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Ion est un clochard dans la soixantaine. Il erre dans les chemins déserts du sous-bois d'un parc d'attractions préhistoriques pour ramasser divers déchets de plastiques qu'il met dans un grand sac sans cesser de maugréer. Rentré en ville, à Cluj, en Transylvanie, il fait la manche réclamant travail ou quelques sous. A la porte d'un hôpital, il reçoit un plateau repas et la promesse d'un travail ponctuel pour le nettoyage un dimanche matin tôt. Il pisse dans une poubelle, dérange un concert dans la rue, se fait harceler par un chien mécanique manipulé par des jeunes. Il rentre chez lui, un minuscule local où il s'endort sous des couvertures.
Des coups sont frappés à sa porte, tôt le matin. Il est sous le coup d'un
avis d'expulsion. Orsolya, l’huissière de justice, lui fait remarquer qu'elle lui a déjà obtenu un délai et lui a trouvé une place dans un foyer et un van pour transporter des affaires. Elle se propose de l'accompagner. Elle enjoint le serrurier et les deux gendarmes qui l'accompagnent à se montrer prévenant avec lui. Ion finit par accepter de partir si on lui laisse le temps de rassembler ses maigres affaires. Resté seul, il n'en a pas le courage et, serrant un fil de fer accroché à un radiateur autour de son cou, s'étrangle difficilement.
Orsolya, le serrurier et les deux gendarmes discutent sur la place en attendant que Ion ait fini de rassembler ses affaires. Le local en sous-sol où s'est réfugié Ion fait partie d'un immeuble qui va être rasé pour construire un hôtel de luxe, Le royal Europe. Orsolya, toujours accompagnée des trois hommes, revient auprès de Ion pour l'aider à déménager. C'est le drame, ils constatent qu'il s'est pendu au radiateur et est mort en dépit des massages cardiaques que lui prodigue Orsolya
Orsolya est bourrelée de remords dans le bureau du cabinet qui l'emploie ce qui amuse son patron, évoquant La liste de Schindler face à ses perpétuels façons de vouloir sauver le monde.
Orsolya rentre en voiture dans sa banlieue. Hongroise, elle est harcelée sur les réseaux sociaux qui reprennent en boucle son intervention jugée inhumaine envers un ancien champion récompensé d'une médaille olympique. Son mari essaie de la réconforter mais toujours traumatisée, elle n'a pas le cœur à faire l'amour. Elle déclare même ne pas vouloir partir en vacances en Grèce comme cela était prévu le lendemain. Son mari et les enfants partent seul le lendemain avec la vague promesse qu'elle les rejoindra bientôt.
Dans le local de l'amitié hongroise en Roumanie circule une vidéo d'une hongroise prise à parti violemment par un roumain sans qu'intervienne la police. Orsolya appelle vaillamment ses enfants se disant très préoccupée au travail.
Orsolya discute avec son amie roumaine, Dorine, qui reconnaît que son pays a volé la Transylvanie à la Hongrie. Elle participe à un programme d'aide aux Roms mais raconte aussi comment elle a fini par souhaiter la mort d'un clochard qui déféquait à la porte des garages de son immeuble. Elle avait pitié de lui l'hiver et ne supportait pas l'odeur l'été. Elle en plaisantait avec les voisins qui souhaitaient l'intervention du personnage de Perfect days. Orsolya se sent incapable d'accompagner son ami dans son association le lendemain mais fait un virement immédiat de 500 euros. Elle donne déjà deux euros à diverses causes humanitaires. Orsolya cite Brecht qui dit que les innocents méritent les pires sorts en dictature car ils n'ont rien fait contre elle. Images de Hitler du zeppelin s'effondrant. Elle rentre chez elle et se sert un verre.
Orsolya prie dans le parc archéologique aux dinosaures. Elle va voir sa mère qui a la nostalgie de sa Hongrie natale et reproche à sa fille de ne pas y retourner. Mais Orsolya rappelle qu'il y a le détestable Viktor Orban et que le PIB y plus faible qu'en Roumanie et qu'ils ne seront pas les bienvenus. Elle rentre à Floresti et téléphone à sa mère pour se réconcilier avec elle.
Lendemain, Orsolya croise son ancien élève de droit romain Fred, livreur à vélo, qui l'apostrophe en latin. Il a affiché sa nationalité roumaine sur son sac de livraison car il ne veut pas subir les remarques racistes que reçoivent ses collègues immigrés. Elle rentre et prend rendez-vous le lendemain avec Fred. Plans longs sur sa maison, sur la statue de Julius Maniu.
Dans le bar du cinéma où elle a donné rendez-vous à Fred, on passe El bruto et Europe 51. Fred raconte des histoires Orsolya son histoire qui la traumatise. Sorti du bar, Fred s'attache au Monument de résistance au communisme et ils continuent de ainsi de boire et discuter. Ils s'embrassent puis ont une violente étreinte sexuelle dans un parc. Elle rentre chez elle avec la gueule de bois.
Orsolya veut se recueillir sur la tombe de Ion et a pris rendez-vous avec le pretre . Elle raconte de nouveau son histoire. Il tente de lui prouver que Dieu existe et se manifeste dans notre action ; on ne pas se laisser aller à l'apitoiement sur soi-même, forme de péché d'orgueil. Rien ne sert de prier si on ne croit pas que ses péchés sont déjà pardonnés. Orsolya ne semble pas convaincue et pleure encore une fois. Elle rentre chez elle et téléphone à ses enfants ; elle va les rejoindre à Thessalonique dès le lendemain.
A Cluj, l'urbanisation se déploie : un stade moderne, des immeubles aux appartements de luxe, des immeubles en construction, des lotissements à même les collines dans des terrain boueux, derrière des masures en ruine. il y a des quartiers protégés avec des barrières, des immeubles déjà abîmés avec des voitures garées de façon anarchique, un cimetière, un petit château.
Le titre, Kontinental '25, tout comme l'affiche du film évoquent Europe 51 réalisé en 1952 par Roberto Rossellini. Le désarroi d'Irène, confrontée à la mort de son fils dont elle s'attribue en partie la faute, rejoint celui d'Orsolya qui se reproche la mort de Ion, le clochard. Sur la forme, la pauvreté des moyens -le film est réalisé en dix jours avec un Iphone 5- et l'importance du décor naturel sont en phase avec le néoréalisme. La réflexion sur notre continent s'éloigne pourtant de la métaphysique rossellinienne car Irène devenait une sainte; ici, Orsolya oubliera son traumatisme. C'est la forme qui se révèle politique. Les trois très longs plans fixes de la fiction explicitent le ressassement moral de Orsolya qui ne sera finalement que passager. Parallèlement à cette fiction au ton souvent satirique est montée toute une partie documentaire, de plus en plus prégnante au cours du film, qui met en évidence l'inexorable avancée d'un urbanisme déshumanisant
Europe 2025 et psychose contemporaine
Dans le dossier de presse, Radu Jude s'explique sur les références qui ont construit son film :
"Un jour, j’ai lu un article sur Europe 51 de Rossellini puis je l’ai revu à cette occasion. J’ai été frappé par son sujet – une femme rongée par la culpabilité, qui cherche la rédemption. J’y ai vu des parallèles avec mon histoire et j’ai décidé d’explorer ce thème, mais de façon moins métaphysique et moins tragique en situant le récit dans un mélange très contemporain de comédie et de tragédie. Je pourrais dire que mon film est une sorte de caricature de Rossellini.
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J’ai également été influencé par un autre film, Psychose de Hitchcock, que j’ai revu alors, et dont je me suis inspiré pour la structure de mon film. Psychose s’ouvre sur une victime avant de s’intéresser à l’auteur du crime. J’ai suivi cette idée : on passe de l’histoire de ce sans-abri, à l’histoire d’Orsolya. Ce n’est pas une criminelle mais de façon symbolique, elle pense qu’elle est peut-être complice, comme le monde tout autour, d’une certaine façon. C’est comme ça que le film a trouvé sa forme [...] Nous avons tourné en 10 ou 11 jours, sans lumière ni machinerie, avec pour seuls supports, les dialogues et les décors naturels. C’était libérateur. Ça s’inscrit aussi dans une idée rossellinienne du cinéma, qui consiste à travailler dans "une pauvreté de moyens". Un grand nombre de films qui parlent de pauvreté ou de violence sociale sont réalisés avec des budgets de plusieurs millions de dollars, ce qui crée parfois des contradictions.
Je me suis toujours intéressé à l’histoire et ce film en est l’illustration. Il est différent de mes précédents films par sa simplicité : les dialogues, la mise en scène minimale, et le soin porté aux mots. Les images des immeubles de la ville à la fin, dans lesquelles se fond le récit est aussi quelque chose de nouveau. C’est un retour aux possibilités du début du cinéma.
Orsolya se sent coupable et tente d’apaiser sa conscience à travers de petites actions, telles que la lecture d’intellectuels de gauche ou en faisant des dons aux ONG. Après la dictature de Ceaușescu, le pays ne s’est pas transformé en démocratie sociale mais en démocratie néolibérale, offrant peu de protection sociale. La culpabilité d’Orsolya reflète les manquements du système mais le film s’intéresse à son expérience individuelle plus qu’il ne cherche à faire de grandes déclarations idéologiques."
La forme politique du montage parallèle
Face à l’injustice, Orsolya se sent coupable. Bourrelée de remords, elle ne cesse de revenir à son traumatisme. C'est l'occasion des trois longs plans fixes du film, avec Dorina sur le banc, avec Fred au bar du cinéma et avec le prêtre au cimetière. Après s'être totalement épanchée, Orsolya téléphone à son mari qu'elle va alors rejoindre pour les vacances. La crise existentielle, les remords, n'auront ainsi pas duré. Au cours de cette fiction, quelques plans avait d'abord parus étranges; le plan des ruines romaines de la ville juste avant qu'Orsolya entre dans le bureau de son chef, ceux insistants sur quelques statues, et surtout le plan de jour sur un hôtel de luxe durant l'errance de nuit de Fred et Orsolya. On peut alors imaginer qu'ils ont passé la nuit ensemble et vont se réveiller dans cet hôtel.
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Mais à ce plan succède la suite de l'errance de nuit qui se terminera par l'étreinte sexuelle. On comprend alors que les plans documentaires sur la ville sont montés en parallèle de la fiction; et la longue séquence de l'urbanisme en marche qui conclut le film ne peut servir qu'à démontrer que les crises existentielles des individus sont un peu dérisoires face à l'urbanisme en marche. La critique de l'urbanisation à marche forcée va de paire avec celle de la mécanisation (dinosaures animés, chien mécanique, voiture téléguidée) et le nationalisme qui ne cessent d'aller de se répandre en Roumanie.
Jean-Luc Lacuve, le 7 octobre 2025.
Source : Dossier de presse