Rêve érotique d'une masturbation réciproque. 1er janvier au matin, le téléphone sonne. Murphy, 25 ans, se réveille difficilement, encore sonné par la fête de la veille. Il est entouré de sa jeune femme et de son enfant de deux ans qu'il va consoler car il s'est mis à pleurer. Murphy écoute son répondeur. Sur le message, la mère d'Electra, Nora, lui demande, très inquiète, s'il n'a pas eu de nouvelle de sa fille, disparue depuis longtemps. Elle craint qu'il lui soit arrivé un accident grave. Murphy supporte mal les questions de sa compagne ("vivre avec une femme, c'est accepter la CIA dans son lit"), ses remarques sur son ventre naissant. C'est soulagé qu'il la voit partir avec leur fils. Il pleut ; Nora ne répond pas ; Murphy se remémore sa plus grande histoire d'amour : deux ans avec Electra.
Cela s'était très mal terminé. Murphy avait mis enceinte Omi, leur jeune voisine de 17 ans, pro-life, et pas résisté à son envie d'être père. Electra l'avait alors rejeté violement, s'enfonçant dans la drogue. Pourtant tout avait bien commencé avec Omi, partenaire idéale pour le plus grand fantasme sexuel de Murphy et Electra. Il consistait à faire l'amour à trois avec une jolie blonde. Mais son couple avec Electra s'effritait et Murphy avait profité d'un week-end d'absence de celle-ci pour faire l'amour à Omi. Le préservatif avait éclaté et Omi s'était retrouvé enceinte. Murphy l'avait préféré à Electra qui s'était enfoncée très avant dans la drogue que lui procurait Julio, leur ami commun. Murphy avait tenté de la retrouver mais Nora, la mère d'Electra ne lui avait pas donné ses coordonnées. Aujourd'hui, Nora ne répond pas et Julio, en cure de désintoxication, n'a pas plus de nouvelle d'Electra.
La vie avec Electra avait connu son point d'orgue avec cet amour à trois réalisé avec Omi. Les autres expériences, Murphy s'en souvient davantage comme des erreurs. Ainsi d'voir fait l'amour dans la salle de bain avec une rencontre de passage dans une fête sans réussir à le cacher à Electra. Sa jalousie envers Noé, le vieil amant galieriste d'Electra qui espère vainement qu'il l'aidera à vendre ses toiles. Invité dans un vernissage, Murphy s'en était pris à Noé l'insultant devant sa femme et lui cassant une bouteille sur la tête. L'aventure s'était terminée au poste de police. Noé se targuant de l'opinion favorable du lieutenant de police avait refusé de se déclarer en tort ce qui avait provoqué une première rupture entre eux. Plus tard cependant ils s'étaient retrouvés, s'étaient aimé convulsivement un peu partout et advient même répondu favorablement à la proposition du lieutenant Cassel de se rendre dans un club échangisme. L'un et l'autre s'étaient reproché le plaisir qu'ils avaient pris en s'aimant au milieu des autres. Electra avait voulu faire l'amour à trois, avec un autre homme cette fois. Murphy avait d'abord accepté la proposition d'une participation d'un transsexuel avant de reculer devant l'expérience physique.
Murphy se souvient de ses premières rencontres avec Electra d'un baiser pris sous la cascade d'un parc, de la première nuit d'amour avec elle, d'un baiser au café puis lorsque tout ne s'arrangeait pas pour eux professionnellement, comment ils s'étaient juré de toujours se protéger l'un l'autre. Noé avait rencontré Nora, la mère d'Electra, inquiète d'une prise de dogue possible de sa fille.
C'est enfermé dans la salle de bain, écoutant l'eau de la douche tomber à la place de la pluie que Murphy se laisse envahir par la douleur de son amour perdu. Rêvant qu'il tient encore Electra contre lui comme autrefois. Tout était pourtant si beau comme cette premier rencontre au sommet de la butte du parc des buttes-Chaumont où ils avaient placé l'amour au-dessus de tout et s'étaient embrassés. Lorsqu'Omi rentre avec leur fils, c'est celui-ci qui vient réconforter son père, pleurant avec lui. Murphy le tient tendrement dans ses bras comme il tenait tendrement Electra dans ses bras.
Love est peut-être le premier mélodrame érotique ; mélodramatique dans sa structure d'une journée pluvieuse passée à se souvenir d'un amour irrémédiablement perdu; érotique dans la puissance érotique du souvenir magnifié par l'opium, la musique et la 3D.
Trop tard, trop tard
Le film est construit comme un puzzle accumulant dans le désordre les souvenirs de deux ans de passion amoureuse entre Electra et Murphy. Mais, sous la puissance de l'opium, c'est bien davantage un cristal aux faces alternativement sombres et claires qui tournoie dans la tête de Murphy. Les différentes facettes du cristal sont examinées dans différents flashes : entre deux portes, au travers du visionnage de photos ou allongé sur un lit en proie à l'opium. Puis le cri du "trop tard" transperce la conscience de Murphy et le souvenir se resserre dans la seule salle de bain. L'eau du pommeau de douche remplace le son de la pluie, plus triste encore et plus irrémédiablement associé aux souvenirs heureux. Dans un geste très beau et très original, la tendresse amoureuse trouve son équivalent dans les pleurs sans raison mais si empathique de l'enfant.
Cette contemplation d'un passé cristallin trouve une dimension plus englobante encore avec l'implication du metteur en scène au travers d'éléments biographiques : Gaspar est le prénom de l'enfant et Noé le nom du galieriste âgé reconnu et libidineux. Murphy est un cinéaste en devenir, conversations sur 2001, affiches de Naissance d'une nation, Le voyeur, Taxi driver, Salo, Freaks, Chair pour Frankenstein. Comme l'auteur d'Irréversible, Murphy voudrait réaliser des films avec seulement du sang, du sperme et des larmes, "parce que c’est l’essence de la vie". Le film est d'ailleurs bien davantage situé dans les années 80 qu'à l'époque contemporaine.
Vertige de l'amour
Le présent mélodramatique tragique d'un amour brisé est sans cesse traversé des éclats du souvenir d'un amour ravivé par le désir sexuel, animé d'un désir charnel où l'extase sur le visage féminin répond aux éjaculations masculines. La sexualité y est très sage et conformiste. Murphy s'illusionne lorsqu'il affirme "une queue, ça ne pense pas". Il montre en effet une répulsion pour le corps du transsexuel, les excès pornographiques allemands, ou l'offre sexuelle anonymisée du club libertin.
Le réalisateur lui-même n'a aucune fascination pour la chair touchée et pénétrée. Certes, on a droit à une pénétration vue depuis l'intérieur d'un vagin et une éjaculation face caméra avec sperme projeté vers le spectateur. Mais les corps sont toujours magnifiés, sculptés par la 3d, la lumière et la musique. Les premières Gymnopédie et Gnossienne d'Erik Satie, ou les Variations Goldberg de Bach accompagnent les séquences sexuelles des amants, belles, longues et déliées et parfois plus violentes quand il s'agit de combattre le mal-être social qui les environne.
Les échanges de baisers, des langues et des salives sont les témoins d'une force de l'amour où la sexualité occupe prioritairement les amants guidés, par ailleurs, par une même complicité artistique, le sentiment d'une marginalité demandant protection mutuelle, le désir du grand amour. Murphy, pleurant dans sa baignoire, sait qu'il ne descendra plus jamais le chemin du parc des Buttes-Chaumont en croyant à l'amour.
Jean-Luc Lacuve, le 17/07/2015