Il reste encore demain

2023

(C'è ancora domani). Avec : Paola Cortellesi (Delia Santucci), Valerio Mastandrea (Ivano Santucci), Romana Maggiora Vergano (Marcella), Emanuela Fanelli (Marisa), Giorgio Colangeli (Ottorino), Vinicio Marchioni (Nino), Francesco Centorame (Giulio), Raffaele Vannoli (Alvaro). 1h58.

En mai 1946, Rome est soumise, comme le reste de l'Italie, à la pauvreté et aux tragiques dévastations laissées par la Seconde Guerre mondiale alors que les unités militaires alliées qui sillonnent les rues. Dans le quartier populaire du Testaccio, Delia est mariée à Ivano, qui la bat régulièrement, la harcèle et l'humilie continuellement ; le couple a trois enfants. L'aînée, Marcella, qui est sur le point de se fiancer, méprise sa mère pour la passivité avec laquelle elle subit la violence conjugale. La journée de Delia se partage entre les tâches ménagères et divers emplois sous-payés : couturière, raccommodeuse de sous-vêtements, femme de chambre et soignante à domicile, réparatrice de parapluies. Elle est là scandalisée que le nouvel apprenti qui, bien que nouveau, reçoive un salaire supérieur au sien, simplement parce qu'il est un homme.

Ses seules sources de réconfort sont son amitié avec Marisa, une vendeuse de fruits pleine d'esprit et d'optimisme, et avec Nino, pour qui elle a eu une tendre affection dans le passé, complètement oubliée au fil des ans. Nino est un mécanicien et un ancien partisan qui lui propose de l'accompagner en Lombardie pour y trouver de meilleures opportunités de travail et de vie.

Un jour, Delia rapporte une photo de famille au soldat afro-américain William, qui la remercie et lui offre du chocolat américain. Après plusieurs rencontres, il propose de l'aider après avoir remarqué les bleus sur son corps. Elle reçoit également une lettre à son nom qu'elle a d'abord l'intention de jeter, mais qu'elle décide ensuite de conserver, y puisant la force de réagir progressivement à son état. Entre-temps, Marcella organise son mariage avec Giulio, le jeune descendant d'une famille enrichie pendant la guerre qui possède un bar dans le quartier. Ivano, dans cette optique, voit d'un bon œil le gain financier qui pourrait résulter d'un mariage avantageux. Après un déjeuner gênant avec sa belle-famille (en raison du comportement vulgaire d'Ivano, de ses jeunes frères et du père grincheux d'Ivano, Ottorino), Giulio demande néanmoins Marcella en mariage, ce qu'elle accepte avec des larmes de joie.

Cependant, en assistant à une scène au cours de laquelle Giulio menace Marcella, Delia se rend compte que sa fille devra alors faire face à un mariage semblable au sien, dans lequel elle sera régulièrement harcelée et humiliée. Avec l'aide de William, elle fait donc exploser le bar de son futur gendre, de sorte que ses parents tombent dans la misère et sont contraints de quitter la ville. Marcella, malgré tout, est dévastée.

Delia semble décidée à échapper au contrôle absolu d'Ivano et pour cela elle a tout préparé : un chemisier neuf, de l'argent et un sac qu'elle a caché pour sortir de la maison sans être vue. Mais le même jour, son beau-père Ottorino meurt subitement. Elle décide de l'ignorer, en pressant la famille (surtout Ivano en lui disant que son père dormait) d'aller à la messe du dimanche. Elle projette de s'enfuir ensuite, sous le faux prétexte de devoir aller tout de suite après la messe faire des piqûres aux voisins de Marisa. Son plan tombe à l'eau lorsque l'ami de son beau-père, Alvaro, frappe à la porte d'entrée et, ne recevant pas de réponse, entre dans la chambre de son beau-père et le trouve mort dans son lit. Il court à l'église, où la messe vient juste de se terminer pour avertir tout le monde de la macabre découverte.

Ivano est le seul de la famille à être ébranlé et incrédule face à la perte de son père, en décidant d'organiser la veillée funèbre le jour même. Delia est donc obligée de rester, faisant semblant d'être désolée et incrédule face à ce qui s'est passé, mais essayant de convaincre Ivano de la laisser partir, pour aller chez les voisins de Marisa, qui entre-temps se présente avec son mari à la veillée funèbre, empêchant ainsi une nouvelle tentative d'évasion.

Néanmoins, le lendemain, avant de sortir, Delia laisse l'argent qu'elle a économisé à Marcella pour lui permettre d'étudier (Ivano affirmait qu'une femme ne devait pas étudier et ne voulait donner l'argent nécessaire pour cela qu'à ses deux fils d'aller) et part pour faire enfin ce qu'elle avait prévu. Elle court se changer et se maquiller dans les toilettes d'une boutique. Mais elle a perdu la fameuse lettre à son nom que découvre Ivano sur le carreau de la cuisine. Fou de rage et insultant une nouvelle fois sa femme, il court à sa poursuite. Puis c'est au tour de Marcella de se lever, de découvrir l'argent laissé par sa mère puis de découvrir la lettre laissée par terre et de comprendre la raison de l'absence de ses parents.

Ivano arrive en ville où il ne parvient pas à voir sa femem au milieu de la foule. Nous sommes en effet le 3 juin 1946, second des deux jours de l'élection de l'Assemblée constituante et du référendum entre monarchie et la république, où pour la première fois les femmes peuvent participer au vote. Delia est paniquée parce qu'elle s'aperçoit qu'elle a perdu sa lettre officielle pour voter mais c'est Marcella qui fendant la foule la lui tend alors, fière de l'indépendance nouvelle de sa mère.

Certes, dans le bureau de vote où les femmes se pressent, on leur demande d'enlever leur rouge à lèvre afin de ne pas laisser de trace sur l'enveloppe mais ce n'est qu'un moment de fierté supplémentaire avant de glisser le bulletin dans l'urne. Voyant Ivano venir à sa rencontre à la sortie du bureau de vote, Delia pense à s'enfuir, mais au dernier moment elle s'arrête et le fixe fièrement, imitée par les autres femmes présentes, ce qui intimide son mari, qui s'en va.

Très belle comédie toute orientée politiquement par le nécessaire impératif de liberté des femmes. Le film est situé juste avant le vote des 2 et 3 juin 1946, pour permettre, entre autres, le twist final. La lettre adressée à Delia arrive juste après sa rencontre avec Nino, induisant dans l'esprit du spectateur l'idée qu'il s'est enfin décidé à trouver les moyens d'emmener celle qu'il aime avec lui en lombardie. Mais le salut ne saurait résider dans l'homme providentiel. Laura utilise la comédie pour montrer l'aliénation des femmes au système patriarcal où tous les hommes italien sont montrés comme des bourreaux en acte ou en devenir. Dès l'ouverture Delia reçoit une claque en réponse à son bonjour matinal envers Ivano, premier des signes qui mettent en évidence d'un pouvoir absolu auquel Delia, bercée par les belles paroles hors sol des chansons populaires, participe pour son malheur dans une sorte de danse rituelle.

Sur la violence conjugale, le film est ainsi l'un des seuls un peu sérieux sur le sujet : les hommes ne changeront pas d'eux-même si la politique ne s'en mêle pas. Elle est impérative car l'immense majorité des italiens portent le germe d'une violence ancestrale qui se décline dans toutes les classes sociales ; absolue et dégénérée chez Ottorino, bonasse chez Ivano, à peine endormie chez Giulio. Pire, elle est acceptée par tous qui au mieux la commente depuis  l'extérieur des portes closes sur la femme battue. Les seuls qui ne la portent peut-être pas sont le gentil et amoureux mari de Marisa et le rêveur et velléitaire Nino auquel Delia ne jette pas même un regard vers sa boutique fermée quand elle se précipite pour voter.

L'envie de changer enfin de société motive le choix d'un noir et blanc et de huit première minutes au format 4/3 qui s'inscrivent dans la lignée du néoralisme de l'après-guerre qui fut en Italie un mouvement aussi radical formellement que politiquement.

Jean-Luc Lacuve, le 10 avril 2024.
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