon interroge Ji-goo cherchant à lui faire avouer que c'est San-oh qui a tué Beom. Ji-goo veut bien le confirmer mais dit que son ami ne reviendra jamais en prison.  Hae-joon   fait un sermon à Soo-wan sur sa violence en interrogatoire mais celui-ci lui reproche sa discrimination positive envers Seo-rae. ;  Hae-joon lui rappelle qu'elle  a pourtant un alibi solide : les caméras de surveillance ayant enregistré son entrée et sa sortie de chez la mamie  ce lundi 26 octobre entre 9h et 11h alors que le mari est mort à 10h.  Hae-joon  demande à Mi-ji de dresser la liste des amies de San-oh.

Hae-joon vient de nouveau planquer chez Seo-rae qui le repère au petit matin alors qu'elle va donner à manger à son chat. Elle prend Hae-joon en photo et le salue d'un bonjour. Hae-joon est content d'avoir bien dormi. Le soir, il constate qu'un corbeau a été attaqué par son chat. Elle l'enterre en psalmodiant. Hae-joon l'enregistre avec sa montre connectée. Le traducteur lui apprend qu'elle voudrait que son chat lui ramène le corps du gentil policier. Il planque de nouveau devant chez elle et c'est comme s'il était là, recueillant la cendre de sa cigarette dans le cendrier.

Son chef refuse qu’il continue l'enquête et lui demande de classer l'affaire.  Soo-wan  révèle à  Hae-joon  et  Mi-ji  que  Seo-rae  est accusée du meurtre de sa mère en Chine.

Retour à Ipo où  Hae-joon manifeste son envie de fumer. Sa femme fait appel aux racines de campanules séchées. Hae-joon envoie à Seo-rae l'acte de condamnation; elle lui demande de venir chez elle. Il lui demande si elle a tué sa mère: ce à quoi elle répond par l'affirmative : sa mère voulait qu'elle l'aide à mourir puis d'aller au mont Homi en Corée là où son grand-père s'est illustré pour verser leurs cendres. Quatre cachets de Fentanyl avaient suffi à faire partir sa mère dans son sommeil. Depuis, elle garde les cendres de ses ancêtres dans l'urne sur la table.  Quatre cachets de Fentanyl étant toujours disponibles. Elle sort les lettres de chantage et les réponses de son mari à son subordonné.

Celui-ci reconnaît les avoir reçues. Hae-joon conclut au suicide ce qui met en colère Soo-wan. Il est appelé par Seo-rae qui a dû faire face à la colère de Soo-wan; il range son appartement

Un soir, il l'a invitée chez lui pour lui remettre les affaires de son mari.Il lui prépare à manger alors qu'elle l'aide un peu tout en fumant. Elle lui dit d'instinct que le criminel est près de l'une de ses anciennes petites amies, mariée, Oh Ga-in qui possède un salon à Gyeonggi. Un flash-forward, parallèle, montre que l'intuition de Seo-rae est juste.  Hae-joon  le retrouve même si son ami est poignardé mais San-oh se suicide, préférant cela à la prison. Sa femme veut venir le chercher mais c'est Seo-rae qui vient le réconforter. Elle enlève les photos. Elle l’aide à dormir en lui demandant de caler sa respiration avec la sienne.

Ils visitent un temple bouddhique sous la pluie. Il déclare détester les bains de sang à cause de l'odeur. Il lui fait écouter les enregistrements de ses commentaires pendant qu'il est en planque devant chez elle. Ils déjeunent chez lui, trouve son code du téléphone, le jour du décès de sa mère. Elle passe la chanson brume.

Hae-joon écoute la chanson à Ipo. Sa femme lui fait une scène parce que son pull est imprégné de …l’odeur de cigarette. Il affirme que cela vient de son collègue. Hae-joon se lève en pleine nuit pour laver la voiture du fait de son insomnie. Il téléphone à Seo-rae, celle-ci lui demande de prendre soin de la mamie du lundi car elle est retenue à l'hôpital. Il apprend qu’elle n'avait pas toujours les mains calleuses; qu'elle lui a acheté le même téléphone qu'elle et lui a téléchargé la chanson Mist qu'elle réclame toujours. Il découvre surtout une application montrant que le lundi du crime, le 26 octobre 2020, 138 étages ont été grimpés contre 0 tous les autres jours. Pour la mamie, le lundi est synonyme du jour de Seo-rae. Hae-joon refait son parcours le jour du meurtre, se projetant près d'elle. Il visualise le meurtre en haut du mont dune hauteur de 138 étages.

Le soir, il vient chez Seo-rae. Il lui dit qu'il doit sa classe à sa fierté. Il était un policier fier de lui mais aujourd'hui, aveuglé par une femme, il a bâclé son enquête. Maintenant je suis totalement brisé. Il a changé le téléphone de la mamy et lui demande de jeter le sien dans la mer , là où personne ne pourra le retrouver. Elle vérifie sur son téléphone la signification du mot brisé : effondré, cassé.

Treize mois plus tard. Hae-joon a été muté à Ipo prétextant le traumatisme de la mort du jeune criminel. Il consulte un psychiatre qui lui conseille un appareil respiratoire pour éviter son apnée du sommeil. Il traque les voleurs de tortues aux vertus aphrodisiaques.

A Busan, Seo-rae est violemment frappée par une brute, Cheol-seong, surnomé Paf, qui veut savoir où se trouve son mari, Ho-shin, qui a dépouillé sa mère de ses économies. Seo-rae décide son mari à partir pour Ipo.

Seo-rae déclenche une alerte incendie pour voir Hae-joon. Elle se souvient en effet de la série ou l’héroïne a allumé un incendie pour voir son amour de pompier. Celui-ci est dans la cour, presque aphasique, interrogé par une détective locale, Mi-ji. Il est toujours victime de l’apnée du sommeil : il se réveille  47 fois par heure. Chez lui, il prépare les grenades qui retardent la ménopause de sa femme.

Son-rae est au bras de Ho-shin, qui se prétend analyste financier mais qui dissimule mal qu'il est un escroc lorsqu’elle rencontre Hae-joon avec sa femme sur un marché aux poissons. Hae-joon doit avouer à sa femme qu’elle était la jeune épouse d’un homme plus âgé et non comme, il lui avait dit avoir enquêté sur un vieillard desespéré du suicide de sa jeune épouse. Ho-shin, le second mari de Seo-rae lui dit qu’il va envoyer le message vocal à la femme de Hae-joon.

C'est alors que que Hae-joon est enfin appelé pour un crime dans une piscine, commis par un gaucher. pour certains le chagrin déferle comme une vague et pour d'autres, il se répand lentement comme de l'encre dans l'eau. Elle est venue à Ipo après un épisode d'Alerte rouge. Elle l'a épouser pour prendre la decision de quitter un autre homme

Elle a jeté un téléphone à la mer et détruit sa robe verte ; elle explique qu'elle l’a trouvé poignardé et qu'elle a fait disparaitre le sang pour ne pas incommoder Hae-joon. Hae-joon arrête Seo-rae pour dissimulation de preuve, robe verte et téléphone mais la libère quand il arrête Paf, qui s’est découvert tout seul lors d'un incident violent. Il savait retrouver Seo-rae avec un mouchard sur son téléphone. Il rattrappe des tortues mais sa femme lui dit avoir été appelée deux fois dans la nuit par Ho-shin avant qu'il se fasse tuer

il demande à Yeon-su de simuler le jet de téléphone. Le soir il lit les retrnscription de sa montre. Elle est au mont Homi. Il va en haut de la montagne, sous la neige, elle lui fait disperser les cendres de sa mère. manque les quatre cachets de Fentanyl. "Je suis allée à Ipo pour devenir une de vos enquêtes non élucidées" dit-elle en guise d'excuse. Seo-rae s'approche de lui par derrière. Il anticipe qu'elle pourrait le pousser (fermant les yeux et l'acceptant) mais elle le saisit dans ses bras, le retenant de sauter. Elle se donne à lui par l'échange du lipstickpui par un long baiser, seul écart dans leurs échanges amoureux platoniques. En rentrant sa femme le quitte, aidée dans son démanagement par son jeune collègue, Lee June. Elle emporte grenade et tortue.

C'est le téléphone de Lim que Seo-rae avait jeté. Celui où il menaçait d'appeler. Il fait convoquer Paf qui reconnait que Seo-rae est venue voir sa mère le matin de sa mort. Elle a assassiné la mère de Paf avec ses cachets sachant qu'il allait alors tuer son mari qu’il tenait responsable de la dégradation de son état.

La détective locale, Mi-ji,  lui ramène son téléphone, où figure son enregistrement où il se revoit se disant brisé. Il veut la rejoindre mais elle a déjà disparu, ayant creusé un trou dans le sable. Elle attend la marée qui monte et qui l'engloutit, la recouvre de sable et d'eau. Hae-joon arrive trop tard, criant le nom de Son-rae sur la plage déserte au crépuscule alors que la marée monte toujours.

Avec ce film, Park Chan-wook se révèle plus que jamais un grand cinéaste maniériste ou, pour réemployer les analyses de Gilles Deleuze, un cinéaste majeur de la crise de l’image-action. Decision to leave doit en effet beaucoup au Vertigo d’Hitchcock et à In the mood for love de Wong Kar-wai.

Comme Vertigo, l'intrigue sentimalo-policière est en deux parties, la seconde essayant de raccommoder les déchirures de la première et, comme dans Vertigo, c'est d'abord l'homme qui est amoureux avant que, dans la seconde partie, ce ne soit la femme.

La mise en scène est ébouriffante. Elle multiplie les oppositions : entre la mer et la montagne, entre Busan et Ipo, entre endormissements dus à l'insomnie et volonté constante d'ouvrir l’œil, entre meurtre d'un premier mari et meurtre d'un second, entre le capitaine expérimenté et son second, entre un mari rendu confus par l'amour et sa femme, hygiéniste à l'excès. Elle fournit une intrigue policière qui vient comme en écho fournir une résolution sentimentale tragique. Elle fournit un ensemble d'objets; urne, montre connectée, traducteur, plume d'oiseau qui reviennent sans cesse.

A ce jeu d'oppositions viennent se greffer des éléments d'une grande audace formelle comme ces télé-transportations de Hae-joon près de Seo-rae par la force de son amour; des montages alternés sous forme de flashes mentaux; un dispositif en split-screen qui alterne avec les champs-contrechamps ; ou un flash-forward qui vient confirmer une intuition. Tous ses éléments opèrent un tissage autour du couple sublime de Hae-joon et Seo-rae qui ont en commun la poésie des mots

Un film maniériste

De Park Chan-wook, cinéaste maniériste, on pourrait dire la même chose que Gilles Deleuze à propos d’Alfred Hitchcock :

"Chez Hitchcock, les actions, les affections, tout est interprétation, du début jusqu'à la fin. La corde est fait d'un seul plan pour autant que les images ne sont que les méandres d'un seul et même raisonnement. La raison en est simple : dans les films d'Hitchcock une action étant donnée (au présent, au futur ou au passé) va être littéralement entourée par un ensemble de relations qui en font varier le sujet, la nature, le but etc. Ce qui compte, ce n'est pas l'auteur de l'action, ce qu'Hitchcock appelle avec mépris le whodunit ("qui l'a fait ?"), mais ce n'est pas davantage l'action même : C'est l'ensemble des relations dans lesquelles l'action et son auteur sont pris.
D'où le sens très spécial du cadre : les dessins préalables du cadrage, la stricte délimitation du cadre, l'élimination apparente du hors cadre s'expliquent par la référence constante d'Hitchcock, non pas à la peinture ou au théâtre, mais à la tapisserie, c'est à dire au tissage. Le cadre est comme les montants qui portent la chaîne des relations, tandis que l'action constitue seulement la trame mobile qui passe par-dessus et par-dessous. On comprend dès lors qu'Hitchcock procède d'habitude par plans courts, autant de plans qu'il y a de cadre, chaque plan montrant une relation ou une variation de la relation. (…). L'essentiel de toute façon, c'est que l'action, et aussi la perception et l'affection, soient encadrées dans un tissu de relations. C'est cette chaîne de relations qui constituent l'image mentale, par opposition à la trame des actions, perceptions et affections."

Les images mentales de Decision to leave sont évidentes lorsque, par la force de son désir, Hae-joon se projette près de Seo-rae, attentif à chacun de ses mouvements et aux traits de son visage. Images mentales aussi la vision de l'inspecteur depuis l'œil mort du mari de Seo-rae parcouru de fourmis. La prédominance d’une mise en scène à l’intérieur du cadre en opposition avec une caméra comme un cache mouvant dans l'espace filmique trouve sa pleine expression dans de nombreux effets de split-screen. Un même plan, séparé en deux, réunit Seo-rae sur l’écran du commissariat face à Hae-joon. Celui-ci, de plus en plus enfermé dans son amour, voit de moins en moins au fur et à mesure qu'il accumule le collyre dans les yeux.

Les références à Vertigo sont continues. La robe verte, si attentivement détaillée dans un gros plan sur le marché aux poissons, renvoie à celle de Madeleine lorsque Scotie l'aperçoit pour la première fois au restaurant. La poursuite de San-oh, le criminel amoureux, sur les toits renvoie au début du film d'Hitchock, tout comme la filature en voiture jusqu'au commissariat renvoie à la même fin inattendue de Madeleine rentrant chez elle. Les deux films enfin sont construits en deux parties, la femme revenant dans la seconde alors que l’homme est resté groggy mais pour disparaître définitivement.

Un film noir

Presque tout film noir mêle une intrigue sentimentale à une intrigue policière. Tout cela peut finir très bien, surtout quand Howard Hawks adapte romantiquement la fin ambiguë du roman Chandler dans Le grand sommeil. Mais cela peut aussi finir mal comme dans Le faucon maltais où Sam Spade (Humphrey Bogart) livre la femme qu'il aime, Brigid (Mary Astor), quand il la sait coupable. La fin peut aussi être ambiguë, ainsi Nick Curran dans Basic instinct qui vit avec le doute. Dans Decision to leave, Hae-joon sera condamné à errer avec le secret de ses amours platoniques comme Chow Mo-wan dans In the mood for love avec un Yumeji's Theme remplacé ici par l'adagietto de la 5e symphonie de Mahler.

Hae-joon serait sans doute passé sur les quatre meurtres de Seo-rae : sa mère, ses deux maris et la mère de Cheol-seong. Certes, Hae-joon se dit brisé, effondré, cassé mais jusqu'au bout de la nuit sur la plage d'Ipo, il espère retrouver Seo-rae. Celle- ci après lui avoir bien fait comprendre qu'il lui avait ainsi fait une déclaration d'amour implicite qu'elle écoute en boucle décide de lui rendre sa dignité de policier. En refusant de jeter le téléphone accusateur des 138 étages et en lui confiant avant de mourir, elle lui permet de la déclarer coupable post-mortem. Ainsi ne restera-t-il plus brisé, effondré, cassé.

Un écho dans l'intrigue secondaire

La première moitié du film se concentre principalement sur la mort de Ki Do-soo, mais il y a aussi une affaire sous-jacente sur laquelle Hae-joon a travaillé : l'affaire Jilgok-dong. L’affaire peut sembler être une intrigue secondaire sans rapport, mais elle préfigure subtilement la fin du film. Avant que Hae-joon ne s’occupe de l’affaire de Seo-rae, il est mentionné qu’il travaille sur cette affaire depuis quelques années mais qu’il n’a pas encore attrapé le coupable, qui s’est enfui après avoir assassiné un homme il y a trois ans. Après avoir arrêté l’un des suspects, Hae-joon découvre que le meurtrier est Hong San-oh. Selon le complice de San-oh, cependant, San-oh déteste apparemment la prison et préférerait « se suicider après avoir tué quelques policiers plutôt que d’aller en prison ». Alors que Hae-joon se bat pour résoudre l’affaire et appréhender San-oh, Seo-rae propose de l’aider. Elle suggère que peut-être San-oh avait assassiné la victime à cause d’une femme, nommée Oh Ga-in, qu’il aimait et valorisait plus que sa vie. Dès qu'il entend ces mots, Hae-joon court à l'appartement de Ga-in pour l'arrêter – mais San-oh s'enfuit, ayant remarqué l'arrivée de la police. Il est presque capturé par Hae-joon sur le toit d'un immeuble mais saute pour se suicider. Le personnage de San-oh est très similaire à celui de Seo-rae – tous deux commettent des meurtres à répétition par amour et finissent par se suicider.

Eloge de la singularité

Seo-rae dit ne pas maîtriser parfaitement le coréen. Hae-joon lui fait cependant remarquer qu’elle le parle mieux que lui car d’une manière singulière et poétique. Elle retient et répète les phrases de séries télévisées creuses qu'elle transpose avec une force décuplée dans le réel. "Il a réussi à se tuer, en définitif"; "Suis-je si perfide ?"; "Il n’y avait pas d'autres moyens de vous revoir", "Je suis allée à Ipo pour devenir une de vos enquêtes non élucidées". Ils se laissent tous les deux, comme la mamy, bercer par Mist (« Brume »), interprétée en duo par la chanteuse Jung Hoon-hee et Song Chang-sik.  Quand il prend la décision de la quitter car il est "brisé", elle cherche des synonymes : "effondré", "cassé" 

Seo-rae a vite défini son mari comme "le coréen singulier", l’archétype du prétentieux possessif et Hae-joon prépare "le plat chinois singulier". Singulier aussi son destin de femme chinoise meurtrie, petite-fille d’un héros de la révolution mais revenue en Corée en fond de cale, presque contrainte d’épouser un fonctionnaire de l’immigration. Elle est dure à la souffrance, celle infligée par son mari, celle qu’il lui faut pour escalader la montagne, pour ne pas se défendre face à Cheol-seong durant 10 minutes, celle pour vider la piscine du sang du meurtre de son second mari.

Seo-rae sait qu'elle a perdu une deuxième fois Hae-joon, s'accrochant à son devoir de policier, et décide de disparaître. Elle jette cette fois le fragile mat phallique de la plage, nouvelle incarnation de la hauteur après le mont du début et la neige sur le mont, près de Ipo où sont dispersées les cendres. Il ne lui reste plus qu'à disparaître sans un cri sous le sable. Decison to leave, cette fois définitive.

Jean-Luc Lacuve, le 9 juillet 2022.

Retour