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Mon amie Victoria

2014

D'après Victoria et les Staveney de Doris Lessing. Avec : Guslagie Malanda (Victoria), Nadia Moussa (Fanny), Catherine Mouchet (Elena), Pascal Greggory (Lionel), Alexis Loret (Edouard), Pierre Andrau (Thomas), Elise Akaba (Diouma), Tony Harrisson (Sam). 1h35.

Victoria, fillette noire de milieu modeste, n'a jamais oublié la nuit passée dans une famille bourgeoise, à Paris, chez le petit Thomas où Edouard, le grand frère, avait pris soin d'elle. Des années plus tard, elle croise de nouveau Thomas. De leur brève aventure naît Marie. Mais Victoria attend sept ans avant de révéler l'existence de l'enfant à Thomas et à sa famille. Sous le charme de la petite fille, ils lui proposent alors de l'accueillir régulièrement. Peu à peu, Victoria mesure les conséquences de cette générosité.

Doris Lessing publie Victoria and the Staveneys en 2003 dans le recueil The Grandmothers : Four Short Novels. Sa traduction française, Victoria et les Staveney parait en 2010 chez Flammarion. C'est Philippe Martin, le producteur de Jean-Paul Civeyrac qui lui souffle l'idée de lire le roman. L'adaptation est très personnelle mais nous semble un échec aussi bien formellement que dans son analyse sociale.

Fanny, une amie trop encombrante...

La Bessie du roman devient Fanny dans le film. Civeyrac en fait une romancière et surtout lui fait prendre le récit en charge dès la séquence initiale puis avec un grand flash-back en voix off. Sa place devient dès lors logiquement plus importante. La Bessie du roman n'accueille chez elle Victoria qu'à l'âge de quatorze ans et ne s'entend pas vraiment avec elle. C'est sa mère qui se charge de faire l'éducation de la jeune fille en tentant de la propulser toujours plus haut dans les magasins chics alors que Victoria tente des voies moins respectables comme de poser nue. On ne retrouve qu'amoindrie dans le film l’image d’icône que joue la mère adoptive dans sa lutte pour une reconnaissance sociale.

Le film reprend néanmoins les principales anecdotes de la vie de cette jeune afro-anglaise que le destin n’a pas gâtée. Le thème principal reste celui de l'illumination de la splendeur bourgeoise puis de l'abandon consenti de sa fille aux classes aisées pour qu'elle réussisse et échappe à la fatalité de l'échec qui pèse sur la mère. Mais la critique sociale, transposée de Londres à Paris, devient horriblement caricaturale. Aucune chance laissée aux intellectuels et artistes de gauche qui sont desservis par des acteurs au jeu outré. Pascal Gregory semble même s'en excuser auprès de Marie après la séance de théâtre.

... avec sa voix off qui désincarne Victoria

La voix off de Fanny, qui lit mentalement le récit du texte qu'elle s'apprête à publier, n'introduit aucun romanesque, se contentant d'expliciter la vie intérieure de Victoria, saisie en gros plan. Du coup, les images deviennent illustratives d'une Victoria terne et désincarnée. La musique omniprésente ne fait qu’alourdir cette sensation de fatalisme qui accable le personnage principal alors que Doris Lessing en fait une femme forte, qui va refaire sa vie avec un révérend qu’elle rencontre à la chorale du temple. Elle continue ainsi à se battre pour éviter à son fils un foyer désuni et sans moyen, et fait preuve de toujours plus de résilience.

Le rapport à la nature, très appuyé (arbre du premier plan puis ceux devant l'appartement des Staveney) semble évoquer cette permanence des choses très éloignée de l'esprit du roman ; ainsi du bruit de l'orage toujours menaçant, du vent emportant la vie de la tante, de la neige qui réconforte la nuit de noël ou de la pluie du préau d'école et du très long et triste plan final. Le somnambulisme de Victoria semble aussi conforter cette vision sociale terriblement pessimiste du combat des plus pauvres condamnés à rester dans leur monde.

Jean-Luc Lacuve et Michelle Delalix le 04/01/2015.

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