À Hong Kong, la centrale nucléaire de Chai Wan a été hackée. Un logiciel malveillant, sous la forme d’un outil d’administration à distance ou RAT (Remote Access Tool), a ouvert la porte à un autre malware plus puissant qui a détruit le système de refroidissement de la centrale, provoquant la fissure d’un caisson de confinement et la fusion de son coeur. Aucune tentative d’extorsion de fonds ou de revendication politique n’a été faite. Ce qui a motivé cet acte criminel reste un mystère.
Un groupe de hauts gradés de l’APL (Armée populaire de libération chinoise) charge le capitaine Dawai Chen, spécialiste de la défense contre les cyberattaques, de retrouver et de neutraliser l’auteur de ce crime.
À Chicago, le Mercantile Trade Exchange (CME) est hacké, provoquant l’inflation soudaine des prix du soja. Carol Barrett, une agente chevronnée du FBI, encourage ses supérieurs à associer leurs efforts à ceux de la Chine. Mais le capitaine Chen est loin de l’idée qu’elle s’en était faite. Formé au MIT, avec une parfaite maîtrise de l’anglais, l’officier chinois insiste pour que ses homologues américains libèrent sur le champ un célèbre hacker détenu en prison : Nicholas Hathaway...
Hacker appartient pleinement au film d'espionnage avec son analyse de la société contemporaine sous la menace d'un réseau de cybercriminalité internationale et ses héros dissimulant leurs coups pour passer inaperçus sous les dépistages informatiques afin de dérober des informations. Tout ce jeu d'infiltrations masquées dans un monde interconnecté est pleinement d'actualité comme l'a prouvé le piratage informatique de Sony Pictures en novembre 2014 pour empêcher la sortie de The Interview (finalement très vu sur le net).
Ouvert par des plans grandioses de la planète Terre parcourue des fluorescentes du réseau électronique mondialisé, le film se termine par un plan flou d'un couple fuyant dans le hors champ des caméras de surveillance de l'aéroport. A l'explosion initiale d'une centrale nucléaire mobilisant la presse internationale répond tout pareillement un pauvre duel gagné au tournevis dans un parc en Malaisie pendant que la foule, occupée à d'étranges cérémonies, défile inconsciente du danger. Que s'est-il donc passé entre cette promesse d'une fiction technologique grandiose mobilisant les télévisons du monde et ce repli sur un simple objet, sur un simple couple en fuite qui ne veut que disparaitre ?
Les menaces de l'infiniment grand et de l'infiniment petit
Mann filme deux fois le circuit numérique de l'intérieur, en suivant le déplacement du RAT (Remote Access Tool) qui ouvre la porte à un autre malware, plus puissant, qui détruit tel un virus ou une onde guerrière électrique les systèmes de refroidissement de la centrale et de la cotation de la bourse de Chicago. Il ne manque pas non plus de filmer des écrans, de codes plus ou moins subtilement écrits qui, même partiellement effacés, peuvent être reconstitués par les calculateurs superpuissants de la veuve noire, propriété de la NSA. Il explique aussi la traditionnelle, mais jusque là mystérieuse, infiltration d' un réseau en dérobant un mot de passe par un détecteur des touches d'un clavier associé à un mail envoyé en PDF demandant le changement du mot de passe. Plus simple, le moyen d'accéder au système de la bource de Chicago ou d'un banque de Jakarta, grâce à un programme espion déclenché par une connexion USB.
Phénomène abstrait, difficile à représenter, la menace informatique généralisée est ainsi filmée avec maestria par Mann. La terre ressemble ainsi à une sphère intégralement connectée et peuplée de signaux numériques qui effacent l'échelle humaine. Le mal est tout aussi bien dans ces combattants perdus de l'Est et d'Asie que désincarné, crypté dans des lignes de codes informatiques par des Black Hat (titre original), qui utilisent de manière malveillante leurs talents de pirates informatiques.
Ce faisant, Mann démultiplie l'échelle géographique de son film de l'infiniment grand à l'infiniment petit, s'interrogeant dès lors sur la place du simple objet, du simple désir, de l'intime encore à préserver quand le professionnalisme tourne à vide.
L'intimité est hors champs
En prison, Nicholas Hathaway lit Foucault (Surveiller et punir) et Baudrillard (pas bien vu mais peut-être Les stratégies fatales). Le héros incarcéré n'est pas un bandit, il a seulement volé les banques pour étudier et se faire un nom dans le monde de l'informatique californienne. Ayant déjà passé quatre ans en prison, il fait l'expérience sensible de la privation de liberté en contemplant presque groggy l'immensité qui s'ouvre à lui sur le tarmac de l'aéroport. Cette sensation d'étrangeté induite par un plan qui dure plus que de raison alors que l'histoire du film appelle à l'urgence de l'action est magnifiée par le simple geste de Lien posant sa main sur l'épaule de celui dont on n'a jamais douté qu'elle tomberait amoureuse. Par la suite, ce seront aussi des pulsions amoureuses et de désir qui s'incarneront dans les gros plans d'une partie du corps de Lien vues par Hathaway.
L'équipe réunie autour du couple central a tout de celles de Mission impossible : le frère protecteur, l'agent du FBI Carol Barrett et Mark Jessup, le policier chargé de la surveillance d'Hathaway. Sans doute si Mann était resté sur cette voie aurait il fait le succès attendu mais poussant ses privilèges d'auteur jusqu'au bout, il élimine ces héros sympathiques (Mark compatit quand Carol lui apprend que son mari a été tué dans une des tours jumelles) au milieu du film.
Sur le terrain de l'action comme celui du piratage, bons et mauvais sont en effet renvoyés dos à dos dans un professionnalisme tournant jusqu'à la surchauffe (explosion de la centrale nucléaire ou de la voiture de Chen). Exemplairement la scène du bateau avec Sadak et ses hommes de main a autant d'allant que celle des deux flics de Miami Vice dans une scène presque identique. Chasseurs et chassés dans les couloirs du métro semble aussi repris à Collatéral, film exemplaire de la vanité du professionnalisme. Dès lors, les combats deviennent simples jeux de plateaux. C'est la une zone désertique de Malaisie où aurait lieu une bien abstraite spéculation sur l'étain et où l'on ne voit qu'une malheureuse pompe à eau. C'est l’outrancièrement irréaliste grande scène finale de l'affrontement.
Si Lien et Hathaway peuvent vivre en dehors de la surveillance généralisée c'est aussi en dehors de notre regard. Savoir fuir et s'effacer, rien de plus difficile dans ce monde contemporain aussi performant que traçable.
Jean-Luc Lacuve, le 14/05/2015.