Deux jeunes hommes passionnés de voitures traversent les États-Unis de Los Angeles à Washington à bord dune Chevrolet 1955 trafiquée. Lun conduit, lautre est mécanicien. Peu bavards, ils communiquent à travers leur passion de lautomobile et gagnent le peu dargent qui leur suffit à vivre en participant à des courses plus ou moins clandestines organisées à lentrée des villes.
Lors dun arrêt dans une station-service, une fille à lair paumé monte dans leur voiture. Tout comme eux, elle parle peu. Un soir, la fille couche avec le mécano pendant que le chauffeur reste à la porte de leur chambre.
Le lendemain, GTO, un homme dune quarantaine dannées, à lair prétentieux, conduisant une Pontiac neuve, avec à son bord des auto-stoppeurs à qui il raconte des histoires inventées de toutes pièces, propose aux occupants de la Chevrolet de faire la course. Le vainqueur gagnera la voiture de léquipe perdante. Quand GTO doit faire réparer son carburateur, le mécanicien lui propose de laider.
En attendant louverture dun garage, GTO et la fille se rapprochent lun de lautre. Les trois occupants de la Chevrolet reprennent la route. GTO lui, sendort. Il les rejoint puis continue avec la fille. Le pari perd vite de son intérêt car dans les villes traversées, le mécano et le chauffeur participent à des courses. GTO et la fille sarrêtent dans un bar. La Chevrolet les rattrape. La fille part avec un jeune motocycliste. GTO embarque deux nouveaux passagers. Le mécano et le chauffeur prennent le départ dune nouvelle course. Leur voiture fonce vers l'avant alors que la pellicule du film se consume lentement dans le projecteur.
Road movie sans sexe, drogue et violence, Macadam à deux voies est bien la "randonnée immobile sur le vide" voulu par Monte Hellman. Les personnages traversent l'Amérique d'Ouest en Est, en sens inverse de la conquête de l'Ouest, comme pour reculer dans leur propre histoire.
Personnages et fiction au point mort
Mais ce sont des personnages qui ne sont pas intéressés par la relation à l'autre ou par la société américaine. Ils traversent le pays comme des autistes. Hommes intégralement dévoués à une tâche professionnelle, qu'ils savent bien faire, ils ne parlent qu'en langage codé dans des rituels purement masculins évoquant la boite auto Chrysler de la Plymouth, les 454 chevaux de leur voiture, ses problèmes récurrents de gicleurs et de soupapes, ses 13,4 secondes aux 400 mètres et l'inutilité d'une course sur plus longue distance avec une Porsche.
Ces personnages, qui échangent sur leur seul savoir-faire technique, sont sans passé. "Ce n'est pas mon problème" affirme le conducteur à GTO qui tente une nouvelle fabulation. A l'inverse, GTO dégorge des fictions que le film se refuse à produire. Il est le représentant de la soif de fiction, de séduction propre du cinéma américain.
Néanmoins le film reste, "au point mort" selon l'expression de Jean-Baptiste Thoret et ne semble jamais démarrer.. Il y a refus de la rencontre explosive entre hippies et les policiers, représentants de la majorité silencieuse, lors de l'arrêt au Texas.
On ne sait pas si la course est gagnée ou pas, la course se fait en partie avec la voiture de l'autre. De même, l'arrivée, classique, d'un homosexuel, Stenton, pour pouvoir affirmer que les héros sont hétérosexuels est désactivée. GTO ne dit pas qu'il est hétéro, seulement qu'il n'a pas le temps.
Une histoire d'amour quand même
Comme dans Taxi Driver, l'échec de l'histoire d'amour précipite le héros dans le vide. Certes, l'arrivée de la fille n'est pas dramatisée. Elle entre dans la profondeur de champ, derrière la vitre où sont installés le conducteur et le mécanicien, et s'installe dans leur voiture sans permission et sans un mot. Les garçons s'installent et démarrent avant que le dialogue commence et nous apprenne qu'elle se dirigeait vers le grand canyon. Elle accepte de changer de direction et d'aller vers l'Est, qu'elle ne connaît pas
Elle est l'authentique rebelle qui incarne la contre-culture. Elle porte sa maison avec elle, ses deux sacs. Libre de ses attaches, elle ne veut pas choisir. Elle ne veut s'attacher à aucun des garçons, "No good" répond-elle à leurs propositions et part avec un motard de passage. Elle laisse un de ses sacs mais préfère cette liberté à la vie de termites que lui montrait comme un exemple le driver lors de leur unique discussion. "On a une vie meilleure" lui avait-elle pourtant répondu.
Son départ est une perte irrémédiable pour le conducteur. Certes, il la fixe en gros plan sans rien montrer de ses sentiments, mais c'est le même regard fixe qu'il montre dans la dernière course. L'absence progressive des sons extérieurs, le ralenti et la pellicule qui brûle peuvent ainsi s'interpréter comme un suicide. Plus qu'un signe d'avant-garde voulu par Monte Hellman, il s'agit peut-être d'exprimer cinématographiquement la prémonition du mécanicien au conducteur à propos de la fille : "Elle va te brûler".
Un film charnière de la contre-culture
La petite vieille avec l'enfant dont les deux parents sont morts, fauchés par un chauffard, avait déjà introduit la dimension tragique du film... qui déçoit fortement la Universal. Le studio avait soutenu le film sur les promesses d'un scénario avec courses de voiture, des possibilités de ménage à trois ou quatre et d'affrontement entre hippies et force de l'ordre.
Le film est finalement sabordé par la production qui le sort un 4 juillet le condamnant à l'insuccès malgré d'excellentes critiques. Tourné en pleine guerre du Vietnam, mais après l'affaire Charles Menson qui jette un voile noir sur les hippies, Macadam à deux voies occupe une place centrale entre l'espoir de Easy rider (1969) et la noirceur de Point limite zéro (1971). Ces trois films forment le trio des road movies mythiques du nouvel Hollywood. Ils préfigurent aussi Taxi Driver (1976) où De Niro est enfermé dans sa bulle voiture et délire le monde des années 70.
Jean-Luc Lacuve le 11/01/2008