Le périlleux enchaînement des choses de Michelangelo Antonioni. Avec : Christopher Buchholz (Christopher), Regina Nemni (Cloe). Sortant de l'improbable décor d'une tour mi-bourgeoise mi-Kmer sur les rives du Pô, un homme emmène sa compagne en ballade dans une voiture de luxe. Ils se disputent et constatent qu'ils n'aiment ni ne voient la même chose : l'une étant sensible à l'eau du marécage l'autre à la boue qu'il contient.
Seul l'arrêt près dune cascade où semblent chanter deux femmes sirènes permet de retrouver un peu d'harmonie. Dans le restaurant dans lequel ils s'arrêtent, surgit une jeune femme dont l'homme apprend de sa compagne -qui n'est plus qu'un reflet dans la glace- qu'elle est la locataire de la tour voisine.
L'homme se rend dans la tour jumelle et se laisse sans difficulté séduire par son occupante qui l'entraîne dans son lit.
Le temps passe. En Italie, il fait toujours beau, les deux jeunes femmes des tours se rencontrent sur la plage et dansent nues. L'homme, plus tard sans soute, téléphone en France à sa compagne qui l'informe qu'il neige sur Paris. Les chevaux courent dans les prés ; ils s'aiment toujours.
Equilibre de Steven Soderbergh. Avec Robert Downey (Nick
Penrose), Alan Arkin (Dr. Pearl/Hal). Chez un psychiatre voyeur, un homme
explique son problème. On apprend ensuite qu'il ne s'agit que d'un
rêve qui reprend, sous une autre forme, ses obsessions.
La main de Wong Kar-wai.
Avec : Gong Li (Miss Hua), Chang Chen (Zhang). Un jour de pluie, un homme
assiste aux derniers instants d'une courtisane déchue, rongée
par la tuberculose. Il se souvient. Il était alors apprenti tailleur
et était chargé de livrer une robe chez cette courtisane. Mécontente
de la robe, elle lui affirma que coudre une robe qui enveloppe le corps des
femmes implique de savoir les aimer. Elle le caressa jusqu'à une jouissance
dont il se souviendra toujours. L'apprenti couturier devient le meilleur artisan
de son patron et livra toutes les robes de la courtisane dont il devient un
familier. Il suivit ainsi la lente et certaine déchéance de
celle-ci. Il lui racheta secrètement les robes qu'elle était
contrainte de vendre pour survivre. Mais abandonnée de tous ses amants
et clients successifs, elle ne pouvait que mourir, lui laissant peut-être
une chance d'aimer une autre femme.
Dans ces trois moyens-métrages, chacun des cinéastes travaille ses thèmes de prédilections : la distinction entre ce que peut le corps et ce que veut le cerveau pour Antonioni, le travail de l'inconscient pour Soderbergh, et la sublimation de l'amour pour Wong Kar-wai. Pour une fois, le sous-titre : le périlleux enchaînement des choses se révèle significatif. Antonioni en démontre l'inanité, exprimant de façon très touchante l'existence, sur deux plans parallèles, du désir physique et la complexité des relations de couple. Soderbergh essaie, assez vainement de les lier par le travail de l'inconscient. Wong Kar-wai offre une démonstration éclatante de l'enchaînement d'une expérience décisive suivie d'un amour aussi exclusif que stérile.
Pour figurer le parallélisme entre la fugacité du désir et la permanence de l'amour, Antonioni recourt dans Le périlleux enchaînement des chosesà une mise en scène structurée autour du motif du reflet, du double ou de la paire, de l'opposition : les tours jumelles, le reflet dans la glace, les deux sirènes, les deux femmes brunes, le dessus et le dessous des marais. Entre les deux, l'homme hésite comme le figure sa position en attente en haut de la tour, près de la girouette. Sans excès de dramaturgie ni le moindre pathos, Antonioni présente une vision aussi charnelle- la très belle scène d'amour physique plus, sans doute, que la danse des deux jeunes femmes- que conflictuelle de l'amour.
La séance de psychanalyse de Equilibre est longue, bavarde et sans grand intérêt. De la chute, on dira, au mieux, qu'elle est rusée.
Avec La main, Wong Kar-wai reprend la thématique de l'amour sublimé pour échapper à la banalité et au temps, assez proche de In the mood for love dont on retrouve également la fascination pour les robes et les jours de pluie.
Réussite exceptionnelle dans le traitement du temps qui passe détruisant toute chose sauf la permanence de l'amour. Utilisation pour cela de motifs récurrents : la pluie, les entrées d'immeuble, les robes, les seconds rôles du patron et de la servante, figées dans leur attitude sciemment caricaturale et, bien sûr, de la main.
Jean-Luc Lacuve le 25/08/2005