Le samedi 6 janvier 1917, cinq soldats condamnés à mort sont conduits dans une tranchée sur le front de la Somme. Le premier, Bastoche, porte à ses pieds des bottes prises à un allemand. Jadis, menuisier à la Bastille, il en pinçait pour une jolie rousse qui s'appelait Véronique Passavant. En se défendant contre les rats, il s’était blessé mais était passé en conseil de guerre pour mutilation volontaire. Six-Soux était soudeur aux chemins de fer de l'État à Bagneux. Antimilitariste parce qu’anticapitaliste, il s’était volontairement brûlé la main au canon d’une mitrailleuse en action. Benoît Notre Dame, un paysan de la Dordogne, avait tué un capitaine fou qui mutilait les morts. Découragé, il s’était aussi mutilé volontairement. Ange Bassignano, un Corse roublard et proxénète, était fou de sa gagneuse, Tina Lombardi. Il s’était mutilé, tout comme le jeune Manech, 19 ans, amoureux fou de sa Mathilde, laissée en Bretagne. Conduits dans les tranchés, les cinq condamnés espèrent encore la grâce du président Poincaré.
A la fin de la guerre, en Bretagne, Mathilde a reçu l’avis de décès de Manech. Pourtant, Mathilde refuse d'admettre cette évidence. Si Manech était mort, elle le saurait... Elle se raccroche à son intuition comme au dernier fil ténu qui la relierait encore à son amant. Comme elle a lutté contre la polio qui l'a rendue boiteuse, jamais Mathilde ne se décourage.
En juin 1920, un homme malade à l'hôpital de Rennes veut la voir. Cet ancien sergent a beau lui raconter que Manech est mort sur le no man's land d'une tranchée nommée Bingo Crépuscule, en compagnie de quatre autres condamnés à mort pour mutilation volontaire, rien n'y fait, Mathilde va mener l’enquête.
Elle est toujours animée par le rappel constant de ce que son fiancé avait gravé dans l'une des cloches de l'église près de leur maison, MMM pour Manech Aime Mathilde. Avec l'aide d'un enquêteur privé, tente de découvrir ce qui est arrivé à son fiancé.
Finalement, Mathilde découvre que son fiancé est vivant, mais il souffre d'amnésie. En voyant Mathilde, Manech semble l'avoir oubliée. Comme la première fois où il l'avait vu, à dix ans, il lui demande si sa jambe ne lui fait pas mal. Mathilde ne perd pas espoir. Elle s'assoit sur sa chaise de jardin et regarde en silence Manech les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres.
L'amour pur et innocent de Manech, celui courageux et obstiné de Mathilde, la beauté des paysages de Dordogne, de Corse ou de Bretagne, la musique de Angelo Badalamenti, la voix off précise de Florence Thomassin font contrepoint aux atrocité de la guerre, ses mitrailles, sa boue, ses carnages.
Ce beau mélodramme ne possède certes pas l'allant de L'heure suprême(Frank Borzage, 1927) mais il trouve sa force dans les détails. Un mot, une ruse, un nom bizarre, mettent en avant un élement du décor : la statue du Christ démandrée sur son calvaire dans le mouvement de grue qui ouvre le film ; le haut d'un phare ; un parte-terre de graviers ; un assassinat aux éclats d'une glace brisée ou par un pistolet armé avec un cordon de lunette. Cette invention dans les détails va de pair avec le morcellement du récit. Il faudra en effet à Mathilde découvrir l'histoire des quatre autres soldats condamnés et d'un ou deux de leurs proches pour résoudre le puzzle qui lui ramènera son Manech, pur comme s'il avait dix ans, des atrocités de la guerre.
Bien que la majorité des acteurs soient français et l’ensemble des scènes tournées en France, cette coproduction est jugée américaine le 26 novembre 2004 en raison de la forte participation de la société Warner Bros. aux frais de production. Le film participera néanmoins aux César du cinéma dans la catégorie générale. Avec un coût de 45 millions d’euros, c’est l’un des films « français » les plus coûteux qui aient jamais été produits.
Le Conseil d'État validera le premier jugement en 2007. Le film sur lequel est perçu la TSA comme tout film distribué en France n’a donc pu engranger les droits qui auraient permis à son producteur, s'il avait été français, de recevoir la subvention d'environ 8 millions d’euros du CNC pour financer un film futur.
Jean-Luc Lacuve, le 22 janvier 2021